Aperçu général sur la dette de la République Démocratique du Congo
Historique
Le père de lindépendance congolaise, Patrice Lumumba, nest pas assez docile aux yeux des grandes puissances, Belgique et Etats-Unis en tête. Il sera assassiné quelques mois après lindépendance, en janvier 1961. En 1965, lun des instigateurs de cette reprise en main, Joseph-Désiré Mobutu, prend le pouvoir suite à un coup dEtat. Il imposera une dictature redoutable pendant plus de trente ans, avec la bénédiction des Occidentaux, dans le contexte de la guerre froide.
Entre lAngola soutenu par Cuba et le Congo-Brazzaville marxiste des années 70, le Congo de Mobutu représente pour eux un allié stratégique face au bloc soviétique. Afin de sauver les apparences, Mobutu adopte un discours nationaliste et donne à son pays le nom de Zaïre, mais il est absolument soumis aux exigences des Etats-Unis et de leurs alliés. Ces derniers ferment les yeux devant les pratiques despotiques de Mobutu et ne reculent devant aucun sacrifice pour maintenir le Zaïre sous influence. Laide « au développement » et les prêts au tyran vont bon train, peu importe lusage qui en est fait. La dette du Zaïre et la fortune de Mobutu explosent simultanément. Le stock de la dette passe de 32 à 300 millions de dollars entre 1965 et 1970, près de 5 milliards en 1980 et environ 13 milliards en 1998.
Au début des années 90, après la chute du Mur de Berlin, Mobutu perd son intérêt géostratégique pour les pays riches. Il simule alors une démocratisation en instituant le multipartisme en avril 1990, puis en réunissant une Conférence nationale souveraine lannée suivante. Lâché par les Etats-Unis, le FMI et la Banque mondiale, il ne dispose plus de liquidités suffisantes pour satisfaire au remboursement de la dette et il suspend le service de sa dette. Les intérêts et les pénalités seront capitalisés, gonflant le stock de la dette. La lente agonie du régime commence. Il est renversé par Laurent-Désiré Kabila en mai 1997. Ce dernier assassiné, son fils Joseph le remplace en janvier 2001.
La dette aujourdhui
A la fin 2003, le stock de la dette extérieure de la RDC sélève à 10,6 milliards de dollars, selon le rapport du FMI sur la RDC datant davril 2004. Les créanciers sont bilatéraux pour environ les deux tiers et multilatéraux pour le dernier tiers. Plus précisément, elle se répartit de la façon suivante :
En ce qui concerne la dette détenue par le club de Paris, qui sélève à 6,2 milliards de dollars, la répartition entre Etats créanciers est la suivante :
Créanciers bilatéraux du Club de Paris |
Part de la dette détenue par le Club de Paris (en %) |
Etats-Unis |
22,6 % |
France |
17,7 % |
Japon |
16,1 % |
Italie |
11,3 % |
Belgique |
9,7 % |
Allemagne |
6,5 % |
Pays-Bas |
3,2 % |
Autres |
12,9 % |
TOTAL |
100,0 % |
Linitiative PPTE
La RDC a été retenu parmi la quarantaine de pays bénéficiaires de linitiative « pays pauvres très endettés » (PPTE). Mais un pays ne peut bénéficier dallègements de dette au titre de cette initiative sil a des arriérés de paiement envers le FMI et la Banque mondiale : la première tâche fut donc de demander ces remboursements au gouvernement congolais. Comme les moyens faisaient défaut, des pays (dont la France et la Belgique) et la Banque mondiale ont prêté à la RDC pour quelle puisse rembourser ses arriérés, puis les créanciers bilatéraux ont été remboursés par un prêt du FMI à la RDC du même montant. Pour être éligible à linitiative PPTE, un pays doit aussi avoir suivi pendant au moins trois ans un programme dajustement structurel. Joseph Kabila sest donc résolu à ouvrir économiquement son pays, ce qui facilite évidemment laccès des sociétés transnationales à ses incroyables ressources naturelles (cuivre, coltan, uranium, diamant, or, agriculture, pêche…) et humaines …
Dès juillet 2003, le point de décision (létape intermédiaire de lIPPTE) est atteint. Les créanciers se sont engagés à annuler 6,3 milliards de dollars de dette quand la RDC atteindra le terme de linitiative (point dachèvement), probablement en 2006. Comme 78% de cette dette est constituée darriérés, le service de la dette payé par la RDC, qui était en défaut de paiement, sera en réalité plus élevé après quavant linitiative !
Dans un pays où plus de trois millions de personnes ont été victimes de la guerre depuis 10 ans et où 80% de la population vit avec moins de 0,2 dollar par jour, le remboursement de la dette restera un poids insupportable, même à lissue de lIPPTE. En réalité, on peut interpréter lIPPTE, dans le cas de la RDC, comme un jeu décritures qui permet surtout aux créanciers deffacer les créances insolvables et de gommer les traces dune dette que chacun saccorde à qualifier dodieuse.
La dette congolaise est-elle odieuse ?
1. Absence de consentement : le peuple congolais na pas eu son mot à dire
La dette de la RDC provient très largement de la période Mobutu et des arriérés de retard de la dernière décennie dinterruption de paiements. A lépoque, les institutions étaient sous contrôle total de Mobutu. Parvenu au pouvoir par un coup dEtat en 1965, il balaie rapidement toute opposition politique au nom de "lunité du pays", nhésitant pas à faire exécuter en public ses principaux détracteurs (les pendus de la Pentecôte en 1966). Il interdit les partis, suspend le droit de grève et, pour asseoir encore un peu plus son pouvoir, crée en 1967 un parti unique, le Mouvement Populaire de la Révolution. Son régime despotique est essentiellement fondé sur la corruption et la terreur. Les violations des droits humains sont systématiques, comme lattestent de nombreux rapports rédigés par des institutions et organisations internationales de défense des droits de lhomme . Même après avoir autorisé officiellement le multipartisme, en avril 1990, il mate aussitôt tout mouvement contestataire, comme latteste le massacre dune cinquantaine détudiants à Lubumbashi, en mai de la même année.
2. Absence de bénéfice : la dette na pas profité au peuple congolais
Un faisceau déléments nous amène à conclure que la dette contractée par le régime de Mobutu na pas directement profité à la population congolaise.
Un système de corruption institutionnalisé. Le premier bénéficiaire des fonds publics du Zaïre nest autre que Mobutu lui-même. Sa fortune en 1997 était estimée à 8 milliards de dollars : environ les deux tiers de la dette extérieure du Zaïre à lépoque. En réalité, lhistoire de son règne se confond largement avec celle du pillage des ressources du Zaïre.
Rapidement après son arrivée, sous prétexte de doter lEtat dun capital national, Mobutu entame la zaïrianisation du patrimoine détenu par des investisseurs étrangers, avec un pic en 1973. Dans un contexte dindépendance, cette réforme fut assez populaire, mais les bénéficiaires furent soigneusement choisis. Les premiers servis furent Mobutu lui-même et son épouse : ainsi, en 1974, le couple présidentiel devint propriétaire dun consortium regroupant 14 sociétés délevage et de plantations (CELZA) et de deux gros domaines agro-industriels (lun à NSele et lautre à Gbadolite).
Les ponctions dans les caisses de lEtat furent aussi une source stable et abondante denrichissement pour le clan Mobutu : dotation présidentielle (officiellement 15 à 20% du budget opérationnel de lEtat), transfert illicite sur des comptes personnels à létranger ou dépenses mystérieuses (environ 18% du budget, daprès une étude de la Banque mondiale en 1989, pour les " autres biens et services ", souvent pour des dépenses somptuaires ou lachat de matériel militaire).
Le détournement des gains dexportations de minerais fut sûrement la plus lucrative des ponctions du clan Mobutu. Des rapports de la Banque mondiale parlent du détournement de 150 à 400 millions de dollars des revenus annuels dexportations de cuivre et de cobalt, détenus par des entreprises dEtat.
Des investissements de prestige. Dans les années 70, alors que lenvolée des cours du cuivre et dautres matières premières incite à loptimisme, Mobutu endette massivement le Zaïre. Les grands pays industrialisés se lancent dans des grands projets dinvestissements, qui ne répondent guère aux besoins des populations.
Certaines réalisations furent fictives. Dans certains cas, une fois les frontières franchies, le matériel était abandonné, parfois même coulé dans le fleuve Zaïre. Par exemple, les trente usines dégrenage de coton achetées en 1972 à une firme américaine pour de 7,7 millions US$ par le Ministère de lagriculture furent abandonnées, emballées, dans les gares et aéroports zaïrois.
Certaines infrastructures eurent un coût exorbitant tout en engendrant une dépendance de fonctionnement et de maintenance. Citons la Cité de la Voix du Zaïre, regroupant les infrastructures de la radio et de la télévision publique qui, après un an seulement dexistence, ne fonctionnait quà 20 % de sa capacité, à cause dun matériel inadapté et de labsence dentretien faute dargent.
Les investissements dans des infrastructures à caractère économique (ports, aéroports, gares, routes, centrales électriques, etc.) furent complètement inadaptés et demeurent peu ou pas utilisés. Citons le cas du célèbre barrage dInga. Alors que la région minière du Shaba disposait suffisamment de ressources énergétiques pour faire face à ses propres besoins, contre toute logique économique, la décision fut prise de construire une ligne électrique longue de 1900 km reliant la centrale hydro-électrique dInga à la région du Shaba. A lépoque, ce projet avait pour ambition de construire la ligne haute tension la plus longue du monde. Grâce à cette ligne, le régime pouvait contrôler lalimentation énergétique de cette région et de ce fait contrer les tentatives de sécession de lex-Katanga, qui avait déjà eu des velléités dans ce sens. Le coût final de ce barrage est estimé à 850 millions US$ , intérêts et charges financières non compris, soit environ le cinquième de la dette du Zaïre en 1980. Daprès lOffice des biens mal acquis (OBMA), institué à lissue des travaux de la Conférence nationale, Mobutu aurait largement profité du projet, empochant une commission de 7% sur la valeur totale . En revanche, le poids supporté par les populations est gigantesque pour un si faible apport quotidien : les villages survolés par la ligne nont pas lélectricité dans leur grande majorité et en 2004, seules 6 turbines sur 14 sont en état de fonctionner. Les fréquentes coupures de courant qui en résultent détériorent de nombreux appareils électriques, par exemple chez les 250.000 foyers de Kinshasa ayant théoriquement le courant (sur une population totale estimée entre 10 et 13 millions dhabitants !). Autre exemple financé par la dette extérieure : lusine sidérurgique de Maluku, qui importe dItalie, au double du prix de la fonte, la mitraille dont elle se sert dans la fabrication de lacier, fournit une production inadaptée au marché local. Aujourdhui, les outils utilisés par les agriculteurs congolais, qui auraient dû provenir de Maluku, sont importés du Brésil.
Un pays ruiné. Riche dinnombrables ressources naturelles et humaines, la RDC figure aujourdhui parmi les pays ayant le plus faible indice de développement humain, selon le PNUD. Trente ans de dictature, suivies par deux guerres ont ruiné le pays et condamné la grande majorité de sa population à la misère. Le revenu national brut moyen par habitant ne dépasse pas 0,25 dollar par jour, alors quen 1965, le niveau de développement du Zaïre équivalait à celui de la Corée du Sud…
3. Les créanciers savaient
Alors que la Banque centrale du Zaïre faisait lobjet de nombreuses ponctions par les dirigeants au pouvoir, le FMI décida, en 1978, dy placer un de ses représentants, Erwin Blumenthal, ancien membre du Directoire de la BundesBank. En juillet 1979, il décida précipitamment de quitter son poste suite aux menaces de mort dont il avait fait lobjet par des généraux de Mobutu et en particulier par M. Eluki, chef de la garde personnelle du dictateur . Il écrivit un rapport détaillant précisément les pratiques mafieuses de la « bourgeoisie politico-commerciale zaïroise ». Rendu public en 1982, ce rapport dénonçait « la corruption, érigée comme système caractéristique du Zaïre », donnant même certains noms de firmes étrangères liées au pillage du Zaïre et il avertissait déjà la communauté internationale quil y aurait « de nouvelles promesses de Mobutu et des membres de son gouvernement, qui rééchelonneront encore et encore une dette extérieure toujours croissante, mais aucune perspective nest offerte aux créanciers du Zaïre de recouvrer largent quils y ont investi dans un futur prévisible. ».
Autrement dit, dès 1979, les principaux bailleurs de fonds du régime, très liés au FMI, avaient connaissance des pratiques frauduleuses et du risque quils encouraient en continuant à prêter au régime. La poursuite de leur politique de prêts résulte donc de leurs intérêts bien compris, non de ceux des zaïrois. Certains y ont même trouvé un bénéfice personnel ou partisan, largent prêté étant souvent rapatrié directement sur les comptes privés du clan Mobutu et de leurs amis, dans les banques occidentales. Selon Jean Ziegler, le système des pots de vin dont a bénéficié Mobutu nécessitait « une ingénierie financière quaucun pays du Sud et quaucun de leurs gouvernements ne possèdent. (…) ». Il conclut que sans « lassistance technique des puissances financières occidentales (banques, intermédiaires financiers, etc.) (…), cela ne pourrait pas fonctionner » .
Le président de la Cour des Comptes de RDC, en avril 2004, est encore plus clair : " On estime que 30% de la dette de la RDC est entrée dans la corruption. (…) Qui a empoché ? Les bailleurs de fonds et les bénéficiaires des crédits » .
Source: CADTM – auteur Damien Millet (CADTM) – juillet 2004.