Actes de la rencontre élargie du Groupe de travail "Femmes, Guerres et Paix" de la Commission Femmes et Développement

Abstract

 

Le programme de la réunion était centré sur les dispositions prévues par la résolution 1325 en matière de gestion des conflits, de consolidation de la paix et d’égalité de genre, avec pour objectif de dégager des propositions de travail et recommandations à partir des revendications relatives aux actualités socio-politiques en République Démocratique du Congo.

 

Elise Muhimuzi a exposé quelques priorités identifiées par le groupe de suivi de la résolution 1325 au Conafed. Elle a évoqué la mise en oeuvre des 21 mesures très concrètes issues du rapport du Secrétaire général sur les femmes, la paix et la sécurité au Conseil de Sécurité, mais aussi les difficultés rencontrées par les femmes en lien avec le processus électoral. Ensuite, Bob Kabamba a décrit l'état actuel du processus électoral, en analysant plus précisément le projet de loi électorale et la nouvelle constitution, dans une perspective de genre. 

Un premier débat a mis en évidence les difficultés rencontrées et les stratégies des associations de femmes congolaises dans le combat pour la parité.

 

Dans un deuxième temps, la réunion s'est structurée en table ronde pour aborder le projet de protocole sur la violence sexuelle de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (thème introduit par Ivan Godfroid), la question du DDR et le renforcement de la prise en compte du rôle des femmes (introduit par Bob Kabamba), et la lutte contre l'impunité pour les auteurs de violences à l'égard de civils et plus particulièrement des femmes et petites filles (introduit par Françoise Guillite).

 

Lors d'un dernier échange de questions et réponses, les participants ont dégagé quelques pistes de travail et recommandations concernant le soutien international (et plus particulièrement celui du Gouvernement belge), aux organisations de femmes et à leur contribution au processus de reconstruction, à l’implication des femmes dans le processus électoral à tous les niveaux et aux besoins spécifiques des femmes et filles, éternelles oubliées du processus DDR 

Priorités identifiées par le groupe de suivi de la résolution 1325, Conafed [Elise Muhimuzi]

 

Les associations féminines ont développé plusieurs activités autour de la  résolution 1325, votée en 2000 au Conseil de Sécurité des Nations Unies, et qui a été une étape très importante dans la reconnaissance du rôle des femmes dans les zones de conflits. En 2001, 2002 et 2003 des membres du Conafed ont participé dans plusieurs pays africains (Afrique du Sud, Guinée, Rwanda) à des formations des Nations Unies sur les techniques de négociation, de médiation, et de gestion des conflits.

Elles ont traduit la résolution vers les quatre langues nationales de la RDC et ont commencé à la diffuser. Mais assurer le suivi de la résolution n'a pas été facile, car les organisations n'ont pas été appuyées.

Actuellement, le réseau travaille à la mise en oeuvre des 21 mesures très concrètes issues du rapport du Secrétaire général sur les femmes, la paix et la sécurité au Conseil de Sécurité.

On peut pointer quelques lignes prioritaires du plan d'action, concernant :

la reconnaissance de l'impact des conflits armés sur les femmes et les petites filles (mesures 1 et 2). Avec la mesure 2, qui recommande d’ "identifier et utiliser les sources d’information locales sur l’impact des conflits armés et des interventions des opérations de paix sur les femmes et les petites filles, ainsi que sur le rôle et la contribution de ces dernières dans les situations de conflit, notamment par l’établissement de contacts réguliers avec les associations féminines et les réseaux de femmes", la CONADER[1] est explicitement appelée à travailler avec les associations de femmes, en collaboration avec l'UNIFEM, le PNUD, la MONUC.

l'importance du cadre juridique international , la condamnation des violations des droits fondamentaux des femmes et des filles (mesures 3 à 6) : en fait, ni les tribunaux ni la commission sur l'impunité n'ont commencé à travailler.

les processus de paix et les opérations de maintien de la paix (mesures 7 à 12). Pour la septième mesure ("intégrer expressément une perspective sexospécifique dans les mandats des missions du Conseil de sécurité dans les pays et régions touchés par des conflits(…)"), les associations de femmes essayent de travailler avec la MONUC, mais très peu d'organisations parviennent à s'impliquer, car les opérations sont essentiellement militaires. On retrouve la même problématique pour la mesure 12, recommandation de "faire en sorte de disposer des ressources financières et humaines nécessaires aux fins de l’intégration d’une démarche sexospécifique, y compris la création de postes de conseillère pour la parité ou de groupes de la parité des sexes dans les opérations de maintien de la paix pluridimensionnelles et des activités de renforcement de capacités, ainsi que de projets destinés aux femmes et aux petites filles, dans le cadre du budget des missions".  Dans les faits, les associations ont essayé de collaborer, notamment au Kivu, avec la MONUC, mais ce n'est pas sans difficultés : les militaires ont du mal à comprendre en quoi consiste une approche genre. Par contre, la mesure 9, "veiller à ce que les femmes participent pleinement aux négociations sur des accords de paix aux niveaux national et international)…", a bien été suivie, notamment grâce au soutien de l'UNIFEM. Lors de la Conférence Internationale, des déléguées et des expertes ont joué un rôle dans la négociation.

les opérations humanitaires (mesures 13 et 14).

l'intégration de la parité dans les processus de reconstruction et de relèvement (mesures 15 à 18). "Veiller à ce que les groupes et réseaux de femmes participent activement aux efforts faits pour assurer la maîtrise locale de la reconstruction, en particulier au stade de la prise de décisions " est une priorité actuelle du Conafed, notamment à travers les actions visant à accroître la participation des femmes au processus électoral, à leur donner les outils nécessaire à cette participation.

le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (mesures 19 à 21)

 

En résumé, ces 21 mesures ont été prises en compte en synergie par les associations pour élaborer leur plan d'action. Le Conafed travaille avec d'autres réseaux et partenaires de la société civile pour faire traduire dans le concret le principe de parité qui a été inscrit dans la constitution. L'accent est mis aujourd'hui sur le travail sur la loi électorale, thème qui va être développé dans l'exposé de Bob Kabamba.

Soutien à l’implication des femmes dans le processus électoral [ Bob Kabamba]

 

Bob Kabamba rappelle d'abord que le débat sur la parité a commencé avec l'élaboration de la constitution, et que ce débat a été parfois houleux. Le principe de parité a été inscrit dans le préambule de la constitution. Dans l'article 14 de la constitution, cette intention est traduite ainsi : "les pouvoirs publics veillent à l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard de la femme et d'assurer sa protection et la promotion de ses droits". Alors que le préambule stipule que l'Etat va formaliser la parité, le corps du texte ne formalise pas, et dit simplement que l'Etat va favoriser la parité dans les institutions.

Concernant la loi électorale, le projet de loi vient d'être adopté par le Gouvernement, et va être bientôt soumis au Parlement. Si ce projet est accepté, il est clair qu'il n'y aura jamais de vraie représentation des femmes dans les institutions nationales, provinciales et locales. En effet, un seul alinea (dans l'article 12) mentionne les femmes, textuellement : "l'ordre de présentation des candidats sur chaque liste est établi en tenant compte de la représentation de la femme et de la représentation de la personne vivant avec un handicap". C'est la seule tentative de mise en oeuvre des dispositions inscrites dans la constitution.

Il est donc urgent d'attirer l'attention du Parlement sur les points suivants. D'abord, s’il y a des listes, il faut que les femmes soient sur ces listes, mais aussi qu'elles soient en ordre utile pour être élues. Ensuite, beaucoup de politiques au Congo ne veulent pas de listes bloquées mais un système de voix de préférence. Or, cela désavantage les femmes, qui n'ont pas les moyens financiers pour la campagne électorale. A cela s'ajoute le problème posé par les dispositions spécifiques précisant les conditions à remplir pour être candidat, où l'on lit (article 113) qu'il faut déposer "une caution non remboursable de 1000 francs fiscaux[2]" : jamais les femmes ne pourront mettre cet argent sur la table!

Toutes ces questions méritent une mobilisation générale.

Premier débat

 

Eliane Najros [Dimitra] souhaite un éclaircissement sur ce que recouvre exactement la notion de "parité" pour le Parlement : 50% de femmes? Quelques femmes?

Par ailleurs, qui dit "listes", dit "partis". Ne peut-on pas obliger les partis à assurer une représentation égalitaire 50/50 sur leurs listes? Enfin, il faut utiliser tous les moyens pour communiquer sur l'importance de ces élections; notamment les radios.

Bob Kabamba répond à cela que si dans l'esprit du constituant, la parité c'est clairement 50/50, lorsqu'on discute avec les différentes composantes, on constate que ce principe a parfois été accepté sans réfléchir à ce qu'il impliquait. Quant on commence à expliquer concrètement que dans une circonscription électorale une liste qui peut présenter dix candidats doit présenter cinq hommes et cinq femmes, et que de plus les femmes doivent être en ordre utile (par exemple en faisant des listes "zébrées"[3]), les hommes commencent à comprendre qu'il vont devoir faire de la place, et ce n'est pas sans difficultés.  

Hélène Ryckmans [Le Monde selon les femmes et CFD] demande ce que recouvre le "on" dont Bob Kabamba dit qu'il discute avec les différentes composantes. Qu'en est-il du soutien international et du rôle actuel de la Belgique dans le processus électoral?

Bob Kabanba précise que le "on" dont il fait partie est un groupe d'experts auprès du Parlement congolais, groupe composé d'universitaires belges , congolais et africains, mandatés pour apporter leur expertise dans la rédaction des textes. Le soutien financier du Gouvernement belge est très important: 13 millions d'euros ont déjà été débloqués pour le financement des élections.

Yvette Makilutila [La Zaïroise et ses sœurs] doute que la population soit bien informée sur le processus. Elle évoque également le flou qui règne concernant la date des élections. Par ailleurs, le gouvernement ne peut-il pas soutenir financièrement les campagnes des femmes?  

Maggi Poppe [NVR et CFD] observe que si la Belgique est un bailleur de fonds importants, on devrait pouvoir obtenir le financement d'une campagne "votez femmes".

Bob Kabamba confirme que les gens ne sont pas assez au courant, notamment concernant la constitution qui va être soumise à referendum. Tout un travail de vulgarisation reste à faire. Quant à se demander si les élections, c'est du sérieux, la réponse est oui. Il y a énormément de moyens investis, financiers et logistiques, et une forte mobilisation de la communauté internationale. Quant à la sensibilisation à l'importance de voter pour des femmes, elle est fondamentale, et il faut interpeller les gouvernements belge et européen. 

Elise Muhimuzi pense qu'il est possible de se mobiliser pour les campagnes d'information. Mais sur le terrain, les choses ne sont pas simples. Outre les difficultés logistiques, il y a une difficulté liée à l'accès aux fonds disponibles : seules les organisations internationales, et non la société civile nationale ou locale, ont accès aux fonds internationaux destinés notamment à financer des campagnes d'information et de sensibilisation. Or, les associations locales pourraient avoir des idées de campagne d'information bien plus percutantes. La CEI communique avec l'image d'un train : "le train des élections en marche!" Voilà un symbole bien mal choisi, quand pour les Congolais le train est surtout synonyme de quelque chose qui ne marche pas, toujours en panne, n'arrivant pas à l'heure, etc… Par ailleurs, les ONG's internationales créent des campagnes d'affichage nationales, sans prendre en compte les spécificités et sensibilités de chaque province, et donc ratent leur cible.

Bob Kabamba ajoute qu'il existe un programme de financement des activités locales en sensibilisation électorale, financé par le projet APEC[4]  et géré par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). L'APEC a décidé d'octroyer 150000 $ par province pour les initiatives locales: elles en disposent à condition de se fédérer. Mais ce montant est évidemment dérisoire.

Pamphile Sebahara [GRIP] se demande si, dans certaines circonscriptions, il n'est pas difficile de trouver des candidates.

Pour Elise Muhimuzi, ce n'est pas un problème : il y a suffisamment de femmes capables pour construire des listes paritaires. Il faut aller les chercher là où elles sont, les former, les faire connaître. Le problème, qui n'est pas spécifique au Congo, c'est qu'on exige beaucoup plus d'une femme que d'un homme.

Enfin, concernant l'après élections, Marc Kerkhove [CNCD] demande si les associations de femmes travaillent déjà sur un memorandum à adresser aux futures femmes parlementaires.

Elise Muhimuzi répond qu'en terme de plaidoyer, la première revendication est l'obtention de textes de loi où la parité est inscrite de manière non équivoque. Par exemple, quand la constitution stipule que la femme devra avoir une représentation "équitable" au niveau politique, c'est sujet à toutes les interprétations, à commencer par celle qui consiste à dire que cette représentation est assurée lorsqu'il y a deux femmes au Sénat! Le travail prioritaire du Conafed est donc d'obtenir une loi claire, ensuite seulement vient la vigilance sur l'application des lois.


Le projet de protocole sur la violence sexuelle de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs [exposé de Ivan Godfroid]

 

Où se situe la dimension genre dans le processus de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs?

Une Conférence Internationale est une entreprise vaste et complexe. Il a fallu réunir à une même table 11 pays[5] qui bien souvent ne se connaissaient que comme belligérants.

On peut distinguer trois étapes de la Conférence Internationale (pré-sommets, entre-sommets et post-sommets), et quelles inflexions positives pour les femmes peuvent y être apportées aujourd'hui.

La première phase a servi a élaborer la déclaration de Dar es-Salaam. Ce travail préparatoire de consultations multiples, nationales et régionales, était assorti de concertations sectorielles régionales sur des préoccupations particulières: jeunesse, femmes, société civile.

La deuxième phase est celle de l'opérationalisation. Des groupes techniques thématiques ont été mis en place pour réfléchir en priorité sur les secteurs en question. Ceci a permis l'élaboration d'une liste de projets programmes et protocoles prioritaires qui seront présentés aux chefs d'Etats lors du deuxième sommet[6]. A ces programmes et protocoles sont liés des projets concrets, avec un calendrier et un budget.

Si la dimension genre est présente de manière transversale dans nombre de ces textes, il y en a trois où elle est explicite.

  • Le Protocole sur la prévention et la suppression de la violence sexuelle à l’égard des femmes et des enfants.

Ce protocole sera inclus parmi d'autres dans un pacte global pour la Région des Grands Lacs, et c'est ce pacte global qui sera signé.

  • Le projet n° 4.3.2, intitulé "Prévention, lutte contre l’exploitation sexuelle, abus et violence basée sur le genre et assistance aux victimes", qui s'inscrit dans le programme d'action "Développement des compétences, assistance et soutien psycho-social aux groupes ayant des besoins spéciaux".

  • Le projet n° 2.5.1, "Forum régional des femmes", qui s'inscrit dans le programme d'action "Participation équitable et autonomisation des femmes, de la jeunesse et des groupes vulnérables".

Pour être efficaces, ces engagements régionaux nécessiteront un soubassement dans les législations nationales.

Plus généralement, concernant le processus, on peut relever des points forts: un réel dialogue entre les différents protagonistes, l'impact de la "peer pressure" (comme d'autres pays s'engagent, il est plus difficile de tenter d'imposer son agenda propre par rapport à celui du voisin), qui évolue vers du "peer learning".

Du côté des points faibles, on notera le décalage entre le discours et la réalité en terme de consultation des sociétés civiles.

La Conférence Internationale a aussi généré des tensions. Par exemple, la tension entre la création de nouvelles institutions et le focus sur les réalisations concrètes. Ou encore la  tension entre la communauté internationale, plus précisément le Groupe d'amis[7] soucieux de contrôler les fonds engagés dans le processus, et les états qui veulent réaliser leurs propres objectifs. Autre écueil à éviter : ce programme de quarante-cinq projets et onze protocoles risque d'être utilisé comme une "shopping list", alors qu'il importe de garder une vue programmatique, établissant des priorités.

En conclusion, si le potentiel de cette initiative est réel, rien n'est acquis, et l'on ne saurait trop insister sur l'importance du monitoring de la société civile.

 

La question du DDR [quelques réflexions de Bob Kabamba]

 

On a d'abord évalué à 340.000 le nombre des ex–combattants ayant appartenu aux différentes composantes belligérantes, qu’il faudrait brasser, intégrer dans la nouvelle armée ou démobiliser, selon les cas. Au cours des vérifications, les Nations Unies sont plutôt arrivées à un chiffre 200.000 combattants.

Il s’agit d’abord d’identifier ceux qui sont aptes à être démobilisés, puis ceux qui sont aptes à faire partie de la nouvelle armée, et qui seront intégrés dans le processus dit « de brassage ».  Dans les critères de démobilisation, il y a notamment une limite d'âge[8]. Les enfants-soldats ne sont donc pas concernés, mais repris dans un programme spécifique.

La question des femmes est un point important. Beaucoup de femmes combattantes ont été enrôlées de force, et en étant mineures d'âge. Elles ne sont pas reprises dans le processus de brassage  pour intégrer la nouvelle armée, mais les programmes ne reconnaissent pas les besoins particuliers des femmes. Par rapport à l'intégration, l'objectif est de créer seize brigades. Actuellement, seulement six brigades ont pu être créées, soit 20.000 hommes « brassés » et intégrés.

Le processus de DDR dysfonctionne, pour plusieurs raisons. D'abord, les factions combattantes envoient de nouvelles recrues vers la démobilisation, plutôt que leurs vraies forces combattantes. Ensuite, il y a des problèmes financiers, un retard du Gouvernement congolais à débloquer les fonds prévus. A quoi s'ajoute la question de la paie des militaires. Un montant mensuel, calculé sur base des 340.000 hommes, était distribué aux différentes composantes mais l'argent n'arrivait pas aux soldats. Il a alors été proposé que la paie des militaires soit gérée par la communauté internationale, mais le Gouvernement congolais a refusé. Autre dimension importante : le problème des armes des combattants démobilisés. La récolte était gérée au début par les petits chefs de guerre, avec les dérives que l'on imagine.

Un autre gros problème est l'absence de vrais programmes de réinsertion pour les combattants démobilisés et non intégrés à la nouvelle armée. Quelqu'un qui rend son arme en échange de par exemple 100 dollars soit ne sait pas quoi faire avec l'argent, soit l'utilise immédiatement pour acheter une autre arme. Toutes ces personnes démobilisées sont des potentiels clients pour un futur seigneur de guerre. Par ailleurs, les généraux qui ont été arrêtés à Kinshasa avaient laissé des troupes dans les zones de combats. Ces milices sont alors passés au commandement des nouveaux chefs, qui sont beaucoup plus violents.

 

Lutte contre l’impunité : attentes des femmes et appui à envisager  [Exposé de Françoise Guillite]

 

Malgré tous les accords de paix, les violences contre les femmes continuent en RDC, la situation dans l'Est étant particulièrement préoccupante. Les auteurs principaux de ces exactions sont toutes les parties au conflit. Les civils, et les femmes en particulier, sont victimes d'une violence pure.

Pour en sortir, il faut que cesse le règne de l'impunité, et que les auteurs des crimes sachent qu'ils seront poursuivis et jugés selon les normes internationales.

Mais comment s'explique cette impunité, alors que les viols sont condamnés tant dans la législation internationale que nationale? On peut établir un parallèle certain entre cette impunité et celle dont jouissent en temps de paix les auteurs de violences domestiques ou sexuelle à l'encontre des femmes. Les femmes victimes se heurtent à de nombreux obstacles pour obtenir justice, et ce davantage en temps de guerre. Dans le cas d'agressions sexuelles, les femmes ne veulent pas porter plainte ou témoigner, de peur d'être stigmatisées ou agressées. A une certaine indifférence des autorités judiciaires face à ce type de violences s'ajoutent des obstacles tels que la destruction partielle du système judiciaire, un climat de danger et de confusion sociale, des coutumes et traditions discriminatoires, la difficulté d'obtenir des preuves médico-légales (vu les problèmes de dysfonctionnement des hôpitaux), le grand nombre de suspects, et le coût de la procédure judiciaire (les plaignants doivent payer tous les frais inhérents au procès).

De plus, en RDC comme dans d'autres zones en conflits, il semble que certains groupes armés bénéficient du soutien ou de l’aval explicite ou tacite des pouvoirs publics, et il importe que l'État ne puisse pas se dérober à la responsabilité qui lui incombe de contrôler ces éléments.

Il faut insister pour que les groupes en conflit respectent les principes du droit international humanitaire[9], et il faut notamment veiller plus attentivement à ce qu’ils respectent les droits fondamentaux des femmes et sanctionnent leurs membres qui sont coupables de viols, d'attentats à la pudeur, ou d'autres violences contre les femmes.

Concernant ce point, la question a été posée de savoir s'il faut établir de nouvelles normes de protection des femmes dans les situations de conflits. Il y a plusieurs écoles. Pour le CICR, il y a assez de règles, et il faudrait plutôt les appliquer de manière cohérentes. D'autres proposent d'élaborer un nouveau traité. D'autres encore proposent de réinterpréter toutes les dispositions existantes dans une perspective spécifiquement liée au genre.

Il ne faut pas négliger les défenseur-e-s des droits des femmes, qui sur le terrain ont fait un énorme travail pour contrer l'idée que sur l'obtention d'une réparation serait inaccessible. La création de la Cour pénale internationale est aussi un résultat de la mobilisation des femmes. Certains prévenus ont déjà été déclarés coupables de viols constitutifs de crimes de guerre. C'est un signal vers les responsables d'exactions : ils doivent savoir qu'un jour il se retrouveront devant le Tribunal pénal international.

Le 23 juin 2004, le Procureur de la Cour pénale internationale a annoncé l’ouverture de la première enquête concernant des «crimes graves» commis en RDC. Elle portera notamment sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre (meurtres, viols et actes de torture, etc.) perpétrés après le 1er juillet 2002, date d’entrée en fonction de la Cour.

Les femmes qui témoignent devant ces instances peuvent aussi être en danger. Une femme entendue en qualité de témoin par le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été assassinée avec son mari et ses sept enfants alors qu’elle rentrait chez elle après sa déposition.

Au niveau des recommandations, Amnesty International appelle également les États à coopérer au nom du principe de la compétence universelle. Il faut que les États promulguent des lois permettant de poursuivre les auteurs présumés de crimes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, en particulier de crimes contre des femmes, devant n’importe quelle juridiction, même dans un pays autre que celui où les actes incriminés ont été commis.

Pour de nombreuses femmes victimes de violences, l’aboutissement des poursuites ne constitue pas la fin de leur combat pour la justice. Le droit international relatif aux droits humains exige que les victimes et leur famille obtiennent réparation quand leurs droits fondamentaux ont été violés. Cette notion de réparation est très importante. Il faut une réhabilitation de la victime et une indemnisation. A l'heure actuelle, les dispositions concernant ces mesures de réparation sont insuffisantes. en RDC, le droit national devrait comporter des dispositions relatives à la réparation et les femmes victimes de violences devraient bénéficier d’une meilleure assistance pour se reconstruire.

La participation des femmes dans l'élaboration et  la mise en œuvre du processus de reconstruction est primordiale. "Les femmes sont les bâtisseuses de la paix", et la résolution 1325 est un outil essentiel, qui reconnaît aux femmes leur rôle d'actrices dans la recherche de solutions.

Enfin, il faut insister sur la solidarité à avoir avec les femmes congolaises, qui travaillent pour la justice et la paix dans des conditions extrêmement  difficiles et dangereuses. Il faut qu'on les soutienne et qu'on les aide. C'est là que la Commission Femmes et Développement a un rôle à jouer.

Deuxième débat

Concernant les programmes et protocoles de la Conférence Internationale, Eliane Najros fait remarquer que, une fois de plus, les femmes ont été "casées" dans les groupes vulnérables, avec les personnes handicapées. Il faut éviter ce type de regroupement : les femmes peuvent être vulnérabilisées par la société, mais ne naissent pas vulnérables!

Gladys Cifuentes [Solidarité Socialiste] s'interroge sur les moyens qui sont donnés à la société civile pour tenir le rôle d'acteur réel du processus.

Ivan Godfroid précise que pour l'instant, si des budgets ont été établis pour les programmes et projets, il n'y a aucun engagement financier de quiconque. Un test de crédibilité serait que les pays concernés se mettent ensemble pour dégager des fonds pour démarrer les projets.

 

Par rapport au DDR, Maggi Poppe fait référence au texte de la conférence de la Commission Femmes et Développement sur les enfants soldats. Il faut démilitariser le processus de DDR. Il faut faire cesser les situations où, comme en RDC, les forces armées sont favorisées lors du processus de reconstruction. 

Bob Kabamba confirme que le processus DDR est un processus militaire, où les aspects "enfants", "femmes" ne sont pas pris en compte. En fait, dans les phases de "Désarmement, Démobilisation et Réinsertion", l'aspect "réinsertion" est réduit à l'aspect intégration (brassage), il n'y a pas de budgets pour la réinsertion.

Concernant le brassage où sont envoyées des nouvelles recrues et non les vrais combattants, Pamphile Sebahara souhaite savoir qui peut tirer la sonnette d'alarme.

Concernant les questions d'évaluation, Bob Kabamba répond qu'il y a un processus d'évaluation interne prévu pour le travail du Conader, mais pas d'organisations externes en charge de cette évaluation. Il ajoute que pour le paiement des militaires, des mécanismes sont à l'étude pour s'assurer que l'argent arrive bien aux soldats des brigades intégrées.

Pour Yvette Makilutila, à entendre la façon dont le DDR se passe, on a l'impression de tourner en rond dans une spirale guerrière qui n'a pas encore pu être arrêtée. Elise Muhimuzi partage ses interrogations. Quand on entend les rapports sur le DDR, la conférence Internationale, la violence contre les femmes, et le processus électoral, on voit que tout se passe en même temps, sur un même tableau, sans pouvoir percevoir où on va. Rien ne semble être maîtrisé. Quel est le programme qui pourrait servir de base aux autres pour obtenir un résultat? Créer la nouvelle armée?

Bob Kabamba observe que pour la communauté internationale, la clé, c'est le processus électoral. En avril 2005, on a affirmé que la priorité c'était la sécurité, comme base pour rendre possible le processus électoral. Mais la sécurisation ayant du retard, on a inversé les priorités, pour accentuer les efforts vers les élections, en espérant que la machine électorale aura un impact positif sur le DDR et sur la Conférence Internationale.

Il a, comme Elise Muhimuzi, le sentiment que rien n'est maîtrisé, que le processus n'appartient pas aux Congolais. La MONUC est là, mais n'apporte pas de solutions aux problèmes de sécurité. Les experts ont également l'impression que le processus électoral est en train de rater sa cible; la population ne s'approprie pas le processus.

 

Quelles pistes de travail envisager? 

* Le texte de la Loi électorale va être bientôt adopté au parlement. Il est urgent d'agir à ce niveau. Un travail de sensibilisation doit aussi être effectué auprès des partis politiques congolais pour qu'il intègrent la dimension genre dans leur programme, dans la constitution des listes, etc.. 

 

* Yvan Godfroid souhaite que les textes des programmes et protocoles soit comparés avec les recommandations d'Amnesty International. Hélène Rykmans rappelle que le CFD peut servir d'appui pour relire les projets et protocoles.

 

* Les propositions et le plaidoyer du Conafed doivent être portés à la connaissance des parlementaires congolais, mais aussi des parlementaires belges[10].

 

* Du côté belge, il faut aussi examiner les possibilités à la DGCD et au Ministère des Affaires Etrangères, en terme de financement et aide à la recherche de relais institutionnels pour le programme "femmes et élection" du Conafed, tant pour la sensibilisation que pour la formation des femmes candidates. Il y aurait des possibilités de financement sur la ligne de la diplomatie préventive.

 

* Au niveau des outils : la radio est un bon support pour ce type de campagne. Il faut utiliser les outils qui ont déjà été mis au point par d'autres (par exemple les modules de formation à la participation électorale de l'UNIFEM) et les réseaux qui existent déjà, ou en tout cas avoir une concertation avec les autres acteurs engagés dans les opérations d'éducation civique. Par rapport aux documents et autres outils de campagnes qui seront produits par la Conférence Internationale, un enjeu sera d'assurer leur diffusion partout dans le pays. Ceci incombera sans doute à la société civile.

 

 



[1] La CONADER (Commission Nationale de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion) est l'organisation civile gouvernementale qui gère le DDR

[2] 1000 francs fiscaux = 1000 dollars

[3] Une liste "zébrée" = une alternance des sexes sur toutes les places de la liste. (En Belgique : "la tirette").

[4] APEC = Appui au Processus Electoral au Congo.

[5] De six pays au départ, la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs compte aujourd’hui onze membres : Angola, République Démocratique du Congo, Congo-Brazzaville, République centrafricaine, Rwanda, Burundi, Ouganda, Zambie, Soudan, Kenya et Tanzanie.

[6] La date du deuxième sommet n'est pas encore fixée. De plus en plus de voix s'élèvent pour que celui-ci ait lieu après le processus électoral en RDC.

[7] Le Groupe des amis de la région des Grands Lacs africains, co-présidé par la Canada et les Pays-Bas, regroupe
des représentants des Nations Unies et de ses agences spécialisées, de l'Union africaine, d'institutions financières internationales et de 28 pays. Il a pour objectif d'apporter et de coordonner l'appui politique, diplomatique et technique dont les pays membres de la Conférence ont besoin.

[8] Avoir entre 18 et 40 ans.

[9] Les Conventions de Genève et les protocoles additionnels.

[10] Sensibilisation notamment des politiques qui partiront prochainement en mission en RDC. Par exemple, le cdH (Joëlle Milquet et une délégation de 4 personnes) se rendra en RDC vers fin novembre environ.

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