Une Bible Noire : Cosmogonie bantu de Henri Morlighem et Tiarko Fourche (Cult K)

 En effet, le récit présenté est un mythe fondamental, qui révèle aux hommes de l'Afrique centrale un code de vie, avec des équivalents dans toute l’Afrique, confirmant, si besoin en était, son unité culturelle et philosophique. Cette Bible Noire est pour eux aussi fondamentale que la Bible pour les juifs et les chrétiens ou le Coran pour les musulmans, les Védas pour les hindous ou le Popol Vuh pour les amérindiens, le Canon Bouddhique, le Canon taoïste ou les Classiques confucéens .

La trajectoire étonnante d'Henri Morlighem commence à Taintignie (Belgique), où il naît en 1904. Après une formation à l'école de médecine tropicale à Anvers, il s'en va dès 1927 au Congo Belge, où il débute comme auxiliaire médical, d'abord à Lisala (ville située au nord-ouest de la RD Congo), puis au Kasaï, assurant un service exemplaire contre la maladie du sommeil. En 1931, il rencontre à Mwamba Tshisuye (petit poste le long de la rivière Mwanzangoma) le Dr Tiarko Fourche (1890-1942), grand connaisseur de la pensée bantu, qui était arrivé au Congo en 1923. Il en devient vite un disciple fervent. C'est sur le conseil du Dr Fourche qu'il fait de nombreux stages au Musée de l'Homme à Paris, qui le propulsent dans l'ethnologie. Leur communauté de pensée se concrétise par une collaboration soutenue tant sur le plan médical que sur le plan ethnologique. Au bout de 20 ans de recherches, Henri Morlighem (surnommé Maja Mampanya) parvient à pénétrer au cour des traditions orales africaines, en particulier celles des Baluba du Kasaï, et à mettre en lumière les principes explicatifs de la formation de l'univers selon eux, autrement dit, leur cosmogonie. Avec la collaboration de Tiarko Fourche (surnommé Kàmbudyàngà), il a consigné cette pensée avec beaucoup de minutie et de probité dans le livre qu'il a, par manière de provocation, intitulé « Une bible noire » (paru en 1973, chez Max Arnold). A juste titre, les penseurs africains considèrent ce livre comme un ouvrage de référence. En effet, le récit présenté est un mythe fondamental, qui révèle aux hommes de l'Afrique centrale un code de vie. Il a pour eux la même signification que le coran pour les musulmans ou la bible pour les chrétiens. Il est remarquable, d'ailleurs, que ce récit ait des équivalents en Afrique orientale, occidentale ou australe, ce qui confirme l'unité culturelle ou, du moins, philosophique, de l'Afrique. Pour le lecteur désireux de mieux connaître la pensée africaine ou la pensée humaine tout court, mais du point de vue africain, ce livre constitue un guide précieux. Mais avant de nous parvenir, le manuscrit a connu un destin singulier, qui vaut la peine d'être brièvement relaté. Il faut signaler d'abord que, plus d'une fois, Henri Morlighem évite le pire, à Luluarbourg (l'actuelle Kananga). Une première fois en 1944, lors d'une mutinerie de soldats qui revenaient de la Campagne d'Abyssinie et une seconde fois en 1960, lors de violentes émeutes qui accompagnent l'accession du pays à l'indépendance. A cette époque, Henri Morlighem ne doit son salut qu'à son courage calme et aussi, disons-le, à l'héroïsme du colonel M. Depireux qui, au péril de sa propre vie et fort de son prestige, le fait libérer d'un cachot surchauffé comme un étouffoir. Toutefois, il perd 200 têtes de bétail ainsi que toutes ses notes, excepté, fort heureusement, le brouillon de son livre. En effet, au cours des événements de juin 1960, Henri Morlighem est transféré avec d'autres réfugiés de Luluabourg à N'djili (aéroport de Kinshasa). Au moment de quitter Luluabourg, un de ses amis, Me Verdière, lui remet une valise en carton. Celle-ci contient un manuscrit qu'il lui avait confié pour lecture. Elle contient aussi, soit dit en passant, deux chemises, Henri Morlighem étant démuni de tout. Mais l'aéroport de N'djili subit à son tour une attaque et, au cours de la bousculade qui s'ensuit, Henri Morlighem perd tous ses effets, y compris la valise ! Il s'embarque donc pour Bruxelles les mains vides ! Or voilà que, plus d'un mois plus tard, il est convoqué à Zaventem (aéroport de Bruxelles). Pour y récupérer une valise en carton, acheminée par les soins de la Sabena et contenant le manuscrit de « Une bible noire » !
Henri Morlighem meurt en 1982. Homme de science d'une grande modestie, il était aussi à la fois un pionnier et un esprit d'une grande flexibilité. Quelle existence féconde que celle de cet homme qui, après la rédaction de ce livre magnifique, se lance dans le métier d'éleveur, puis de fabricant d' eau gazeuse et même de briquetier ! C'est que fondamentalement, Henri Morlighem était un bâtisseur. Bâtisseur de maisons, mais surtout bâtisseur d' hommes, bâtisseur de vie.

BONTE PRIMORDIALE DE LA CREATION
En
vérité, Maweeja Nnangila avait créé Toutes-les-Choses, et il les avait toutes bien créées. Il avait bien créé le ciel du Sommet et la Terre, mais il ne les avait pas séparés l'un de l'autre. Après avoir créé les Grandes Choses Aînées, il en avait créé deux espèces, dont l'une attachée au Ciel du Sommet et l'autre attachée à la Terre, mais il n'avait pas séparé l'une de l'autre. En sorte qu’il n'y avait qu'une seule Energie et un seul Souffle, une seule Eau et un seul Feu, une seule Lumière et des Ténèbres seules, un seul Soleil, une seule Lune et de Etoiles seules. Et toutes ces Choses étaient de couleur blanche, comme l'est le Ciel du Sommet. Il n'y avait rien de mauvais en elles.
Au ciel du Sommet, il n'existait que de Bons Esprits. Les Choses cadettes ou Créatures avaient été bien créées. Elles étaient composées des Choses Aînées de l'espèce terrestre, mais cette espèce était encore semblable à celle du Ciel du Sommet.
L'Eau et le Feu qui les avaient formées étaient bons ; l'Energie qui les animait était bonne ; la Lumière et les Ténèbres qui alternaient parmi elles étaient bonnes; les Astres de l'espèce terrestre se confondaient dans une seule apparence, celle des Astres du Ciel du Sommet. Ainsi qu'il a été dit, ces créatures n'avaient pas encore de corps charnel.
Elles ne connaissaient ni l'accouplement ni la procréation, en sorte qu'elles ne se flétrissaient ni ne vieillissaient.
Et il en était de même pour l'Homme, que, par surcroît, le Souffle de Maweeja Nnangila avait animé, lui conférant un Esprit. L'apparence de cet Esprit était à la fois celle d'un Homme et celle d'un Esprit, dont la nature était comparable à celle des Esprits du Ciel du Sommet. Aussi, en cette époque, ni la méchanceté, ni l'envie jalouse, n'étaient encore apparues dans le Ciel du Sommet et sur la Terre. Et nul ne connaissait le maléfice.
L'ordre et la Paix régnaient sur la terre et dans le Ciel du Sommet. Nul n'y guerroyait ni ne s'entre-tuait.
Maweeja Nnangila avait bien créé la Mort, car, lorsqu'il avait créé les Esprits, il avait fait des deux premiers des Esprits Cadets, "Compagnon des Enfants", qu'on nomme aussi "Parfaitement Instruit", et "Homme la Mort", ceux des grands Esprits qui président chacun à la vie et à la Mort.
Mais
en cette époque de la création, et bien qu'il eût créé la Mort, la Mort n'avait encore tué personne.

"EQUIVOQUE" ET L'HOMME
Cependant, sachez qu'au début de l'époque que l'on nomme parmi les initiés "Saison Sèche" de la création, durant laquelle Maweeja Nnangila créa toutes les aînées des créatures, il avait créé un Etre, leur aîné à toutes.
Et il l'avait placé à leur tête en qualité de leur Grand Seigneur à toutes.
Il l'avait investi de la Grande Seigneurie sur tous les animaux, ayant droit de regard et pouvoir sur tous leurs seigneurs particuliers, sur ceux des animaux de l'air, sur ceux des animaux de l'eau, sur ceux des animaux de la terre qui marchent sur le sol.
Ce faisant, il l'avait nommé de son nom de Grande Seigneurie, d'un titre que nos ancêtres se transmettaient très secrètement et qui, de même que son histoire, n'est demeuré que dans le souvenir de quelques-uns.
Ce nom, dit-on, était "Kongolo kaa Mukanda", qui signifie, disent les uns, "l'Ordonnateur de la Loi", ou, disent les autres, "Spirale de la Loi".
Les gens des clans de l'Ouest, tels que les Bampende, Bashilele, et autres, désignent encore de nos jours, sous ce nom, l'arc-en-ciel. Pour nous, nous appelons l'arc-en-ciel de deux mots où se retrouve ce nom de Kongolo, mais dans le sens d'une chose rougeâtre : "Mwanza Nkongolo" : "Rayé Rougeâtre". Et l'on saura (plus loin) en quoi ce grand seigneur de jadis, Nkongolo kaa Mukanda, concerne l'Arc-en-Ciel, et le Serpent. …

© Culture K

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