" La dette coloniale " (roman) de Maguy KABAMBA ( Le Potentiel/CuktureK)
Maguy Kabamba, son auteur, sinscrit certes dans une liste déjà longue de ses aînées – écrivains – que sont entre autres Clémentine Nzuji, Elisabeth-Françoise Mweya, Maïthe Mutenke Ngoy, etc., mais qui toutes se sont illustrées en poésie. Elle est donc, à ce jour, une exception pour le genre littéraire quelle exploite.
Que nous donne à lire La dette coloniale ? Lhistoire gravite autour dun certain Mutombo, âgé de vingt-deux ans et détenteur dun diplôme de lInstitut supérieur pédagogique de Lubumbashi. Une carrière denseignant souvre devant lui, mais celle-ci est parmi les plus grands mal payées au Zaïre. Comme pour bien dautres jeunes Zaïrois de sa génération qui cherchent à létranger un mieux être, la mère de Mutombo décide que son fils se rendre en Europe, pour en revenir un jour avec beaucoup dargent et de biens matériels, en particulier des véhicules. Mais le voyage coûte cher, et ses parents se résolvent à vendre la maison familiale. Ayant obtenu tous ses papiers sans difficulté, Mutombo part en compagnie dun cousin surnommé Maître : « On lappelait ainsi parce quen karaté, il égalait Bruce Lee » (p.29). Commence alors la grande aventure : « voir Bruxelles et mourir », se disent-ils, Maître, plus bavard et plus brillant que Mutombo, renchérit : « Voir lEurope et y vivre –jouir, jouir, jouir, Incroyable sed verum, Allais-je, à mon tour, mhabiller comme ces ‘belgicains qui rentraient en vacances au Zaïre, bien pomponnés, superbement coiffés, portant des chaussures brillantes et de beaux vêtements à la mode ? » (p.22).
A Bruxelles, ils sont accueillis par un certain Henri à qui on les a recommandés, et qui se présente ainsi : « On mappelle Grand Henri, entendez par là, Henri Lagardère, mais lui était le petit Parisien, tandis que moi, je suis le grand Parisien » (p.78), Présentation insolite à laquelle Mutombo et Maître ne comprennent rien, signe précurseur de bien dautres surprises désagréables qui les attendent, Pendant que leur hôte les conduit à son appartement, ils sont choqués dentendre une vieille femme belge leur lancer à la tête des insanités racistes. Dans lappartement où Henri vit avec son amie dorigine haïtienne, celle-ci reçoit les deux jeunes gens dans une indifférence totale. Hautaine et sans décence morale, elle les met mal à laise dès les premiers moments de leur rencontre.
Néanmoins, Maître se fait inscrire à la Faculté des Sciences, tandis que Mutombo prend des cours dinformatique le soir, ce qui, pense-t-il, lui permettra de travailler la journée et de venir financièrement en aide à sa famille dès à présent. Au fil des jours, Mutombo et Maître découvrent peu à peu la face cachée de la vie que mènent leurs compatriotes en Europe, dabord en Belgique et plus tard en France. Se dévoilent à eux les réalités de lEurope, jusque-là tues à dessein par leurs concitoyens de retour au pays, qui ne présentaient que le côté idyllique de lEurope : une mine dor, mieux, le paradis où coule constamment le miel. Les Zaïrois qui y vivent lappellent mikili, ce qui se traduit par : lieu où on ne manque de rien.
Les multiples fréquentations que leur procure Henri, non seulement avec des Zaïrois, mais aussi dautres Africains, seront loccasion pour Mutombo et Maître de pénétrer de lintérieur le vécu des immigrés africains en Europe, et de comprendre pourquoi ils sadonnent à des activités louches pour assurer leur survie : vols, escroqueries, coups bas, règlements de comptes, prostitution de jeunes femmes, trafic de documents diplomatiques, dans une société qui a érigé comme principe de vie : chacun pour soi, Dieu pour tous. De tout cela, ils navaient jamais entendu parler avant de venir en Europe. Lun de leurs compatriotes sen défend en ces termes : « Va leur dire que jai dû casser la serrure de cette maison pour y entrer et y habiter, qui va te croire ? » (p.139).
Alors quils avaient rêvé dune Europe où la fortune samasse facilement et rapidement, Mutombo et Maître sont confrontés à une Europe sans foi ni loi, déshumanisante. Plus déçu que Maître qui sest converti à livrognerie, Mutombo déclare dépité : « Jétais déterminé à rentrer au Zaïre. On pouvait mappeler poule mouillée, mais je ne voyais aucun avenir dans ce pays » (p.116). LEurope nayant pu combler leur attente, ils décident de se rendre au Canada pour y tenter une autre aventure.
Au-delà de lintrigue, qui vient dêtre résumée, La dette coloniale propose dabord une lecture très négative de la vie des immigrés en Europe. Ce pessimisme nest toutefois pas absolu dans la mesure où lauteur campe aussi quelques Africains –certes peu nombreux- qui sappliquent à leurs études et qui, pour subvenir à leurs besoins matériels, travaillent honnêtement. Mais laction de ce roman ne se déroule pas uniquement en Europe (Belgique et France). Celle des sept premiers chapitres a pour cadre lAfrique, et précisément le Congo-Kinshasa, ce qui a permis à la romancière dévoquer aussi des problèmes spécifiques au Zaïre et qui, dans leur majorité, se retrouvent ailleurs en Afrique : misère généralisée, croyance tenace, certaines valeurs de la tradition (sorcellerie, fétichisme, rêves, intervention des ancêtres, etc.), clivage insolent qui ne cesse de samplifier entre, dun côté, les riches qui senrichissent de plus en plus, et, de lautre, les pauvres qui restent toujours sur le carreau, dégradation du niveau denseignement à tous les échelons, corruption des dirigeants politiques, rançonnement fréquent de paisibles citoyens par les forces dites de lordre, etc. Bref, la société congolaise est, elle aussi, vue de manière négative et ne présage aucun avenir meilleur. Le pessimisme de lauteur semble total. Cest dire que La dette coloniale est un roman de la désespérance.
Le titre du roman ne semble à première vue nullement traduire le contenu de lœuvre. Sa signification ne séclaire quà partir de certaines déclarations de personnages du roman. Comme celle-ci : « Le principe de la dette coloniale est de faire payer tous les Blancs riches afin de procurer un certain bien-être matériel à ceux qui souffrent au pays » (p.99). Ainsi, les vols spectaculaires auxquels sadonnent quelques Africains en Europe ne sont pas imputables à des facteurs circonstanciels (crise, misère, survie, etc.). Ils sinscrivent dans une philosophie bien précise faire payer aux Blancs le pillage systématique des richesses de lAfrique. A ce propos, « Grand Henri » est plus quexplicite : « Les Belges, en pillant nos richesses, ont-ils pensé à nous ?Ont-ils pensé à la pauvreté quils instauraient chez nous ? » (p.113).
Cest donc cette prise de conscience des Zaïrois du pillage effectué par les Belges – dabord pendant la période coloniale et ensuite dans la période néocoloniale qui continue aujourdhui – qui leur donne le droit de faire payer la dette contractée par les anciens colons. Ainsi sexplique le sens du titre, qui sinscrit dans la logique de lénigme. Dautres écrivains zaïrois ont également usé de cette technique, comme V.Y. Mudimbe avec des titres comme Le bel immonde et lécart.
Maîtrisant bien la technique du suspense, ce roman se rapproche du roman policier qui a influencé plus dun écrivain zaïrois : Antonio junior Nzau dans Traite au Zaïre (1984), Bolya Baenga dans Cannibale (1986) et Pius Ngandu Nkashama avec Le pacte de sang (1984) et La mort faite homme (1986). Par ailleurs, il sagit, on la vu, dun témoignage nourri dun vécu qui soffre comme une vérité ou une évidence. Enfin, quant à la langue, Maguy Kabamba use dune écriture classique, correcte et agréable à lire.
Lauteur, Kabamba Maguy, est née en 1960 à Fizi, dans le Sud-Kivu, et est originaire de la province du Maniema. Elle a suivi des études supérieures (graduée en français) à lInstitut supérieur pédagogique de Lubumbashi et a travaillé comme enseignante du secondaire à Kipushi et à Lubumbashi. En 1985, elle reprend ses études à lécole dinterprètes internationaux de Mons (Belgique) en commençant un programme de traduction (français-anglais-espagnol) quelle termine à lUniversité York de Toronto au Canada. Enseignante dabord à Toronto, elle sera ensuite nommée ambassadrice de la Rd-Congo auprès de la défunte Organisation de lUnité africaine (Oua) à Addis-Abeba. Elle vit actuellement aux Usa. Son second roman annoncé nest pas encore sorti à ce jour.
Critique littéraire
PROFESSEUR ALPHONSE MBUYA
Article publié sur www.culturek.net à la date du 2006-04-22 10:45:27