16.05.06 La bataille sur la tarification de lénergie électrique en RD Congo, par AMEDEE MWARABU KIBOKO
Une brouille est perceptible présentement entre les opérateurs économiques congolais et la Société nationale délectricité (Snel). A la base, les tarifs dits préférentiels que le gouvernement, par le truchement du ministère de lEconomie, a accordés à quelques-unes des entreprises industrielles opérant au pays en vue de leur permettre dêtre compétitives et par, ce fait, soutenir la relance économique. Etant entendu que le secteur privé est le moteur de développement dans un pays qui a opté pour une économie de marché. En effet, la tarification préférentielle remonte aux années 80 et a connu trois étapes.
UNE POLITIQUE DE SOUTIEN A LA CROISSANCE ECONOMIQUE
De 1980 à 1994 , dans lobjectif de la rentabilisation des centrales dInga, la Snel avait instauré une tarification spéciale appelée « tarif préférentiel chaudière » qui était censé inciter certains de ses clients Moyenne tension (Bralima, Utexafrica, Marsavco, etc.) à convertir leurs chaudières à combustible en chaudières électriques, de manière à consommer davantage délectricité. Jusquà ce jour, ce tarif est pratiqué par la Snel au taux de 0,036 Usd le Kwh. La deuxième étape se situe entre 1995 et 1998. Dans le souci de relancer lactivité économique et de mobiliser son énorme créance détenue par ses clients Moyenne tension (Mt) en difficulté du fait des pillages de 1991 et 1993, la Snel, en accord avec le gouvernement, avait réduit de moitié le tarif moyen appliqué de 0,117 Usd/Kwh. Cependant, comme cette expérience na pas totalement produit les fruit escomptés, certaines sociétés nayant pas honoré leurs factures bien que bénéficiant dune réduction, il a été décidé de rétablir le tarif plein, soit 0,117 Usd/Kwh. Toutefois, pour soulager un tant soit peu les industriels, les tarifs délectricité Haute tension (Ht) et Mt seront revus à la baisse (Ht de 0,055 Usd/Kwh à 0,0458 Usd/Kwh et Mt de 0,117 Usd/wh à 0,1058 Usd/Kwh).
Quant à la troisième étape, de 1999 à ce jour, une nouvelle tarification préférentielle avait été instituée toujours par le gouvernement et en étroite collaboration avec la Snel, afin datténuer les difficultés ressenties par les entreprises suite à la dégradation des indicateurs du cadre macro-économique consécutivement aux guerres de 1996 et 1998. Ainsi, la Snel, en accord avec le gouvernement, va fixer un tarif préférentiel de 0,07 Usd/Kwh contre 0,1058 Usd/Kwh en moyenne tension force motrice et commerciale ; de 0,031 Usd/Kwh contre 0,036 Usd/Kwh en moyenne tension chaudière ; de 0,036 Usd/Kwh contre 0,045 Usd/Kwh en haute tension. En ce qui concerne le secteur textile, le gouvernement avait, avec les entreprises concernées, signé un contrat-programme de 2002 à 2004 et un deuxième contrat-programme le 12 octobre 2005. Ce dernier contrat sera sanctionné par un décret présidentiel accordant un tarif unique de 0,018 Usd/Kwh pour la chaudière et la force motrice. Précisons, cependant, que ces tarifs étaient accordés pour une période de deux ans. A lissue du premier échéancier en 2005, le gouvernement décida, par arrêté, une nouvelle prolongation de 2 ans en attendant la mise en place dune « tarification équitable et incitative à la relance de lactivité économique », selon la Fédération des entreprises du Congo (Fec).
BATAILLE DE LA TARIFICATION
Au moment où les opérateurs économiques attendent justement que le gouvernement, en concertation avec la Snel, dégage des propositions concrètes en vue dune tarification équitable et incitative à la relance de lactivité économique, cest le moment que choisit la Société nationale délectricité pour introduire une requête à lExécutif national pour la suspension pure et simple des tarifs préférentiels. Pour la Snel, ce mode de tarification la prive de recettes de lordre de 450.000 Usd mensuellement. Tout autant, la Snel estime que certains accords de tarifs préférentiels nont pas respecté la procédure et les conditions doctroi. Cest ici que les opérateurs économiques, membres de la Fec, rebondissent et disent que les supposés tarifs préférentiels nen sont pas.
Selon la Fec, les tarifs préférentiels accordés à certaines sociétés ne sont rien dautres que des tarifs normaux qui permettent dailleurs à la Snel de réaliser des bénéfices hors nomes chez les clients haute tension et moyenne tension. Par ailleurs, faisant un exercice comparatif des taux de tarification de lénergie électrique avec quelques pays voisins, la Fec, dans un mémo adressé au ministre de lEconomie, démontre que la tarification haute tension et moyenne tension de la Snel est largement plus chère que celles des pays auxquels la Rdc vend le courant électrique. Alors que la Snel taxe en Rdc en moyenne tension 0,1058/Kwh, la Zambie est à 0,075 Usd/Kwh, la Rsa à 0,0281 Usd/Kwh, le Burundi à 0,0711 Usd/Kwh et la République du Congo à 0,0760 Usd/Kwh.
Bien plus, en scrutant les états financiers de la Snel, on se rend vite compte que les difficultés de trésorerie de cette société dEtat sont plus dues à sa faible capacité à recouvrer ses créances notamment auprès des institutions publiques (lEtat), des sociétés para-étatiques ainsi que de ses abonnés basse tension, les ménages congolais. A noter que les abonnés haute tension et moyenne tension, que sont les entreprises, sont la seule catégorie dabonnés qui est solvable avec un taux de recouvrement de 63%. Aussi, en dépit des tarifs préférentiels, les clients Ht et Mt privés représentent-elles 39% des recettes globales de la Snel et 53% de recettes intérieures. Il sied, par ailleurs, de noter que la capacité dintervention très limitée de la Société nationale délectricité est consécutive, comme cest le cas dans la quasi-totalité dentreprises publiques, à la lourdeur de ses charges notamment du personnel ainsi quà sa gouvernance.
LEtat est le plus grand créancier de la Snel. Et cet Etat, bien que la Snel joue un rôle sociale auprès des populations congolaises, ne donne pas la contrepartie. En effet, lélectricité consommée par les ménages congolais (48% de lénergie vendue) est sous-facturée à hauteur de 82%. La conséquence de ces déséquilibres financiers, cest que la Rdc reste un des pays, si pas le moins, électrifié au monde avec un taux de desserte du courant de seulement 6%. Encore que cette électricité nest concentrée que dans les grands centres urbains du pays, provoquant notamment lexode rural et la paupérisation des paysans. La Snel, elle-même, connaît des problèmes aussi bien au niveau de la production, du transport ou encore de la distribution. Plusieurs turbines de ses centrales à Inga sont à larrêt et nécessitent des fonds pour leur réparation, plusieurs grands centres du pays ne sont pas servis en électricité. De même, tous les grands centres urbains du pays connaissent, avec acuité, une vague de délestage de lénergie électrique.
FIABILISER LA TARIFICATION
A tout prendre, la politique énergétique de la Rdc accuse de frappantes lacunes, à considérer le faible taux délectrification du pays. Alors que plusieurs modes dénergies sont exploitables en Rdc comme le biogaz, le solaire ainsi que plusieurs autres formes dénergies alternatives, lindustrie énergétique congolaise est essentiellement hydroélectrique. Non sans ignorer le problème de gestion de la Snel, une fiabilisation des tarifs au niveau des clients Haute tension et Moyenne tension, qui contribuent significativement à son chiffre daffaires, passe pour une option défendable. En effet, elle va accroître la production des biens et des services , stimuler les investissements mais surtout permettre à la Snel daugmenter ses recettes. Plus le secteur privé produit, plus la Snel accroît ses recettes et peut prétendre avoir les moyens de sa politique.
Un des modes de tarification que soutient la Fec est le tarif par option, qui consiste à taxer lénergie électrique selon les tranches horaires dutilisation, un peu comme le font les compagnies cellulaires, de manière que chaque client souscrive pour la tranche qui lui est la plus favorable. Ce mode constitue même une alternative au phénomène de délestage du courant. Après tout, toutes les entreprises ne sont pas tenues de fonctionner nécessairement entre 8 h 00 et 16h 00 ou 17 h 00. Certaines peuvent fonctionner durant la nuit. La Rdc, qui possède des potentialités énergétiques énormes, doit faire usage de la rationalisation de son exploitation, qui bénéfique pour le développement du pays.