I. Nouvelle version de la traite
Pendant près de 5 siècles, les Occidentaux, toutes les nations confondues, se sont acharnés sur les nègres, ont développé des pseudo-justifications de la traite des nègres, se sont accaparés de leur histoire et ce fait est sans précédent dans l'histoire de l'humanité. De nos jours, une nouvelle version de la traite écroule et tente d'achever les nègres en dépit des efforts louables des femmes de la trempe de Christiane Taubira (cf. loi Taubira) ou de l'abolition de l'esclavage physique des noirs en Mauritanie en 1981. L'offensive néo-libérale se déploie avec fureur sur la terre africaine et s'empare des richesses du sol et du sous-sol. Dans ce contexte, la presse reste focalisée sur une photographie : celle d'un petit Ethiopien qui meurt de faim, le ventre gonflé et la peau sur les os ; celle des guerres économiques qui ont pour nom "guerres ethniques". Cette image qui donne le dégoût de l'Afrique est devenue la carte de visite de notre continent. Le plus dramatique dans nos pays, c'est de constater que nos peuples font le diagnostic de la situation, mais ils se sentent condamnés à l'impuissance. La faim les a vaincus. La guerre les a mentalement, spirituellement, moralement épuisés. Comment se fait-il que les leucodermes arrivent à prendre en otage les pays noirs ? Retenons au moins une réponse : il s'agit de la pratique d'une manipulation du Noir qui a permis et permet encore de nous humilier. Qu'est-ce à dire ? On n'a pas cessé d'enseigner aux Africains le rejet de leurs propres valeurs. Ce qui entraîne inévitablement un complexe d'infériorité et une perte de confiance en soi-même. En outre, les leucodermes imposent depuis plusieurs années leur modèle axiologique, social et économique aux populations noires. Ce qui en résulte, c'est la certitude de la supériorité des leucodermes auxquels s'annexe la politique des dirigeants locaux dans des pays africains laminés par des régimes sanguinaires et la démission des cadres. C'est la quête du bonheur dans une Europe où les gouvernants durcissent les mesures de fermeture et de contrôle des frontières.
On a affaire à une situation équivoque, ambiguë, ce qui ressemble à la vie d'un peuple qui ne peut se tirer d'affaire à partir de son lieu propre. Un texte, d'origine Yaka au Congo, le signifie finement selon le génie de la philosophie africaine : "Que je monte en haut, que je descende en bas je me retrouve toujours dans le panier. Quel est ce mystère? Dieu répond: 'Quel est l'animal qui a les pattes accrochées dans les brindilles et sa tête en bas'? L'oiseau ngundu se tait. Placé malgré tout dans un panier, tissé par qui ? En tout cas tenu par des mains qu'il ne peut contrôler, l'animal s'ébroue. Il n'arrive point à s'échapper du panier. Il pense qu'il y a un maléfice (mystère) qui bloque ses efforts. Ayant fait appel à Dieu, celui-ci lui fait penser à un animal équivoque, en terme de philosophie luba. Un animal dont Dieu lui décrit les caractéristiques. C'est son ambiguïté qui le paralyse. Dans l'entretemps, un animal non ambigu se tait; il contemple le stupide en train de se débattre en vain. Cet animal c'est l'oiseau ngundu, en kiyaka. L'équivoque c'est l'intellectuel 'bounty' c'est-à-dire une espèce de chocolat, foncé dehors mais blanc au-dedans ".
II. " Emancipe toi, toi-même de l'esclavage mental, personne d'autre que toi, ne peut libérer ton cerveau ! " (Bob Marley)
"Il y a des réalités qu'on ne voit bien qu'avec des yeux qui ont pleuré". Lorsqu'on prend conscience de l'humiliation et de la paupérisation de l'Afrique depuis cinq siècles ; lorsqu'on prend la mesure du simplisme caractérisant la compréhension de l'Afrique et des dérives néo-libérales sur le continent, il est possible de comprendre que les Africains savent mieux que les autres ce qu'une histoire d'esclavage, de colonisation et de re-colonisation a de profondément inhumain et barbare. "L'on ne doit pas se moquer de la chèvre sous prétexte qu'elle couche dehors ". Elle est témoin des actes de pillage et d'exploitation des villages pendant les heures avancées de la nuit. Contrairement à ce l'on pense, notre marginalisation économique et notre impuissance nous fournissent des atouts pour imaginer un nouvel ordre mondial.
C'est pourquoi il importe de " renouer avec nos racines " de façon intelligente et de rompre avec une image négative de nous-mêmes. Dans un bosquet où le singe n'est plus stupide, pareille démarche ne peut se faire de façon naïve en comptant sur la bonne foi de l'Occident qui s'investit dans la culture de la domination et de la paupérisation anthropologique des nègres.
Lorsque les masses populaires prennent en compte cette vision des choses, elles honorent l'image d'une Afrique capable de rebondir dans un contexte des rapports de force en se nourrissant des énergies de son histoire. Selon les mots de Mgr Monsengwo :
"L'Afrique vit encore, elle travaille, elle résiste et refuse de mourir. C'est qu'elle est fondée sur un socle de valeurs qui, depuis cinq siècles, l'empêchent de disparaître. L'Afrique a survécu aux affres de l'esclavagisme ainsi qu'aux rudes contraintes de la colonisation et de la guerre froide ; à présent elle affronte sans résignation ni défaitisme le joug de la mondialisation. L'histoire de l'Afrique, marquée par tant d'épreuves et de souffrances, est une véritable école d'humanité. C'est dire que l'Afrique recèle en son sein suffisamment d'énergies et de ressources humaines pour être en mesure de toujours rebondir, se redresser et assumer en toute responsabilité son destin dans l'histoire du monde" (Symposium des évêques d'Afrique et d'Europe à Rome 10-13 nov. 2004).
Dans la perspective de la réinvention de l'Afrique, il faut prendre toute la mesure de ces propos et cesser de vanter béatement les progrès de la civilisation scientifique et technologique de l'Hémisphère Nord. Une analyse sérieuse de l'évolution du monde démontre, si besoin en était, que toutes ces performances ne s'inscrivent pas dans le cadre d'un projet humain et solidaire.
A cet égard, l'Afrique libérée de l'esclavage mental a une responsabilité immense et incomparable. Son impuissance dans le monde actuel est un socle pour poser les bases d'une humanité libérée des dérives de la modernité occidentale. Il devient urgent de repenser le meilleur d'elle-même à l'intérieur d'un imaginaire qui se compose de la dynamique de toutes les richesses qu'elle recèle en tant que " terre natale de toute l'humanité ". Contrairement aux falsificateurs de l'histoire, l'Afrique est le berceau de l'humanité et porte en son sein tout ce qui a apporté la civilisation à l'ensemble du monde. Philosophie, médecine, techniques et sciences, théologie… ces disciplines fondatrices viennent des 4000 ans d'histoire de la civilisation soudano-kongo-égyptienne.
Dans le but de créer un nouvel imaginaire, il importe de libérer l'inventivité des Africains et des chercheurs nègres à travers la restauration de l'histoire de la recherche scientifique et de la pratique universitaire en Afrique, susceptible de relancer le programme de renaissance africaine. On ne saurait mettre dans l'ombre la production artistique du Nigeria (2000 av. J.-C.), du Tchad et de la Libye (4000 av. J.-C.). Il y a beaucoup à dire au sujet de nos raisons d'espérer.
Par rapport au besoin de la renaissance africaine, le choix de la civilisation soudano-kongo-égyptienne ainsi que d'autres hauts lieux civilisationnels africains est stratégique : "il dévoile aux Nouveaux Africains leur être de grandeur, leur être de lumière, leur splendeur originelle dans un imaginaire de rayonnement vital. Ici on se construit une origine, on l'invente même et on décide de s'engager à correspondre à ses exigences dans la vision que l'on a de soi. On se donne un nouvel être, illuminé dans ses origines et enfanté dans une nouvelle créativité ontologique. Ainsi compris, l'imaginaire de Nouveaux Africains ne peut être qu'un imaginaire d'un être nouveau, différent de la fausse origine sauvage dans laquelle on avait voulu enfermer les nègres. Dans la vision d'elle-même que l'Afrique acquiert dans sa rénovation de son être, les Nouveaux Africains s'aperçoivent de ce qu'ils sont : le berceau de la culture et de la civilisation, les fondateurs de l'humain. C'est cette Afrique fondatrice de l'humain qui devra être la substance de notre imaginaire : le nouveau mythe fondateur de notre être, qu'il faut étudier dans toutes ses dimensions et dans toute sa réalité, de manière scientifique, philosophique et socioanthropologie. Ce mythe, il convient de l'illuminer en faisant de lui la lumière de l'Afrique dite traditionnelle. Celle-ci, dans la dimension vague qu'il a dans nos esprits et le rayonnement vital qu'il a comme espace purement fantasmé, devra être rempli de repères vitaux à découvrir ou à inventer purement et simplement, pour enseigner aux enfants une histoire qui soit non pas une histoire des ténèbres ou de la défaite, mais une histoire d'une destinée lumineuse : le passé africain tel qu'en nous l'imaginaire le change et l'embellit. N'ayons pas peur d'être accusés d'exalter des retours inutiles à des mythologies qui ne mènent nulle part. Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de nous inventer nous-mêmes aujourd'hui dans un nouvel être embrasé par un nouveau passé. Les grands peuples ont toujours su se composer des origines, qu'il s'agit des peuples du miracle grec, des peuples de l'élection divine ou des peuples du nouveau messianisme chrétien "(Ka Mana) .
Fierté d'être nègre
Il faut créer un nouvel imaginaire à transmettre à toutes les couches de la population africaine. Un nouvel imaginaire qui fera naître la fierté d'être noir et capable de mettre en échec toute tentative de déconstruction de sa personnalité. Aucune société ne peut avancer " sans un sentiment au minimum d'acceptation de soi " . "La fierté d'être soi a animé le développement de la plupart des civilisations et des cultures (…) Pourquoi les Africains seraient-ils les seuls à ne pas avoir au cœur la fierté d'être eux-mêmes ? Le spectacle de ces jeunes africaines qui se rongent la peau avec des produits corrosifs pour la blanchir fait frémir " . Les pays africains ne sortiront pas du gouffre s'ils continuent à pratiquer le mimétisme. Une association sénégalaise constituée en 2001 mesure l'importance du problème. Elle ambitionne de faire entendre un message même devant les enfants de la diaspora : "Fiers d'être noir. De cette fierté qui doit s'actualiser dans les actes et comportements de tous les jours, référencés aux valeurs africaines positives. Vouloir singer l'autre, c'est programmer sa mort spirituelle (A.C. Robert)" . Il est nécessaire, pour chaque Africain, de devenir " un autre homme, animé d'une conscience historique " et un " Prométhée porteur d'une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion " .
Conscient des enjeux de la résistance
L'Afrique connaît des traditions de lutte et de résistance. L'histoire est éloquente à ce sujet. C'est dans cette ligne qu'il importe de rendre hommage aux fils et filles d'Afrique qui, à travers des chansons, des poèmes et des contes, traduisent les frustrations, la révolte des générations qui remettent en cause les fléaux sociaux, chantent l'amertume de la domination, l'héroïsme de la résistance. Il y a là une façon particulière d'exprimer une anthropologie de la colère qui révèle en même temps une forte capacité de mobilisation, afin de faire passer la vie de ce qu'elle est vers ce qu'elle devrait être. Ces grammaires de la colère obligent la recherche africaine à réexaminer ses champs d'investigation et d'analyse à la lumière de la manière dont les populations locales exploitent leurs traditions, convient les acteurs sociaux en Afrique à renverser les anti-valeurs de la société dominante. Elles permettent de revenir à la base afin de se nourrir des richesses de la véritable histoire africaine et d'y puiser les forces nécessaires à la reprise de l'initiative historique.
C'est à l'honneur d'Aminata Traoré (ancien ministre de la culture au Mali) d'avoir contribué à l'organisation du forum social dans son pays natal afin de permettre aux Maliens de croire qu'un autre monde est possible. A la vérité, un autre monde est nécessaire si l'on veut tenir la mort à distance. L'Afrique doit y participer. Une autre Afrique que celle de l'Occident ! Il faut le savoir : " il existe en marge de la déréliction de l'Afrique officielle, à côté de la décrépitude de l'Afrique occidentalisée, une autre Afrique bien vivante, sinon bien portante. Cette Afrique des exclus de l'économie mondiale et de la société planétaire, des exclus du sens dominant, n'en persiste pas moins à vivre et à vouloir vivre, même à contresens. " . Il ne s'agit pas là de nier les problèmes en présence, mais de contester le simplisme et la fonction attribuée à une réalité complexe dans la définition du statut historique et international de l'Afrique.
Une Afrique capable de résister aux assauts des tueurs à gage ne peut s'expulser de son espace au moment du pillage. Sinon, le monde s'en moque et trouve des raisons suffisantes pour poursuivre son anéantissement. Il est temps de mettre fin à l'esclavage mental inoculé dans la chair des peuples. C'est la tâche des Africains à même de se choisir des dirigeants patriotes, dont ils assureront la défense et la protection à l'heure où les marchands de la mort menaceront de mort toute personne qui viendrait porter atteinte aux intérêts du capital mondialisé.
A cette heure décisive de l'histoire des peuples d'Afrique, la libération mentale passe également par l'instauration d'une journée de commémoration de nos ancêtres morts dans la plus grande humiliation par suite du crime de l'esclavage dont la modernisation saute aux yeux. " Emancipe toi, toi-même de l'esclavage mental, personne d'autre que toi, ne peut libérer ton cerveau ! " (Bob Marley)
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