Le paternalisme de «Congo River»

Une leçon de géographie?Le fleuve Congo est une véritable veine jugulaire qui draine les eaux d'innombrables affluents vers l'océan Atlantique. Ces affluents sont des veines capillaires formant un réseau complexe et, n'en déplaise aux glorieux explorateurs encensés par les manuels scolaires ont de tout temps servi de voies de communication, d'échanges et de commerce aux habitants du bassin du Congo. Le lingala n'est-il pas considéré, à juste titre, comme l'idiome du fleuve, c'est-à-dire une langue véhiculaire dont l'expansion, avant même l'arrivée des explorateurs, est le fait des échanges commerciaux? (échanges commerciaux qui n’amenaient pas le développement)

Dans le dernier film de Thierry Michel, on nous montre un vieux pilote qui exhibe un code de navigation fluviale aux pages jaunies datant «de l'époque des Belges». Mais avant l'arrivée de ceux-ci, que représentait le fleuve pour les Congolais? Quels types d'embarcations étaient en usage?

(eh oui, quels types d’embarcation ? l’auteur de l’article ignore que, pour naviguer sans s’ensabler, il faut éviter des obstacles naturels que les Belges ont recensés patiemment en suivant des méthodes scientifiques)

Et aujourd'hui encore, les Congolais ont-ils renoncé aux techniques de navigation et aux pirogues construites en fonction d'un savoir-faire immémorial? (Tant qu’il s’agit, comme avant l’ouverture à la modernité, de faire du cabotage sur peu de distance et avec peu de fret, les pirogues suffisent. Pour développer le pays il fallait des bateaux et aucun savoir-faire immémorial n’en a conçu avant l’arrivée des Belges)

Le bateau d'acier a-t-il eu raison définitivement de la pirogue comme a pu le faire croire une certaine propagande glorifiant les progrès de la civilisation apportée par la Belgique tutélaire, fière de ses prouesses technologiques, médicales et industrielles ayant conduit les indigènes du centre de l'Afrique de l'âge du fétiche à celui de l'uranium? (c’est tout le problème : on serait tenté de souhaiter pour les Congolais un vrai « retour à l’authenticité » mais, malheureusement, depuis que les Européens ne sont plus preneurs, les Asiatiques sont là pour précipiter la marche vers la modernité)

La navigation sur le fleuve Congo, notamment entre Kinshasa -qui deviendra Léopoldville- et Singhitini (de son nom arabe) (tiens, pourquoi un nom arabe) ou Stanleyville, est antérieure à l'époque des explorateurs. (oui, mais il y a navigation et navigation, voir plus haut,il y a aussi économie et économie – de développement ou de  subsistance ) Ces derniers ont du reste témoigné, en des termes quasi dithyrambiques, des talents en matière de commerce des riverains du grand fleuve. Leurs bateaux en acier croisaient en effet les impressionnantes pirogues des Topoke et autres peuples de l'eau.

Si Stanley en a rajouté sur ses exploits en stigmatisant, pour les besoins de la cause, les «cannibales» qui avaient surtout le tort de lui résister tout au long de sa descente du fleuve, certains de ses pairs «découvreurs», par contre, ont évoqué les indigènes en des termes plus respectueux et plus justes. C'est le cas d'Albert Thys, qui navigua sur le fleuve Kasaï et sur le Haut Congo.(qu’est-ce que cet alinéa a à voir avec les précédents ?)

Le fleuve inspire des discours clivés: ceux d'Européens imprégnés de références occidentales d'un côté, et ceux des autochtones de l'autre, articulés sur des représentations du monde contradictoires, à plus d'un titre.

Qu'est-ce que le fleuve Congo?  Pour Paul Lomami Tshibamba (2), véritable greffier de la mémoire collective de son peuple, qui met à contribution le legs légendaire de ses ancêtres, le fleuve est le symbole même de la résistance aux envahisseurs venus du côté de l'Atlantique (et de ceux qui venaient de l’autre côté, pas un mot ?). Cette vision est d'ailleurs corroborée par des faits objectifs, notamment l'échec de l'expédition de l'Anglais Tuckey, en 1804, qui se heurta à la barrière formée par les Cataractes.

Par ailleurs, c'est sur une pierre portant des empreintes divines que Simon Kimbangu, le prophète embastillé à vie, victime d'une parodie de justice, (la Belgique est responsable d’une parodie de justice au Congo ? Merci, Monsieur Kongolo, mais voulez-vous comparer le procès de Simon Kibangu avec les procès qui se sont déroulés ailleurs en Afrique ou même au Congo depuis 1960 ?) reçut de Dieu la mission d'entreprendre l'affranchissement de son peuple, d'après une légende circulant oralement tant à Léopoldville -en pays kongo- qu'ailleurs dans l'immense Congo.

Le fleuve est le lieu de mémoire du peuple congolais colonisé, de ressourcement et d'ensourcement, à l'aune des immémoriales laissées par les générations passées (le drame, en Afrique centrale, c’est justement que les générations passées ont laissé peu de choses, à part des paroles transmises de génération en génération).

Lieu de résistance aussi puisque l'île Mbamu qui trône dans le Stanley Pool constitue un lieu d'accueil -sinon un havre- pour les colonisés en rupture de ban, ceux de Brazzaville et de Léopoldville, sa rivale.

Pourquoi les commentaires du film se contentent-ils d'insignifiantes allusions à la «mamiwata» («tshunuzi» à Kisangani, «mamba muntu» sur le Lualaba), créature mythique s'il en fut, issue précisément des entrailles du fleuve-totem, omniprésente dans les représentations collectives?

Une approche plus subtile de la figure de la «mamiwata» aurait mieux permis de dessiner les passerelles entre le mythe et le réel. La notion de sorcellerie est totalement simpliste et cautionne les images qui valurent au Centre africain l'aura de «Coeur de ténèbres». Une allusion qui, fût-ce sous le couvert de la dénégation, conforte l'imagerie d'un peuple, et d'un territoire, qui sans l'intervention – pour ne pas dire la tutelle- de l'Europe bienfaitrice, eût été condamné à retourner à sa violence «atavique» (que penser des informations figurant sur les sites Internet cités in fine ?). A ses coutumes ancestrales peu ragoûtantes puisque faites de cruauté et de superstition sur fond d'une ignorance abyssale. Une vision que certains coloniaux pourtant, rares il est vrai, avaient d'ores et déjà pourfendue (J.-M. Jadot et P. Tempels).

Thierry Michel, sans doute inconsciemment, nous ramène à des visions d'antan. (La réalité actuelle au Congo aussi, voir les adresses de sites Internet in fine) Le sous-titre dont la portée programmatique est incontestable indique, sinon une intention, du moins une hantise, celle de dirimer un discours conradien qui inspira «Apocalypse Now» de Coppola, histoire du Congo léopoldien transposée au Vietnam, avec sa cohorte de crânes et de mains coupées de victimes.

Images du Congo et des Congolais La violence est permanente, endémique. Impuissant devant la maladie (voir plus loin la remarque de l’auteur sur ses compatriotes «  hostiles aux campagnes prophylactiques d'antan ») , le Congolais est superstitieux par la force des choses.

Aucune image ne valorise la manière dont les autochtones avaient à leur manière «endigué et maîtrisé le fleuve», lieu d'échanges commerciaux intenses, cela avant même l'époque des fameux explorateurs. (redite, voir supra, il y échanges commerciaux et échanges commerciaux)

L'Afrique d'antan est reléguée «au coeur des ténèbres». Elle est constamment opposée à la période belge, celle de la médecine coloniale, plus efficiente que la sorcellerie ancestrale. Et pourtant ces images de l'homme en blanc, le fameux «monganga» (médecin), méritaient elles aussi d'être traitées avec distanciation (incompréhensible, quel rapport avec le film ?)

Aucune allusion aux réactions des populations, lesquelles se montrèrent plus d'une fois hostiles aux campagnes prophylactiques d'antan (comme l’étaient les populations dans les campagnes en Europe : quel est l’intérêt de cette remarque,quelle leçon en tirer ?)

Le parallélisme s'avère constant, et souvent d'allure manichéenne, entre l'époque des Belges et le Congo actuel dont personne ne peut nier la déliquescence. Faut-il pour autant s'en tenir à des représentations à la limite du sommaire et traiter, sans précaution particulière, sans commentaire adéquat (quel commentaire faire à la souffrance des petites filles violées ou à l’arrogance du chef de guerre qui dit que ses troupes peuvent « tout faire » ?), des images de propagande d'antan? ( au contraire, certaines images retenues par Thierry Michel – comme les dizaines d’ouvriers congolais qui faisaient penser aux ouvriers égyptiens du temps des pyramides – ont été remarquées par des spectateurs congolais comme défavorables à la Belgique)

Et pour ne pas conclure!

«Congo River» s'inscrit dans le droit fil d'une vision non pas forcément exotique mais assurément voyeuriste, paternaliste et manichéenne. Ce qu'on apprend sur le fleuve, malgré la beauté de certaines images, est très mince, voire volatil. Par contre, l'imagerie qui se déploie enserre les Congolais dans des représentations de prévalence négative. Ce qui montre que le discours belge sur le Congo est loin de se plier à la rigueur, au respect de l'autre, a fortiori un ancien colonisé. Il souscrit continûment, à quelques exceptions près, à une vision paternaliste justifiant a posteriori la colonisation. Imaginer un Congo sans les Belges est un chemin que la réflexion en Belgique n'ose fouler même sous le couvert de l'art -le cinéma en est un- et même de l'imaginaire. Il faudrait peut-être commencer par désenvoûter les Belges de leur passé colonial qu'ils sont loin d'avoir remis en cause pour que surgisse un discours nouveau qui nous mènera loin de

«Congo River» et de ses complaisances  

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