Quelques notions sur la magie

MAGIE / Généralités                                                                          

 

Dans l'imaginaire collectif, l'Afrique est, par excellence, la terre des sorciers. Les termes de "magie" ou de "sorcellerie" couvrent en fait une vaste macédoine où l'on retrouve, pèle-mèle, des éléments appartenant à divers domaines de la vie des Africains, et qui n'ont en commun que le fait d'être, aux yeux des Européens, "mystérieux" ou "inquiétants". Citons:

– certains éléments ésotériques de la religion traditionnelle,

– des éléments, du même ordre, de sectes religieuses,

– la sorcellerie, c'est à dire la magie criminelle,

– la divination ou la magie "blanche",

– la médecine traditionnelle,

– le "fétichisme".

On ne peut faire aucun exposé rationnel sur le sujet si on reste dans cette confusion vague, et il y a donc lieu de se reporter aux fiches particulières de chacun de ces domaines improprement confondus.

 

Il semble bien que l'importance que l'on accorde à ces phénomènes trouve son origine dans le fait que l'on ne s'attendait pas à ce qu'ils se montrent aussi persistants.

 

Les colonisateurs du XIXº siècle, missionnaires et laïcs confondus, sont partis de l'idée que toutes ces pratiques avaient pour origine la peur, basée sur l'ignorance, et qu'ils disparaîtraient d'eux-mêmes avec les progrès de l'éducation et de la connaissance. Dans leur esprit, la magie intervenait pour combler un vide que la science ne comblait pas et expliquait, par exemple, des phénomènes naturels dont on ne connaissait pas l'explication physique, biologique ou chimique.

Peut-être faut-il faire ici la part de l'observateur dans l'observation. beaucoup de nos témoins de la première heure sont des missionnaires, et ce sont eux avant tout qui se sont préoccupés de la magie. N'était-elle pas, d'une certaine manière, dans le domaine spirituel dont ils font profession. Or, nous avons tous , par profession, tendance à avoir l'œil attiré par ce qui recoupe le domaine dans lequel nous passons le plus clair de notre temps. Un prêtre aura donc tendance à voir partout du spirituel et du transcendant et à deviner Dieu – ou le diable – sous chaque feuille. Cependant, les mots sont souvent équivoques. Un mot comme "esprit" a un sens bien précis. Mais, en Latin, "spiritus" voulut d'abord dire "souffle", en Grec, "psuchè" ne vaut pas mieux et le même glissement se retrouve en Hébreux avec "ruah". Il n'est donc guère étonnant que des phénomènes du même genre se retrouvent dans les langues africaines. en swahili, p.ex., "pepo" a connu le même glissement de "souffle" à "esprit". D'où la question: qu'a-t-on dit exactement à la personne qui nous rapporte qu'une maladie a été attribuée à un "esprit"? Ceci à une époque où la maladie causée par les plasmodia était baptisée "paludisme" ou "malaria" en référence aux "miasmes" des marais ou aux "mauvais air", notions au moins aussi imprécises et irrationnelle.

Les Africains ont toujours su que les phénomènes naturels ont des causes naturelles, même s'ils n'ont pas inventé de schéma explicatif qui les mette en équations. Ce que la magie essaie d'expliquer, de manipuler ou de provoquer ou d'éviter c'est le hasard. Une pierre tombe en vertu de la pesanteur. Tout le monde le sait. Mais pourquoi quelqu'un se trouvait-il exactement là où elle est tombée?

La magie intervenant, non pour expliquer le mécanisme naturel, mais bien la coïncidence qui fait que ce mécanisme tourne à bien ou à mal pour une personne précise, elle n'est nullement touchée par le fait qu'on remplace une connaissance intuitive et vague du phénomène naturel (la pierre tombe vers le bas parce qu'elle est lourde) par une connaissance plus précise, générale et affinée (la pierre et la Terre s'attirent en raison directe du produit de leurs masses et en raison inverse du carré de leur distance). La magie, elle, veut répondre à la question: "Pourquoi ai-je pris la pierre sur la gueule ?"

La démarche magique est parallèle et différente par rapport à la démarche scientifique, et aussi d'ailleurs par rapport à la démarche religieuse. Si une personne apprend qu'elle est malade et devra subir une opération risquée, elle peut se renseigner pour trouver un excellent chirurgien, mettre un cierge à Sainte Rita et emporter un porte-bonheur, en sachant fort bien que ce faisant elle agit à trois niveaux différents qui ne lui semblent pas contradictoires. Si l'on remplace le cierge et le porte-bonheur par le sacrifice d'une poule aux Ancêtres et un gri-gri, on est dans la version africaine d'une situation semblable.

Il y a si peu de contradiction entre science et magie qu'on peut entendre aujourd'hui le raisonnement: " X est sûrement mort ensorcelé, parce qu'il est mort de maladie alors qu'il avait été vacciné". L'efficacité, reconnue, du vaccin est donc invoquée comme preuve rationnelle de l'intervention magique.

L'auréole inquiétante que ces faits ont en Afrique, alors qu'on les trouverait anodins en Europe, est d'origine coloniale et missionnaire:

         ce sont des pratiques traditionnelles et l'on n'aime guère que les Africains en gardent le souvenir;

         à des yeux d'européen pudibond, la place que le sexe occupe dans certains rituels paraît "louche";

         la tradition, quant elle est efficace, est attribuée au Diable. Curieusement, les missionnaires ne semblent jamais avoir envisagé l'hypothèse d'une efficacité venue de Dieu.

 

@ Guy De Boeck, 1995

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