L’annexion du Congo par la Belgique et ses conséquences (Le Potentiel)

L’initiative, en l’occurrence, n’est pas venue de Léopold II. Le Roi destinait le Congo à devenir une colonie belge, mais il tenait à en conserver, aussi longtemps que possible, le gouvernement personnel. La reprise par la Belgique lui a été imposée par une pression extérieure.

Les deux éléments essentiels, à l’origine de la reprise, ont été d’une part la virulence croissante de la campagne anti-congolaise, ont été d’une par la prise de conscience par l’opinion belge de la gravité de la situation au Congo.

MEFIANCE A L’EGARD DE LA CAMPAGNE ANGLAISE

Longtemps, nous l’avons dit, les Belges, dans leur grosse majorité, étaient restés extrêmement méfiants à l’égard de la campagne anglaise, à laquelle ils attribuaient des mobiles intéressés. Ce qui ouvrira les yeux, en Belgique, sera le rapport déposé à la fin de 1905 par une Commission d’enquête internationale envoyée au Congo. L’impartialité de cette commission était au-dessus de tout soupçon. Or son rapport confiramait, pour l’essentiel, ce que Casement et la Congo Reform Association avaient affirmé : les abus, au Congo, étaient d’une extrême gravité. Ce rapport va faire naître, dans les milieux dirigeants belges, le sentiment qu’une réforme radicale du régime congolais s’impose, et que seule la Belgique sera capable de l’opérer ; la reprise s’impose donc elle aussi.

Elle est d’ailleurs réclamée, à l’étranger, par ceux qui dénoncent la situation intolérable des indigènes au Congo. La campagne menée en Angleterre par la Congo Reform Association a pris l’ampleur d’un mouvement national de protestation. D’Angleterre, l’émotion a gagné d’autres pays, et spécialement les États-Unis. L’État Indépendant est mis en accusation, et l’on presse la Belgique d’intervenir. Le gouvernement bri- tannique lui-même a fait nettement entendre qu’il ne pourrait pas tolérer que le statu quo persiste. C’est donc l’existence même du Congo qui serait mise en péril si la Belgique demeurait passive. Les dirigeants belges comprennent que, de ce point de vue aussi, la reprise est devenue indispensable. Le Roi, devant la montée menaçante de l’offensive dirigée contre son régime, ne pourra que s’incliner à son tour.

L’annexion, en 1908, s’est faite dans une atmosphère lourde, sans susciter nulle part aucun enthousiasme. La Belgique était consciente de graves responsabilités qu’elle assumait, On attendait d’elle une politique nouvelle, rompant avec le passé.

Cette politique fut sans éclat, mais ferme, Après tout ce que l’originalité de Léopold II avait parfois eu d’extraordinaire, ce fut, très sagement, un retour à l’orthodoxie coloniale.

DISPARITION DE L’ETAT INDEPENDANT DU CONGO

Immédiatement, ou très vite, après 1908, les différents traits spécifiques qui avaient caractérisé l’État Indépendant, disparaissent ou s’effacent pour faire place à la grisaille de l’orthodoxie. On peut le montrer en quelques mots, pour chacun des caractères que nous avions dégagés. 1 ° Au régime politique unique en son genre de l’État Indépendant se substitue, en 1908, un régime colonial absolument classique. L’absolutisme royal, d’un seul coup, est déraciné. Certes, aux termes de la loi qui organise les pouvoirs dans la colonie – ce que l’on appelle la Charte Coloniale -, les pouvoirs du Roi demeurent apparemment considérables. La Charte, en effet, confie au Roi à la fois le pouvoir exécutif et (concurremment avec le Parlement belge), le pouvoir législatif. Mais lorsque la Charte dit «le Roi », elle entend ce terme exactement comme le fait la Constitution belge, qui énumère aussi abondamment les attributions du Roi. Le Roi, au Congo comme en Belgique, sera politique- ment irresponsable; ses actes n’auront de valeur que pour autant qu’ils seront contresignés par un ministre qui, seul, en portera la responsabilité. Les règles de la monarchie constitutionnelle vaudront donc désormais au Congo comme en Belgique. Le responsable de la politique coloniale sera désormais le ministre des Colonies.

Léopold II, galamment – car comme souverain belge, il avait, nous l’avons dit, le sens profond de la monarchie constitutionnelle -, s’inclinera devant ce nouvel état de choses. Son règne absolu se termine le 15 novembre 1908. Pendant l’année qu’il lui restera encore à vivre, il s’effacera devant son ministre des Colonies, Jules Renkin. 2° Jules Renkin, entre 1910 et 1912, supprimera le régime domanial successivement dans les différentes régions du pays, rétablissant ainsi dans tout le Congo une pleine liberté commerciale. Les mesures prises consisteront à abandonner aux indigènes le droit de récolter et de vendre à leur profit les produits naturels du domaine. Les récoltes obligatoires au profit de l’État étaient supprimées du fait même. 3° En 1913, la Congo Reform Association décidait de se dissoudre. Après l’annexion du Congo à la Belgique, en 1908, elle n’avait nullement relâché sa vigilance, bien au contraire. Sous la direction de Morel, elle avait continué à suivre la situation au Congo de très près, en recueillant un maximum d’informations, notamment des missionnaires et des consuls britanniques.

Cinq ans après l’annexion, toutes les informations concordent: la suppression du travail forcé, et les efforts déterminés des autorités coloniales belges pour éliminer les abus, ont abouti à une situation normale. Les indigènes du Congo sont désormais soumis à un régime qui, du moment que l’on admet les principes mêmes de la colonisation – et ces principes n’étaient nullement mis en question par ceux qui avaient attaqué le système léopoldien -, ne justifie plus d’inquiétude ni d’intervention particulières. 4° Léopold II aurait voulu qu’au moment de la reprise, la Fondation de la Couronne fût maintenue. Ce sont même ses efforts acharnés pour assurer le maintien de la Fondation, à laquelle il était passionnément attaché, qui seront le principal élément de complication dans les négociations de la reprise. Ces efforts demeureront vains: il ne se trouvait pas de majorité parlementaire, en Belgique, pour accepter un pareil système de transfusion de ressources de la colonie à la métropole. Contraint et forcé – et ce fut sans doute le sacrifice le plus douloureux de la fin de sa vie -, Léopold II devra se résigner, en 1908, finances coloniales et finances métropolitaines seront strictement séparées, selon les meilleures règles de l’orthodoxie. 5° La Belgique, après 1908, a le Congo et elle s’en satisfait pleinement. Elle ne songe pas à acquérir quoi que ce soit d’autre.

L’acquisition du Ruanda-Urundi, après la Première Guerre Mondiale – à titre non de colonies, d’ailleurs, mais de mandat de la S.D.N. – ne sera nullement le résultat d’une volonté expansionniste. Ce sera un accident non prémédité. Ayant mené en Afrique des opérations militaires victorieuses contre les forces allemandes, la Belgique se refusera, par une sorte de réflexe, à en perdre le bénéfice. On ne revient pas d’une guerre victorieuse les mains vides. Cela aussi, à bien voir les choses, est pleinement orthodoxe.

(Tiré de Congo mythes et réalités. 100 ans d’histoire)

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