Littérature congolaise et démocratisation en Afrique contemporaine
Aussi, le mérite de ces quelques textes est davoir perçu davance lévènement daujourdhui dans la situation dhier. Voyons ce que ces textes nous donnent à lire.
– La mort faite homme (Paris, LHarmattan, 1986) de Pius Ngandu Nkashama : ce récit est entièrement construit comme le monologue intérieur dun étudiant emprisonné pour des raisons politiques. La manifestation du 4 juin 1969, au cours de laquelle des étudiants de lUniversité Lovanium de Kinshasa furent tués par les éléments de larmée du régime sanguinaire du dictateur Mobutu, a fourni en partie la matière narrative à ce roman. Lauteur, en effet, y relate aussi la torture au quotidien que subit le peuple et les conditions de détention dans les prisons de ce que fut la deuxième République (1965-1997) au Zaïre de lépoque. Les prisons sont pleines de prévenus oubliés, y largués la nuit par des sbires anonymes et condamnés à attendre un procès hypothétique.
– La Re-production (Paris, LHarmattan,1986) de Thomas Mpoyi Buatu : ce texte décrit un pays qui cherche à se trouver une nouvelle identité, car cest à partir de là quil pourra se développer. Il senracine dans une réalité socio-politique bien précise : il sagit dune ville, Kinshasa, dont lauteur retrace lévolution depuis lépoque coloniale jusquaux années 1970. A travers ce cheminement de la ville et larrestation arbitraire du héros-Kena Meji (en langue tshiluba, un homme très intelligent) – le lecteur découvre la manière dont les hommes et les femmes de ce pays –lactuelle République démocratique du Congo- sont broyés par la machine politique, dabord coloniale et ensuite post-coloniale.
– Le croissant des larmes (Paris, LHarmattan, 1989) de Tshisungu wa Tshisungu : on décrit ici laction téméraire dun certain B.D., sociologue de formation et professeur duniversité de son état. Il sengage dans lopposition au régime en place dans son pays. Il deviendra lidéologie et le stratège de la branche armée dun parti politique clandestin. Les objectifs poursuivis par lopposition allaient dans le sens que B.D. entendait mener sa lutte : arrêt, par tous les moyens, du marasme politique et économique qui fait de ses concitoyens déternels affamés dont les larmes constituent leur unique refuge. Toute la vie sociale, politique, culturelle et religieuse dans ce pays na quun seul paysage : les pleurs.
– Cité 15 de Djungu Simba Kamatende (Paris, LHarmattan, 1988) : Cité 15, en effet, désigne un royaume de la débrouille, mieux un bidonville jailli dans la banlieue de Poto-Poto, capitale de la République populaire et démocratique dOyombokate (mot lingala oyo/mboka/te ce qui signifie ceci nest pas un pays ou tout simplement pays des fous au sens clinique du terme). Cette fameuse cité héberge tous les mécontents du régime politique en place et sert de lieu dinfiltration aux rebelles. De ce fait, les rapports seront donc forts tendus entre les habitants de cette cité et les autorités politiques du pays. Celles-ci décideront, en définitive, la démolition de cette cité. – On a échoué (Kinshasa, Editions du Trottoir, 1991) de Djungu Simba : on y relate la révolte dun groupe de jeunes Balilois (laction se passe dans un pays africain imaginaire dénommé la République du Bali), victimes dun régime établi dans leur pays. Ce régime est représenté par un homme, le grand caïman qui est le maître absolu du pays. Ces jeunes décident de renverser le pouvoir dictatorial en place et de prendre les choses en main, estimant que le socle du pouvoir boudé es bâti sur le mensonge, la corruption, la répartition inégale et injuste des richesses du pays. La lutte sengage donc entre une petite classe de riches privilégiés prêts à tout pour conserver leurs acquis dune part, et la masse misérable qui subit la loi des premiers, dautre part. Dans cette sorte denfer, le peuple recourt à tous les moyens qui lui semblent bons pour assurer sa survie.
Un cauchemar (Lubumbashi, Editions Impali, 1992) : ce récit est un puzzle complexe, fait dingrédients les plus divers, mais inspirés par une réalité caractérisée par lomniprésence de la violence : enlèvements, tortures, exécutions manquées, viols, guerres, massacres, coups de force, etc., le tout moulé dans un réalisme empreint parfois de merveilleux.
Notre sang (Kinshasa, As-Editions/Centre culturel français, 1991) de Mikanza Mobyem : cette pièce de théâtre met en scène des jeunes gens aux prises avec la génération des anciens (qui détiennent les rênes du pouvoir) et le système inique que ces derniers ont mis en place et quils maintiennent à leur seul profit. Ces jeunes décident de sorganiser une marche pour alerter lopinion nationale et internationale sur les montagnes dinjustice qui accablent leurs compatriotes. Mais cette manifestation quils voulaient non violente et qui ne visait quà éveiller lapathie de la majorité silencieuse, est étouffée dans un bain de sang.
Que dire des contenus de ces textes, présentés à grands traits ? Ils prouvent, en effet, que leurs auteurs sont à lécoute du peuple et de ce que lon appelle en République démocratique du Congo, comme ailleurs en Afrique aussi, la radio-trottoir. Mais, au-delà de laspect documentaire de ces textes, si les allusions à la vie quotidienne de la Rd-Congo y sont nombreuses et voyantes, il serait pourtant faux de prêter à ces écrivains lintention de faire la caricature de leur pays. Par un certain déguisement indispensable à toute œuvre dart, leurs récits dépassent les frontières congolaises pour embrasser la réalité de toute lAfrique noire pratiquement, lAfrique noire qui, au regard des fléaux sociaux, est la même par-delà la diversité des régimes politiques qui la gouvernent.
En effet, nombre de ces écrivains de la seconde génération – celle qui émerge à partir des années 1960-1970 – thématisent tous les problèmes qui sont identiques à lensemble de lAfrique, à savoir : dictature ouverte non voilée, mégalomanie et abus du pouvoir, tortures, corruption, népotisme et tribalisme, paupérisme et mortalité grandissante, arrivisme et incompétence des cadres, polygamie et prostitution, etc. De ces maux, ils dégagent les éléments significations, les élaborent dans des structures et les coulent dans des formes propres à servir lesthétique de lécriture. Le lecteur a ainsi limpression de lire des réalités vraies ou simplement très probables.
QUE CONCLURE ?
Prenant alors le contre-pied de cette faillite de la société, réelle ou fictive, les écrivains en viennent à proposer une autre société faite de justice et dégalité si pas pour tous, mais au moins pour la majorité. Ils insinuent donc par là lavènement dune société démocratique, même si le terme démocratie nest pas dit de façon claire, explicite. On peut, dès lors, sinterroger sur lidée que les uns et les autres suggèrent de la démocratie.
Les protagonistes ; dans ces contextes, luttent tous pour la liberté, au nom de la liberté, pour le changement au nom du changement. Ils veulent donc une rupture avec lordre ancien et aspirent par conséquent à un ordre nouveau, véhiculant dautres valeurs, nouvelles aussi. Ils prônent pour la Rd-Congo en particulier et lAfrique en général le changement radical pour un renouveau socio-politique et humain, et pour un réarmement moral. Si les politiciens africains demeurent attentifs aux messages que véhiculent nos littératures derreurs, de bêtises irréprochables. Mais, leur malheur est de considérer ces littératures comme des œuvres de distraction, des rêveries, sans prise réelle sur notre vécu. Cette façon de voir les choses mérite, désormais, dêtre perçue autrement.
PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO
Critique littéraire, Université de Kinshasa