04.11.06 La « dictature de la croissance » ou la face cachée des réformes économiques néolibérales, par Faustin Kuediasala (Le Potentiel)
Cependant, sur le terrain, la population ne parvient pas encore à percevoir les effets réels de cette croissance tant vantée aussi bien par des analystes locaux quétrangers, notamment ceux prestant au sein des institutions de Bretton Woods (Fmi et Banque mondiale). Cest désormais, « la dictature de la croissance » qui ronge les économies. Le plus important pour le gouvernement reste la réalisation dun taux de croissance. Mais, lon se préoccupe de moins en moins de la politique à mettre en œuvre pour une redistribution efficiente des produits de la croissance. La RDC qui se trouve depuis cinq ans dans larène des réformes dictées par des institutions de Bretton Woods, est victime de cette nouvelle politique de la croissance. En encadré, une analyse du Comité pour lannulation de la dette du tiers-monde (Cadtm) présente un contraste entre les grandes richesses du monde et les véritables problèmes qui se posent dans certains pays malgré la forte publicité des programmes mis en place par les institutions de Bretton Woods.
Pas une page de journal économique, pas un discours de « décideur » noublie de louer cette croissance providentielle qui justifie tous les sacrifices. Les grands argentiers du monde donnent en modèles la Chine et lInde, pays vers lesquels les délocalisations dentreprises se multiplient, où le coût de la main douvre est très bas et les conditions de travail déplorables. Mais au fait, que contient cette croissance ?
Pour le cas de la République démocratique du Congo, les chiffres publiés notamment par la Banque centrale du Congo sont un peu plus éloquents sur la bonne santé de léconomie congolaise. La réalité est que léconomie congolaise se porte bien, au moins sur papier. Car, depuis 2001 – année de lancement du Programme intérimaire renforcé, relayé neuf mois après par le Programme économie du gouvernement – a été celle qui a remis léconomie congolaise sur une pente ascendante. Mais, si les statistiques économiques démontrent la bonne santé de léconomie congolaise, sur le terrain les réalités sont bien différentes. La population, censée être le principal bénéficiaire de diverses réformes mises en œuvre depuis 2001, est encore loin de capitaliser les effets de croissance ; son pouvoir dachat seffritant au jour le jour par le fait de la surchauffe des prix intérieurs et dune dépréciation continue de la monnaie nationale. Cependant, au nom de la croissance, la population devra continuer aux dures exigences des institutions de Bretton Woods pour garder le cap dune croissance positive ; cest cela, dit-on, « la dictature de la croissance », devenue populaire à léchelle mondiale.
La croissance économique dun pays ou dune région est directement liée aux politiques qui y sont menées. Théoriquement, à chiffre égal, elle peut ne pas avoir la même signification ici ou là. Elle pourrait refléter une amélioration des conditions de vie des populations, notamment les plus humbles, qui dès lors peuvent prendre part à lactivité économique et permettre le développement dentreprises locales qui fournissent avant tout des biens et des services pour le marché intérieur. Ce nest pas le cas aujourdhui. Très inégalitaire, elle enregistre la mainmise sur léconomie mondiale de très grandes entreprises multinationales, dont le chiffre daffaires dépasse souvent le produit intérieur brut de certains pays, voire de continents entiers.
Les clans au pouvoir dans les pays du Sud y trouvent leur compte et mettent en musique sur place la partition dictée par des chefs dorchestre luxueusement installés à Washington, Bruxelles, Londres, Paris ou Tokyo. Les économies des pays du Sud sont donc connectées de force au marché mondial et ce sont leurs exportations qui tirent la croissance.
Loin de favoriser lémancipation des individus et des pays du Sud, cette croissance découle de leur subordination organisée par la mondialisation néolibérale depuis un quart de siècle. La dette en a été le vecteur : alors que les pays du Sud étaient fortement incités à sendetter dans les années 1960-70 par les grands créanciers (banques privées, pays riches, Banque mondiale et institutions multilatérales), leffondrement des cours des matières premières et la hausse des taux dintérêts décidée unilatéralement par les Etats-Unis au virage des années 1980 ont précipité le tiers-monde dans la crise de la dette. Le moment était venu de serrer le nœud coulant…
LE GRAND CONTRASTE
Depuis, la plupart des pays en développement ont dû se plier aux exigences du FMI à travers les programmes dajustement structurel, dont la priorité absolue est dorganiser et de sécuriser le service de la dette dans lintérêt des créanciers. De manière habile, les remises en cause des acquis sociaux, les attaques répétées contre des mesures de justice sociale, les pires reculs en termes de solidarité collective ou de redistribution de la richesse ont été présentés par les responsables politiques comme une nécessaire modernisation, comme une indispensable adaptation à une mondialisation néolibérale érigée en référence absolue.
Or le système économique en place actuellement na rien dimmuable, il résulte au contraire de choix bien précis imposés par ceux qui en profitent. La Chine et lInde, tant vantées, nont pas appliqué à la lettre les recommandations du FMI et de la Banque mondiale, loin de là. Le discours officiel affirme que la pauvreté (dont les critères sont toujours fixés par des non-pauvres…) se réduit légèrement au niveau mondial, alors que si on excepte ces deux pays, le nombre de pauvres est en pleine… croissance ! Les tenants dune croissance économique à tout prix se gardent bien de faire savoir quelle peut tout à fait se révéler appauvrissante.
De surcroît, la planète ne pourrait pas supporter longtemps que tous les continents connaissent une croissance aussi soutenue que la Chine, de lordre de 10% par an, avec tous les dégâts environnementaux, humains et sociaux quelle entraîne dans son sillage.
Certains spécialistes affirment même que si les Chinois possédaient et utilisaient en moyenne la voiture comme le font les Occidentaux, la totalité de la production pétrolière mondiale devrait se diriger vers lAsie…
La croissance effrénée prônée par le système actuel ne peut pas être éternelle. De ce fait, elle est obligée de devenir folle pour perdurer, de créer sans cesse de nouveaux désirs de consommation, de polluer pour dépolluer (par exemple leau) et de détruire pour reconstruire (par exemple lIrak). Le tsunami de décembre 2004 aura été positif pour la croissance de lAsie, puisque les zones industrielles nont pas été touchées et que la reconstruction savère longue et coûteuse.
Dans ces conditions, la recherche aveugle de la croissance ne peut que broyer lêtre humain, mais cette évidence économique est tue car elle touche au cour même dun modèle qui se révèle incapable dintégrer sérieusement tant la donne environnementale que la donne sociale. Dès lors, cette croissance-là ne peut pas être, et ne doit pas être, lindicateur absolu de la bonne santé du monde.