05.11.06 Coopération : Les habits neufs de la coopération Suisse-Afrique (Cikuru Batumike, Médiatropiques)

C' est en somme ce que tradusait, il n'y a guère longtemps, en peu des mots, sur les ondes de Radio Suisse Internationale,  Lise Favre, chef de division politique au Département des Affaires étrangères: "Il faut se mettre au rythme de l'Afrique". Tout un programme, qui ne changera pas fondamentalement la ligne directrice de la politique africaine de la Confédération Suisse. Les relations économiques de la Suisse avec l'Afrique continue de représenter moins de 1 % de ses échanges extérieurs. L'objectif des entités politiques et économiques suisses étant de donner des signaux supplémentaires de son engagement sur le continent noir. Il s'agit d' intervenir davantage dans la défense de ses intérêts globaux, à divers degrés:  prévention des conflits générateurs de problèmes d'exodes; défense de l'environnement naturel (préservation des systèmes ou écosystèmes) de l'environnement construit (conseils sur la gestion des problèmes locaux: déchets, pollution, etc); redéfinition de la stratégie de politique d'immigration hors des frontières européennes, etc. 

Interrogeons l'histoire
Lorsqu'on interroge l'histoire sur leurs rapports géographiques, économiques et socio-culturels, on ne manque pas de se pencher sur les raisons de la présence suisse en Afrique. On le sait, ces rapports ont été marqués, dans un passé lointain, de dates importantes, avec en toile de fond, multiples actes bilatéraux qui ont consacré des traités d'amitié, d'établissement et de commerce; des accords sur la répression des fausses indications de provenance des produits étrangers etc. 
Ces rapports ont été précédés des contacts établis, en Afrique, par des particuliers dans le cadre des missions d'évangélisation, d'exploration scientifique ou des prises de position sur la défense des plus faibles. 
La Suisse reste l'un des rares pays qui n'a pas construit ses liens avec l'Afrique sur la base d'une conquête coloniale. Elle est un exemple de l'existence des relations eurafricaines en dehors de toute considération et/ou ambitions coloniales. 
En effet, les premiers Suisses se manifestent vers la Côte-d'Or (actuel Ghana) aux environs de l'année 1828. Ils font partie de la Mission protestante de Bâle qui créera sa première école avant de fonder le "Basler Mission Tarde Compagnie" appelée à commercialiser le bois et le cacao. On retrouve les traces des Suisses dans la question relative à la suppression de l'esclavage en Afrique. Le Mouvement anti-esclavagiste qui visa à ses débuts l'assistance aux esclaves affranchis aux USA prendra ses racines à Genève à la fin du 18e siècle. Un premier Comité National Africain Suisse vit le jour en 1875 pour davantage informer l'opinion sur la question esclavagiste (Lire aussi Les relations Afrique Europe de Bodol Ngimbus Ngimbus, livre publié aux éditions internationales Pax-Sanaga, Fribourg, 1985). Ledit comité exprimera son désarroi devant l'esclavagisme et exigera que soit mis fin, par la force, à la traite des hommes noirs. Aux appels du comité, succédera la création de la Société Suisse de Secours pour les Esclaves Africains. Son objectif: collecter des fonds pour financer un lieu d'accueil des esclaves fugitifs et/ou affranchis. Avec cette époque, la Suisse aura marqué de son empreinte quelque passé africain et peut prétendre avoir incorporé son effort -à la mesure de ses moyens et de ses intérêts- pour la transformation du vaste mouvement du bien-être de l'homme africain. 

Autre temps, autres données
Depuis que le continent noir s'est défait de la tutelle coloniale, les données des rapports Europe-Afrique ont pris des nouvelles dimensions. Elles incluent de plus en plus la coopération entre États sous forme d'aide ou bilatérale. Aujourd'hui, l'essentiel de cette coopération est devenu l'affaire des secteurs privés, des mouvements associatifs, des communes et, surtout, des ONG. La Suisse n'a pas de tradition étatiste, elle n'est pas la France. Nonobstant cette considération générale, certaines données -politiques et économiques- n'ont pas privilégié des rapports Suisse-Afrique qu'on voulait équilibrés. Depuis que l'Afrique s'est, malgré elle, engagée sur la voie de la modernité proposée par d'aucuns intérêts, elle n'a fait qu'essuyer des échecs. Avec force capitaux, bonnes volontés, technologies importées et autres valeurs, experts en tout genre, la modernité s'est avérée aussi unidimensionnelle que diverse. Aujourd'hui encore, le continent noir passe d'une crise à l'autre, ayant réalisé que le modèle de développement qui lui a été imposé ne pouvait prétendre à une validité universelle. Aujourd'hui encore, l'Afrique essaie, comme elle le peut, de prendre en charge les conceptions africaines du progrès. Plusieurs pays mettent en pratique des stratégies de développement, multiplient des approches dites nouvelles, reformulent tel ou tel principe pour s'éloigner du mythe d'un progrès mal compris. 
D'autres, incapables de prendre leurs véritables problèmes, de choisir une nouvelle voie de développement en fonction des données locales, se contentent de gérer leur crise. La mauvaise gestion, les dictatures et les politiques répressives n'ont fait que stériliser des énergies créatrices. Avec des programmes mal appliqués, l'Afrique n'a fait que se placer au bas de l'échelle des économies mondiales. Quelques pays dits avancés n'ont pas baissé les bras et sont restés partenaires utiles du continent. A l'instar des agents des Organisations non gouvernementales ou privées à but non lucratif, ceux d'origine confessionnelle et d'autres, qui oeuvrent dans le cadre de la coopération technique, des membres du Bureau International du Travail, de l'ONU, de l'UNESCO, de la FAO ou de l'OMS interviennent, par des actions concrètes, sur le continent.  La coopération nationale dite officielle suisse n'est pas en reste. Elle fonctionne, par le biais des volontaires, des techniciens et autres experts aux côtés des sociétés civiles.  Les Suisses dits "tiers-mondistes" restent aux côtés des Africains en quête des meilleures conditions de vie. Ils s'engagent dans des actions de développement équitable et voient de mauvais oeil ceux qui vont en Afrique pour faire de l'argent. Volontaires ou experts, des Suisses continuent de s'y rendre pour y travailler. De leurs expériences, il ressort que la coopération reste une traduction de la volonté mûrie, conjuguée avec les capitaux et les connaissances techniques. Les échecs répétés de la construction d'une modernisation à l'occidentale les ont conduits, maintes fois, à reconsidérer le modèle de développement et à préférer celui qui s'inscrit dans un contexte purement africain. Au préalable, ils se forment sur les problèmes de développement, se spécialisent en tant que futurs praticiens de celui-ci. 

Assimiler les valeurs africaines 

Pour rendre concrète cette démarche et la faire bénéficier aux intellectuels africains, il y a eu la création dès 1961 de l'Institut Africain de Développement (Genève) et dès 1989, de la Commission fédérale des bourses du Département fédéral de l'intérieur. Des nombreux étudiants africains ont obtenu, à ce jour, une bourse de cette commission, en diverses disciplines. Parallèlement à leurs collègues suisses, les africains ont accès aux outils d'analyse permettant de mieux comprendre, de toucher les réalités de leurs pays.  L'efficacité de la coopération, forcément locale, reste condamnée à s'appuyer sur cette perspective de la connaissance approfondie, d'analyse des sociétés et d'assimilation des valeurs du monde noir. 
Certes, il faut des personnes capables d'exercer une spécialisation dans un milieu extra social. Mais, derrière la thématique de leur formation se cache toute une politique de développement à repenser. Les carrières de développement s'offrant à tout coopérant -enseignants formés pour un projet d'alphabétisation fonctionnelle ou proprement dite, ingénieurs en construction, en génie civil, en agronomie, vétérinaires ou médecins- doivent être davantage soutenues. Elles sont parmi les solutions envisagées pour supprimer le bloc "pays riches pays pauvres"; pour limiter les dégâts du système financier international devenu un goulot d'étranglement, loin de toute idée d'intégration économique; pour réduire la dépendance des nouvelles nations envers le pouvoir de création technologique des pays dits développés. 

Intégrer une vraie politique d'échanges culturels

Certes, des efforts sont enregistrés dans les domaines économiques, éducatifs et autres. Mais, on attend de l'actualisation de la politique de coopération suisse, un peu plus, particulièrement dans le domaine culturel, parent pauvre de la solidarité suisse en Afrique. On le sait, parler de culture africaine en Suisse c'est évoquer sa promotion par le biais des activités bien ciblées. Autrement dit, montrer l'autre Afrique en Suisse revient généralement à faire allusion aux  festivals de films du Sud (Fribourg et Black movie à Genève), festivals de musique (quelques têtes au Paléo, d'autres dans les manifestations de rue), festivals médias nord-sud…et passages des percussionnistes certes, choisis on ne sait sur quels critères, mais  soutenus financièrement par les caisses de la Direction du Développement et de la Coopération  (pour la seule année 2000, la DDC aurait investi plus d'un million de francs dans divers programmes de promotion des cultures du Sud).  Dans les milieux Africains nombreux sont ceux qui affirment que la Suisse fait dans le plus facile, ce qu'il y a de plus exotique. Or donc, l'Afrique n'est pas faite que de percussionnistes. Elle compte des jeunes créateurs: écrivains, artistes (on retrouve l'art africain à travers son approche historique ou sa philosophie dans des expositions itinérantes cycliques de quelques musées suisses), designers, troupes de théâtre, cinéastes (leurs films sont vus épisodiquement en Suisse, mais n'y sont pas produits). Elle compte des créateurs sur place même en Suisse toujours en quête des structures solides pour leur travail. A notre connaissance, les faiseurs de cultures africaines en Suisse n'intéressent pas les organismes chargés de leur promotion (à propos, quel bilan peut-on mettre à l'actif de la politique d'échange entre Suisses et Africains vivants en Suisse ? ) Parler de culture c'est parler des échanges solides et multiples entre la Suisse et l'Afrique: présence culturelle africaine en Suisse, mais également présence de la Suisse culturelle en Afrique (par ses peintres, sculpteurs, groupes de théâtre, musiques, écrivains et autres cinéastes). L'Africain appréhende mal la Suisse au travers de sa culture qui, bien que n'étant pas traditionnelle (elle reste moins chargée d'histoire que celle de la France) mérite de changer son caractère asymétrique (pour la petite histoire, la dernière grande présence culturelle suisse en Afrique noire francophone remonte à… 1990, avec la tournée du Théâtre Populaire Romand dans treize pays, à travers  la pièce "Le malade imaginaire"). 

Cikuru Batumike

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