05.11.06 Quand les multinationales s'implantent et délocalisent (Cikuru Batumike, Médiatropiques)


La stratégie des multinationales, dans les pays africains, consiste à se concentrer autour de quelques pivots industriels susceptibles d'engendrer de grands profits. Les marchés qu'elles estiment non rentables ne sont pas concernés. Activités visées: l'exploitation des matières premières, les secteurs secondaires (transformations) et tertiaires (services), la restructuration, l'adaptation et autres promotions nécessaires à leur développement. Les multinationales gagnantes sont celles qui ont su conserver jalousement le résultat obtenu par une application continue et sans faille de leurs stratégies. Si les Allemands ont opté pour une voie sélective, les Anglais ont choisi celle des groupes, tandis que les Français et les Belges ont préféré la présence. De même, les multinationales américaines et japonaises obéissent à une logique propre qui n'a rien de commun avec celle des Nations où elles sont établies. Une indépendance qui leur a toujours donné un statut particulier vis-à-vis des pays africains d'accueil. Elles ont assuré, sur le continent noir, leur rentabilité tout en prouvant leur compétitivité sur le marché mondial.  Elles ont su mettre de l'ordre dans leur propre économie, ce que n'ont pas fait les sociétés autochtones. Cette réussite est conditionnée par différents éléments dont les plus importants restent l'environnement dans lequel elles évoluent et la couleur politique des pays. Elles tirent profit de certaines lacunes des pays hôtes.

Généralement, les multinationales s'installent là où les coûts de production sont les plus bas et là où les possibilités de vente, les pratiques financières et les conditions fiscales sont meilleures. Elles tirent avantage des lacunes des législations fiscales africaines. Usant de leurs stratégie et position internationales, elles savent se soustraire à plusieurs contraintes fiscales. Les pays hôtes à la recherche d'une alternative à leur récession, de profit des bénéfices réinvestis ou de solution pour gonfler leur balance de paiement n'hésitent pas à ouvrir leurs portes aux  investissements directs internationaux. Ils n'ont pas tort pour autant que les multinationales donnent naissance, chez eux, à des courants d'exportation auparavant faibles et inexistants ou remplacent les importations par des productions locales, ouvrant ainsi des nouvelles possibilités de production en plus de celles traditionnelles. Nonobstant le profit qu'elles tirent de certaines lacunes, certaines sociétés interviennent dans la balance commerciale des pays africains favorisant à court ou long terme le mouvement des capitaux, infléchissant les balances de paiement se répercutant sur les réserves monétaires des pays d'accueil. Autre point essentiel: les multinationales savent, à l'occasion, opérer des désenclavements pour certaines régions défavorisées sur le plan économique. Elles créent des emplois, mettant nettement un frein à l'émigration des cerveaux, et empêchent, à l'occasion, l'accroissement du "brain drain".

L'Afrique face aux inégalités des moyens
Certes,  ces effets attendus ont un impact -même limité- sur l'ensemble de l'économie des pays hôtes. Mais, les multinationales ajoutent au lot quotidien des problèmes que connaissent les pays africains. Dans la perspective d'une recherche d'équilibre entre leurs activités et l'économie locale, il y a cette difficulté d'allier leur présence à la liberté de leur comportement intérieur. Entre autres critiques formulées sur leurs investissements on entend dire qu'elles sont des moyens de domination économique ou technique de l'étranger sur des pays souverains. Les raisons en sont simples: plus de la moitié de la valeur et de la production des investissements directs mondiaux sont contrôlées par trois zones dans le commerce mondial, à savoir: les zones américaines, européennes et  japonaises. A elles seules, elles indiquent un taux élevé de concentration et une puissance économique sans partage. On sait que leurs ventes dépassent de loin le pourcentage réalisé par des sociétés à capitaux nationaux réunis d'Afrique.

Risques et gains importants
En dépit de l'image dominatrice qu'elles donnent, les multinationales courent, malgré elles, des risques…calculés. Appelées à se conformer aux disciplines appliquées sur le plan local, elles doivent suivre un code de bonne conduite de l'autorité économique des lieux. Dans le cas contraire, elles risquent de voir leurs actifs pris en otage ou leur  mobilité freinée. Des risques existent dans le cas de l'engagement d'un nouveau marché pour lequel elles ne se seraient pas préalablement préparées. Des telles "aventures", conduisent à la cessation des activités et au déplacement vers d'autres cieux. Une mobilité que n'a pas une entreprise indigène et qui suscite toujours une certaine méfiance de l'opinion. Laquelle méfiance reste nourrit lorsqu'on sait que ces sociétés étrangères occupent en partie les créneaux des produits industriels, agro-alimentaires ou énergétiques, et pratiquent souvent des ventes à des prix de dumping. Elles gagnent plus que les entreprises locales. Soumises au même règlement d'emploi de personnel, les multinationales peuvent ajuster leurs effectifs à leurs besoins, ce que ne peuvent pas les sociétés à capitaux nationaux. Elles réalisent rapidement des gains importants parce qu'elles bénéficient régulièrement de structures fonctionnelles (finance, production, marketing) que n'ont pas les sociétés locales.
 

Délocalisation des unités de production.
Si la concentration industrielle suppose la recherche de gains par une stratégie propre à certaines entités économiques internationales, il n'est pas exclu que quelques sociétés locales cherchent, pour prospérer, l'abri du parapluie des multinationales. Ces dernières ont maintes fois procédé par l'exportation à partir de leurs pays d'origine, pour finir par s'intéresser, en Afrique, à la prise de contrôle des réseaux de production et de distribution, voies faciles pour mieux s'introduire dans les secteurs économiques nationaux. La diversité des pôles d'opérations des sociétés multinationales en Afrique est une évidence. Or donc, nombre de ces sociétés remettent rarement à jour leurs orientations de travail. La routine aidant, elles ne prennent en compte que leurs ressources financières et techniques, accordant peu de place, dans leur stratégie de travail, aux capacités et aux ressources humaines indigènes. Aussi, comment s'investir à fond face au manque d'assurance traduit par des chocs pétroliers successifs, la crise et l'instabilité monétaire, l'endettement, le déséquilibre dans les échanges mondiaux qui voient les marchés africains rongés par des dégrèvements fiscaux et autres instabilité politique ? Les multinationales de l'agro-alimentaire Unilever ou Nestlé, celles du matériel technique Philips ou de l'extraction des mines à l'exemple du Ruhrkohle et du pétrole comme Royal Dutch Shelle, les entreprises du bois de papier Reed , et d'autres encore hésitent de plus en plus à créer des îlôts de créativité propres à contribuer à endiguer, dans leur ensemble, les énormes questions économiques du continent. Le vent de la démocratisation qui a soufflé à l'Est au début des années 1990 n'a pas arrangé les choses.  Aujourd'hui, le démantèlement des multinationales se traduit par la suppression de milliers d'emplois et la  récupération des infrastructures mises en place. Les multinationales se déploient sur de nouveaux marchés, principalement ceux de l'Est européen, avec les mêmes stratégies de travail. En attendant mieux, en Afrique.

Cikuru Batumike/ Média Tropiques

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