07.11.06 L’élargissement du code CIMA; un impératif économique pour l’Afrique en général et la RDC en particulier (Le Potentiel)

« Un code unique pour un marché unique », ce titre fait écho presque onze ans après à celui que nous utilisions dans un article commun avec Didier Burg dans un numéro de l’Argus des assurances d’avril 1995 pour appeler à l’élargissement du code Cima (Conférence interafricaine des marchés d’assurances) aux pays hors zone CFA. Force est de constater que ce vœu d’ouverture est resté, à une exception près, lettre morte. Si plusieurs pays ont manifesté leur intérêt pour la Cima, peu ont franchi le cap de l’adhésion. Ces réticences sont d’autant moins compréhensibles que le traité Cima) qui a aujourd’hui 12 ans, a fait ses preuves partout où il est appliqué et son importance n’est plus à démontrer.

La Cima est, en effet, devenue un traité majeur, qui a résisté à l’épreuve du temps et mûri au gré des réunions et des travaux d’experts et praticiens africains. Les quinze Etats (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Conakry, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo) régis aujourd’hui par le code Cima réalisent des performances difficilement imaginables il y a seulement quinze ans ; nous sommes passés d’un marché artisanal à un marché structuré et performant.

SUR LE PAS DE L’OHADA

Ce traité qui a pour objectif dans le domaine des assurances, comme l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) dans celui du droit des affaires hors assurance, de garantir la sécurité juridique et financière des investissements mais également des consommateurs a réussi à atteindre quasiment tous ses objectifs : la promotion d’un environnement légal et réglementaire propice au développement des affaires et à une intégration régionale réussie, l’assainissement du marché des assurances en Afrique.

Le Traité Cima et le code des assurances qui lui est annexé ont réussi à réaliser ces objectifs grâce, entre autres, à la mise en place d’un outil de contrôle supra national, véritable gage de sécurité pour les assureurs, qui ne dépendent plus de l’arbitraire des Etats, comme cela était malheureusement trop souvent le cas, avant l’adoption du traité.

Les fonctionnaires tout puissants des ministères de tutelle ayant, souvent avec l’appui de leur hiérarchie, y compris parfois à l’échelon ministériel, le droit de vie ou de « mort » sur les compagnies d’assurance du marché national, ont cédé depuis plus de douze ans la place à un corps de contrôle formé et capable de résister aussi bien aux pressions politiques qu’à celles des compagnies d’assurances en difficultés financières. Cette législation nouvelle est venue également combler des lacunes et/ou corriger des abus.

En effet, dans la plupart des pays, je cite une note du secrétariat général de la Cima : « la réglementation des opérations d’assurance était très peu élaborée. Elle était incomplète ou désuète…. La réglementation des intermédiaires d’assurance était pratiquement inexistante ».

Sur le plan de la sécurité financière, la plupart des compagnies du marché présentaient des marges de solvabilité insuffisantes car calées uniquement sur la représentation de placements eux – mêmes fort mal rémunérés, faute d’instruments financiers performants sur le continent africain.

La notion de marge de solvabilité telle qu’on l’entend par exemple en Europe était inexistante, ce qui exposait les assurés à des risques de faillite des entreprises dans un contexte où justement les mesures de sauvegarde étaient mal définies. Cela a d’ailleurs conduit le rédacteur de la Cima à mettre en place une vraie législation réglementant la vie des entreprises d’assurance, de l’agrément à la liquidation, en passant par leur fonctionnement normal et qui justifie presque à elle seule la dérogation au droit commun et l’exclusion du champ de l’Ohada, entré en vigueur deux ans après. L’assainissement des entreprises d’assurance passait également par une refonte de la comptabilité et une harmonisation entre les règles éparses (plan comptable hérité du colonisateur et /ou encore plan comptable local).

D’ailleurs, à propos du plan comptable et de la présentation des comptes des compagnies d’assurance non filiales des groupes côtés sur des marchés occidentaux, il serait intéressant d’envisager des adaptations pour prendre en compte et intégrer les nouvelles exigences de présentation comptable nées des différents textes récents occidentaux (Europe et Etats-Unis) : loi sur la sécurité financière française du 1/08/2003, elle – même largement inspirée du SOX Act (du nom des deux parlementaires américains Sarbannes et Oxley), pris à la suite du scandale lié à la faillite du courtier Enron.

Les aménagements comptables nécessaires pourraient également s’accompagner d’une réflexion globale sur le taux de rétention local, à mon sens non satisfaisant aujourd’hui et qui encourage la prolifération d’officines off shore qui font une concurrence déloyale aux compagnies d’assurance du continent africain. Cette exigence de contrôle et de transparence dans la présentation, y compris comptable, des compagnies est d’autant plus souhaitée que le marché africain des assurances d’avant le traité de 1992 était loin de satisfaire aux standards généralement admis dans la profession.

Le contexte dans lequel évoluaient les compagnies n’était pas non plus exempt de tout reproche ; les tribunaux avaient la fâcheuse tendance avant la barémisation à condamner lourdement les assureurs en interprétant de manière fort généreuse et extensible la notion d’ayants droit, ce qui pouvait aboutir à des sommes pharaoniques, parfois équivalant au chiffre d’affaires de la société, sans compter le manque de professionnalisme de certaines compagnies, davantage chasseurs de primes d’ailleurs qu’assureurs et qui en guise d’assurance faisaient de la vente à perte, préoccupées par les recettes plus que par les résultats.

Il fallait en urgence établir des règles et de ce point de vue là, la Cima a rempli et continue de remplir parfaitement sa mission. D’ailleurs grâce à la Cima et tout son dispositif préventif et répressif, cette « race » de dirigeants prédateurs d’entreprises a laissé petit à petit place à une nouvelle classe de dirigeants mieux formés, compétents et soucieux des performances de leurs compagnies. L’équilibre atteint aujourd’hui par un marché assaini reste pourtant fragile, un rien peut faire « gripper » la machine, c’est pourquoi la question de la pérennité et de l’élargissement de la Cima est plus que jamais d’actualité.

UNIFORMISER LE SECTEUR DES ASSURANCES

La Cima, dont l’ambition définitive est l’instauration d’un marché unique des assurances en Afrique et qui repose sur la transparence des opérations d’assurance et la solvabilité des entreprises, s’est dotée de moyens juridiques tels que le code (Cima) et de moyens institutionnels tels que la commission régionale de contrôle, complétés par un organisme de formation basé à Yaoundé et d’une entreprise de réassurance régionale « Cica Re », pour être à la mesure des enjeux et du défi économique à relever.

Ceux qui comme moi ont connu le marché africain des assurances avant l’entrée en vigueur du code Cima le 15 février 1995 savent à quel point celui-ci a été salutaire pour le marché ; c’est peut-être pour cela aussi que nous appelons encore aujourd’hui à un véritable élargissement de ce dispositif aux pays comme la République démocratique du Congo et d’autres.

Il nous paraît également normal de demander que le périmètre Cima soit identique au moins à celui de l’Ohada pour des raisons de cohérence notamment dans la perspective du développement de la Banque – Assurance en Afrique et aussi dans le cas où l’Ohada évoluerait par exemple sur le plan du droit de travail et / ou du droit fiscal car se posera alors la question du conflit entre deux normes juridiques aux visées identiques, mais dont les textes pourraient à défaut d’être harmonisés créer des tensions :

Les salariés des compagnies d’assurance seront – ils régis par l’Ohada ou suivront-ils plutôt la législation Cima qui ne traite pas plus de cette question aujourd’hui ?

Le statut de commerçant tel que défini par l’Ohada s’applique-t-il aux intermédiaires d’assurance, eux aussi commerçants ? Si oui, est-ce que les dispositions du code Cima sur les courtiers en assurance sont réellement exclusives de tout autre texte ?

Pour tenir compte de la spécificité de l’activité d’assureur, option actuellement choisie par la Cima, les conglomérats ou holdings regroupant des activités bancaires et d’assurance seront en définitive régis par lequel des deux textes ?

Les produits de type bancaire en assurance de personnes seront – ils réglementés par le code des assurances ou non etc. … ? Autant de questions que nous aurons probablement à nous poser et qui plaident pour une harmonisation.

Car si on peut déplorer la multiplication des organismes régionaux à caractère économique dans un contexte où un regroupement au sein d’une agence pour l’intégration de l’économie africaine, directement rattachée à l’Union africaine ferait plus « sens » politiquement, on peut néanmoins saluer le travail colossal entrepris aussi bien au sein de la Cima que de l’Ohada. Ces deux organismes ont démontré, si besoin était, que l’Afrique est capable d’assumer son destin avec une technicité et des compétences avérées qui n’ont rien à envier aux économies occidentales rompues au libéralisme.

Le risque en cas de non-élargissement aussi bien de l’Ohada que de la Cima est encore une fois une perte d’efficacité pour des entreprises qui sont obligées de s’adapter et de modifier leurs instruments juridiques à chaque fois qu’elles dépassent une frontière, au lieu justement de mutualiser les expériences et les outils, sans parler du manque d’attractivité.

Les pays non membres risquent de continuer à cumuler des handicaps, comme le démontre notre description des années 90, à l’époque où ni la Cima, ni l’Ohada n’existaient.

C’est pour justement conjurer cette « débâcle » annoncée que nous sommes un certain nombre à demander, afin d’avoir un corpus juridique complet et cohérent au service du progrès économique et humain en Afrique, un élargissement et une harmonisation des textes existants. Il est nécessaire, à défaut d’un organe unique de pilotage de l’économie africaine, plus de synergie et de coordination entre les différents acteurs dans l’intérêt exclusif de l’économie africaine et des Africains.

Il faut, en effet, se rendre à l’évidence : aujourd’hui, les lois du marché sont implacables. Les pays Cima sont, c’est indéniable, plus compétitifs que les autres en matière d’assurance ; vouloir une autre voie, c’est simplement aller à contre-courant des réalités économiques et prendre le risque d’un repli identitaire qui s’accommode mal des exigences du libéralisme économique, seul cadre d’exercice possible.

De toute façon, les acteurs majeurs du marché africain, voire les autres investisseurs institutionnels n’iront pas « s’aventurer » dans des expérimentations juridiques incertaines, maintenant qu’ils ont vu la mise en œuvre positive de la Cima et qu’ils ont payé le prix fort pour l’assainissement d’un marché aujourd’hui attractif, même s’il reste à réaliser des progrès pour parfaire un traité et un code, par nature toujours perfectibles.

HERMAN MBONYO LIHUMBA

Enseignant à l’Unikin et à l’Université de Picardie (France) Consultant en assurances et spécialiste de la Cima

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