Les interventions des institutions de Bretton Woods en Afrique : contraintes et limites (CRISPIN MALINGUMU SYOSYO)

Si, à leur création, les missions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale semblent distinctes et leurs objectifs respectifs clairement définis, leurs actions sur le terrain, notamment dans les pays en développement, convergent depuis plus de trois décennies. Cette convergence des champs d’intervention des deux institutions a placé le développement économique au centre des objectifs poursuivis dans la coopération avec les pays du tiers- monde en général et avec l’Afrique subsaharienne en particulier. Les accords passés avec les pays africains depuis plus de vingt ans visent cet objectif général, même si, dans la pratique, le respect des contraintes (équilibre extérieur, équilibre commercial, stabilité des prix et de change) semble prendre le pas sur le développement. À partir du milieu des années 1990, une nouvelle évolution fait de la réduction de la pauvreté le deuxième objectif clé des programmes d’ajustement. À vrai dire, la réduction de la pauvreté et la redistribution faisaient déjà partie des thèmes débattus au sein de la Banque mondiale dans les années 1960, en écho aux politiques intérieures des États-Unis de l’époque.

Jusqu’en 1980, l’action du FMI se situe dans le court terme, mais les objectifs poursuivis, eux, s’inscrivent dans le long terme, du simple fait de son financement inconditionnel et de l’absence de politiques fortement restrictives de la demande globale à court terme. En effet, fidèle à ses statuts qui prévoient deux missions (la correction des déséquilibres de paiement et le maintien de la prospérité), l’action du Fonds, alors essentiellement financière, consiste à mettre temporairement ses ressources à la disposition des membres, moyennant des garanties adéquates pour leur permettre de corriger les déséquilibres de leur balance des paiements, sans recourir à des mesures préjudiciables à la prospérité nationale ou internationale. Il s’agit des mesures telles que les restrictions commerciales, le contrôle des changes, ou encore la dévaluation. Cette mission sera poursuivie principalement dans le monde développé et dans les pays latino-américains, accessoirement en Asie et en Afrique, de 1953 à 1980.

L’action de la Banque mondiale se situe, quant à elle, dans le long terme : elle vise le développement économique et social à travers la construction des infrastructures de base et la mise en place de grands projets d’investissement dans les secteurs de base (agriculture, énergie, éducation, infrastructures…). Il faut dire qu’au départ, la Banque concentre ses opérations sur la reconstruction plus que sur le développement, offre des garanties sur les investissements plutôt que des crédits directs. On constate donc une complémentarité, voire une parfaite convergence entre les deux missions : les politiques d’ajustement macroéconomiques du FMI visent à éviter la déflation en stimulant ou en préservant la demande, alors que les politiques microéconomiques de la Banque mondiale cherchent à promouvoir directement l’offre, en renforçant les capacités de production et en élargissant les potentialités de l’économie.

Les années 1980 consacrent une nouvelle orientation de la mission du FMI. Le deuxième choc pétrolier frappe plus fortement les pays en voie de développement que les pays développés, qui bénéficient du recyclage des pétrodollars. Le relèvement des taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux et la dégradation des termes de l’échange entre 1978 et 1980 se traduisent par la généralisation et l’accélération des déséquilibres extérieurs, budgétaires et monétaires dans la plupart des pays africains. D’inconditionnel, comme ce fut le cas pour les mécanismes pétroliers, le recours au financement du FMI est désormais soumis à une forte conditionnalité, notamment à partir du milieu des années 1980.

LE RAPPROCHEMENT FMI – BANQUE MONDIALE

Les programmes élaborés au cours de cette période confirment le rapprochement entre les deux institutions : le FMI se soucie désormais de la rentabilité des investissements privés et du développement des infrastructures, la Banque mondiale apporte des fonds pour résorber ou réduire l’ampleur des déséquilibres financiers. Mais, surtout, la Banque mondiale tend à conditionner son soutien financier à la signature des accords avec le FMI. Les équilibres macroéconomiques passent désormais du statut de contraintes à celui d’objectifs intermédiaires. Il faut cependant relever que la double convergence entre les objectifs des deux institutions coexiste avec des différences importantes au niveau des instruments de politique économique déployés et à celui des approches adoptées dans leur définition.

Dans la panoplie des instruments utilisés, les politiques de libéralisation et les politiques restrictives de la demande occupent la première place. Les premières sont censées stimuler l’offre en supprimant les distorsions des prix provoquées par l’interventionnisme étatique sur les différents marchés. Les secondes visent à rétablir rapidement les équilibres extérieur et budgétaire et à juguler l’inflation, grâce à la réduction des dépenses publiques, à l’augmentation des recettes fiscales et au contrôle de la masse monétaire. C’est un fait que ces politiques restrictives de la demande se sont traduites au cours des années 1980 par des taux de croissance négatifs du fait de la faiblesse de l’investissement qui, au lieu d’augmenter pour compenser la baisse de la consommation, a plutôt diminué. Dans certains cas, la libéralisation des marchés financiers, notamment dans les pays ne faisant pas partie des zones monétaires fortes, a entraîné une hausse des taux d’intérêt défavorables à l’investissement et à l’éclosion des petites exploitations agricoles.

L’afflux attendu des capitaux étrangers ne s’est pas manifesté pour compenser la baisse de l’investissement domestique. Plus grave encore, la rupture de l’équilibre des prix résultant des mesures déflationnistes a entraîné l’effondrement des entreprises fragiles, selon le mécanisme décrit par Keynes dès 1936. On admet aujourd’hui que l’étalement dans le temps de ces mesures, du reste nécessaires, aurait permis de sauver des pans entiers des économies africaines. L’approche de la Banque mondiale dans la mise en œuvre des politiques de développement semble plus pragmatique et plus souple que celle du FMI, grâce à une plus grande connaissance des pays en développement. En effet, comme le souligne Joseph Stiglitz (2002), si les deux institutions envoient des équipes d’économistes en mission pour plusieurs semaines sur le terrain, la Banque mondiale a fait des efforts pour maintenir une partie importante de son staff dans les pays africains, alors que le FMI n’a généralement sur place qu’un unique représentant résident, avec un pouvoir limité. Par ailleurs, la Banque mondiale, après une étude minutieuse de l’environnement économique des pays, finance des projets spécifiques, tandis que le Fonds applique un modèle macro économétrique généralement élaboré en laboratoire ou dérivé d’un cadre comptable uniformisé, en utilisant la documentation statistique locale. Cette deuxième différence n’est pas négligeable : non seulement les problèmes (contraintes techniques, financières, infrastructurelles) changent d’un pays à un autre, mais l’on peut observer, à l’intérieur d’un même pays, des écarts importants dans les niveaux de développement régionaux. Contrainte majeur mais mis de coté par le fonds dans la mise en place et l’élaboration de ses programmes.

Une libéralisation ou une décentralisation à marche forcée de tous les pays, ou de toutes les régions d’un même pays, peut avoir des effets désastreux. Une bonne connaissance du terrain et des régions aiderait à l’élaboration de programmes pertinents dans lesquels la dimension socio-culturelle serait prise en compte. Les statistiques sont abstraites et ne décrivent pas toujours les comportements individuels. Il est par conséquent important de trouver le bon niveau d’agrégation, qui correspond à une contrainte effective et à un comportement observé. Cette connaissance du pays ou de la région reste incontournable.

DES PROGRAMMES AUX RESULTATS DISCUTABLES

Au plan théorique, le bien fondé des programmes d’ajustement reste discutable, tant au niveau de sa finalité qu’à celui des instruments. Au niveau de la finalité, la plupart des économistes, y compris les monétaristes dont les thèses semblent inspirer les programmes du FMI, admettent la prospérité mieux le bien être de tous comme le but ultime de tout programme d’action gouvernemental, la sauvegarde des grands équilibres macroéconomiques représentant une contrainte pour une prospérité durable. Une économie peut ou devrait donc fonctionner avec un déficit public ou externe acceptable et un taux d’inflation faible et raisonnable, pourvu que les taux de croissance soient élevés et qu’il existe à son sein une juste redistribution du fruit de la croissance.

Au niveau des moyens, l’option radicale du FMI pour l’internalisation des ajustements nie parfois, sinon souvent, la dimension extérieure des crises d’ajustement (baisse brutale des cours des matières premières, augmentation des prix des achats industriels, augmentation des taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux, appréciation des devises fortes), ou alors leur caractère purement exogène (catastrophes naturelles). Les facteurs externes et exogènes devraient être dissociés des facteurs internes (erreurs de politique économique, mauvaise gouvernance) dans la définition des moyens de résorber les crises d’ajustement, de manière à trouver un dosage équilibré de la conditionnalité. Enfin, la progressivité des mesures de politiques économiques permettrait d’éviter ou d’atténuer les effets pervers mentionnés plus haut.

C’est sans doute pour toutes ces raisons que certains des gouvernements africains ont emprunté le chemin de l’ajustement structurel à pas forcés dans les années 1980. Les premières expériences, avec leur cohorte de licenciements massifs, de réductions drastiques des salaires, d’émeutes et d’effondrement de la production avaient suscité la méfiance, sinon l’hostilité. Au cours des années 90 et aujourd’hui encore, un certain nombre de gouvernements africains parmi les quels celui du Congo Kinshasa, continuent d’appliquer ces programmes, plus par crainte d’une suspension des crédits et d’un isolement financier que par conviction sur leur bien fondé ou leur succès. En témoignent des divergences de vue au moment de l’application de programmes pour lesquels l’accord semblait parfait au départ.

La coopération avec le FMI a cependant permis de renforcer la rigueur dans la gestion des économies africaines, grâce à une plus grande maîtrise des outils de décision et de prévision, aux plans macroéconomique et microéconomique. La libéralisation a également introduit plus de flexibilité dans l’appareil productif. Le cadre institutionnel de collecte et de traitement de l’information statistique a également été perfectionné. Ces acquis des programmes d’ajustement ne sont pas étrangers à la relative stabilité de certaines économies. Ils sont à mettre à leur actif, indépendamment des résultats du moment.

Cet article est une version adaptée d’une étude menée par le professeur Blaise Mukoko doyen de la faculté des sciences économiques de l’université de Douala.

CRISPIN MALINGUMU SYOSYO ASS. UNIKIN ET ENAP-KIN

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.