La sorcellerie et ses effets socio-économiques en Afrique moderne dans Jazz et vin de palme de E.B.Dongala.

Consciemment connus ou non, ces mystères continuent de se manifester vivement, s'enregistrant ou s'imprimant sur la conscience des plus sceptiques sa réalité contemporaine en Afrique. La sorcellerie, science ou superstition, fait partie intégrante de ces réalités mystérieuses sinon mystiques d'Afrique moderne. Avec coups de surprise, la sorcellerie s'affronte aux doutes incessants venant du monde intellectuel qui la baptise superstitieuse et ses manifestations illusoires et spécieuses. Néanmoins cette science noire ne cesse également de pétrifier ou effrayer la société africaine moderne qui porte témoignage d'activités diaboliques des sorciers noirs et souffre de ses effets socio-économiques.

C'est à noter que cette pièce ne cherche pas à glorifier la sorcellerie ou les sorciers mais à démystifier, sensibiliser, et éveiller la conscience publique à sa réalité sonnante dans l'Afrique moderne. Nous tenterons de découvrir si ce n'est pas ce que cherche à faire cet auteur congolais, E. B Dongala dans l'une des nouvelles dans son recueil, Jazz et vin de palme (1982), dans laquelle se plongera cette étude. Donc il nous y faut décortiquer ces manifestations diaboliques des sorciers pour discerner leurs conséquences sociales et économiques dans la société africaine d'aujourd'hui.

Le vendredi 15 juin 2007

Définition et évolution de la sorcellerie.

E mot sorcellerie soulève dans la mémoire une image de bizarres créatures, quasiment abracadabrantes. Mais par Chima .U (2005 :56), nous comprenons que les sorciers ne sont qu'hommes et femmes qui, s'attachant au diable par alliance, se dotent de maléfiques pouvoirs surnaturels par lesquels ils oppriment, intimident et exterminent la vie des peuples. Ils se croient posséder une connaissance mystique, spécialement magique qui leur permet de manipuler des éléments crées pour affliger. Evidemment la sorcellerie est une forme de magie. Matumba Mainga(1772 :97) ajoute que la sorcellerie fournit à l'homme une capacité d'exercer un contrôle direct sur son destin,et puis sans doute celui des autres. Il est carrément discutable de dire que la sorcellerie fait partie du patrimoine culturel des Africains, vu que Sunday Mbang, l'un des leaders méthodistes nigérians, préfacier de Ekereobong Moses (2004) et d'autres écoles de pensée, contestent cette thèse. Evidentes qu'elles soient leurs traces, une poignée d'Africains ne sont pas d'accord avec sa réalité métaphysique. Cependant, la société ne cesse d'en souffrir. Plus les gens prétextent d'en ignorer plus sa réalité se révèle clairement et s'évolue de jour en jour. Est-ce qu'il n'y a pas un élément de vérité ? Le fait que même les clergés blancs, anciens missionnaires croient d'après Terence Ranger (1972 :233), en l'efficacité de la sorcellerie dès leur arrivée en Afrique. Si l'on n'est sourd à ne pas entendre le bruit criard du harmattan, ne peut-on pas quand même en avoir froid ?

Origine de la sorcellerie en Afrique

La sorcellerie n'est franchement pas du tout une affaire africaine seulement puisqu'elle se pratique chez les Blancs. Il faut savoir que son existence et sa croyance en Europe datent dès le Moyen Age, cela s'y fortifie publiquement jusqu'au 19-ème siècle. Cela informe pourquoi le Parlement britannique fait dans les années 1730 une abrogation de loi interdisant la sorcellerie, néanmoins sa population, lettrés ou illettrée, ne cesse de croire à sa puissance (Britannica, vol.17 ; 70). La sorcellerie blanche est encore pratiquée dans la plupart de sociétés européennes. Nous nous demandons alors si elle ne fait pas partie des héritages coloniaux européens.

Il y en a qui soutiennent cette thèse. Ils sont d'avis que la sorcellerie ni la magie ne comportent la cosmologie de la religion africaine. Parmi eux c'est Sunday Mbang ;

C'est indiscutable que la maladie occultiste était introduite à nos peuples par quelques missionnaires chrétiens et hommes d'affaires quelques années passées. (Traduction la nôtre)

Et plus précisément, Ekereobong Moses (p.20) n'hésite pas de souligner que ce sont des portugais qui, hors de leurs voyages explorateurs, initient des Africains aux sciences occultes ou à la sorcellerie. Cette information ouvre les yeux à la manière dont l'occultisme pénètre l'Afrique. L'affirmation de E. Moses, lui-même prêtre, peut se collaborer du fait que la religion traditionnelle, caractéristique d'Afrique, au dire de Bolaji Idowu (cité par E. Moses, p.20), ne comporte que de croyances en Dieu suprême, en divinités et aux ancêtres. Non à la magie ni à la sorcellerie. Cela dit les Africains partagent évidemment de mêmes héritages religieux traditionnels. Dès l'arrivée des Blancs en Afrique, la sorcellerie s'établit dans la société africaine, devenant une réalité noire. Ce faisant, Dirk Kohert (2003 :220) avoue que les intellectuels africains, leaders religieux, guérisseurs aussi bien que des hommes politiques affirment qu'ils, avec d'autres Africains, partagent en réalité une base commune de croyance occulte, c'est-à-dire que la sorcellerie est une réalité qui doit être considérée comme une partie intégrante de la culture africaine. Cette revendication est valable au fur et à mesure que les éléments civilisateurs et coloniaux constituent une réalité africaine contemporaine, grosso modo la sorcellerie devient l'un des réels africains et se mêle à la religion.

La sorcellerie et la religion

La magie et la sorcellerie appartiennent souvent à la tradition. Donc dans quelques sociétés, ils se lient presqu'inseparablement à la religion traditionnelle et moderne. Les deux domaines, sorcellerie et religion, comportent ce que Xavier Garnier (1999 :11,67) appelle le monde magico-religieux qui permet toujours d'expliquer les événements quotidiens. Il dit qu'une nouvelle façon de distinguer la magie de la religion consiste à considérer que le rituel magique n'est rien d'autre qu'un rituel religieux dont on attend des effets concrets et mécaniques. Kourouma (1990 :20) explique ce rapport dans sa société ainsi : La religion était un syncrétisme du fétichisme malinké et de l'Islam. Elle donnait des explications satisfaisantes à toutes les graves questions que les habitants pouvaient se poser et les gens n'allaient pas au-delà de ce que les marabouts, les sorciers, les devins et les féticheurs affirmaient.

L'explication que donne Kourouma nous permet de saisir le rapport social qui existe entre la sorcellerie et la religion. Nous pouvons en dire clairement que les pratiquants de la religion traditionnelle et islamique dépendent des explorateurs du monde invisible (prêtres, guérisseurs, marabouts, dibia (chez les Ibo), magiciens…), » ceux qui ont quatre yeux » d'expliquer, maîtriser, prédire les phénomènes naturels et surnaturels. Ils sont consultés parce qu'on les croit posséder une puissance thérapeutique. Mais contrairement Mutumba Mainga (p.97) voit dans la sorcellerie et la magie une trahison plus qu'une forme de la religion, néanmoins ajoute que leur même fonction est de fournir à l'homme la capacité à exercer un contrôle direct sur son destin. Pour le christianisme, la sorcellerie est associée au diable et aux activités d'esprits maléfiques et sataniques, et il condamne des sacrifices et rituels, propres à la sorcellerie ou la magie. Mais si le christianisme est la foi en Christ, il est nécessaire d'accentuer le fait qu'il y a des fois de cette Foi, provoquées par différentes conceptions de la Bible. Les unes s'appuient sur l'ancien testament donc ne voient rien de mal dans la pratique sacerdotale des sacrifices rituels, et les autres s'attachent au nouveau testament qui voit en Christ le dernier rituel, particulièrement parmi les églises pentecôtistes. Cependant le christianisme est une croyance en la personnalité de Christ. Xavier Garnier (p.24) souligne que la religion traditionnelle n'a rien à voir avec une croyance du christianisme, qu'elle est une pratique car une croyance par les chrétiens est une réalité pour la religion traditionnelle. La plupart de sociétés modernes d'Afrique sociologiquement condamnent ces activités des sorciers à qui elles ne peuvent rien. Les chrétiens eux-mêmes qui ne nient pas à son existence se croient protégés par la puissance efficace de Christ, le fondateur de leur foi.

Les effets socio-économiques de la sorcellerie en Afrique moderne ; dans Jazz et vin de palme de Dongala

L'œuvre de Dongala, simple que stylistique, est un recueil des nouvelles à multiples thèmes qui divulguent quelques réalités contemporaines en Afrique post-coloniale. Il faut noter que l'auteur se sert de son Congo comme un microcosme d'une Afrique macrocosmique. Les mystères paradoxaux dans cet ouvrage donnent naissance évidemment aux misères qui ravagent la société africaine. Dans l'une des nouvelles intitulée « l'étonnante et dialectique déchéance du camarade Kali Tchikati », il s'agit d'un savant sceptique qui, s'attachant à son penchant marxiste-léniniste, se dérobe aux manifestations mystérieuses de sa société jusqu'à ce qu'il devienne victime de son doute, l'architecture de son malheur sociopolitique et économique.

Avant que ces mystères d'Afrique, qui vont compromettre l'idéologie sceptique de Kali Tchikati s'avérant intellectuel, il ne dissimule jamais en tant que propagandiste populaire du parti à tendance communiste au pouvoir sa haine envers la religion, traditionnelle ou moderne, qui ne lui est que « l'opium de la masse ». Persécution, punition et peine restent une manière d'exprimer littéralement son ressentiment aux féticheurs et ecclésiastiques, receveurs de son venin versé au moindre prétexte. Ce faisant, sa renommée gagne du terrain au détriment des religieux. « La petite église qui s'était mise à carillonner pour appeler ses ouailles aux vêpres » (Dongala, 1982 :21) lui passe pour avanie ou invective ! Kali se met à menacer, à hurler, fou de rage :

C'est une provocation ! Qu'ils continuent ainsi et ils sauront qui dirige ce pays ! Nous fermerons leurs églises, leurs temples et leurs mosquées et nous les transformerons en magasins de stockage de poisson fumée ou de ciment.( Dongala, p.21)

Kali ne restera pas dans cette bataille pour long temps, car il fait face aux événements fort étranges qui se produisent dans sa vie, inexpliqués et inexplicables ! Ni science ni idéologie marxiste-léniniste ne peut le sauver de cette inondation mystérieuse qui veut le submerger, et qui le submerge tragiquement. En effet, cela nous informe de ces réalités magiques africaines trado-modernes.

Une famille ensorcellée : L'ensorcellement d'un individu ou une famille fait partie intégrante de réalités métaphysiques en Afrique. Dans la nouvelle, Dongala le montre par Kali. Celui-ci, se mariant avec une compatriote très belle et intelligente de différente ethnie contre le gré de ses vieillards familiaux, n'a pas d'enfants après quelques années de mariage maudit. Les vieux de sa famille l'exècrent :

…ces paroles que nous prononçons aujourd'hui se réaliseront et ce malgré ton instruction, tes diplômes obtenus au pays des Blancs(…) Tu n'auras pas d'enfants, ta femme ne procréera pas… (Dongala, p.15)

Ces paroles de vieillards prononcées tout en versant quelques gouttes de vin de palme aux ancêtres sont toujours puissantes et enchanteresses, dont les conséquences, tarabiscotées, ne s'attardent pas à se manifester. Instantanées et immédiates. Kali remarque un effet géométrique de ce qui lui passe pour non-sens. Il en porte témoignage- après deux ans sa femme n'est pas encore grosse. Le plus ridicule, c'est que la science médicale qu'on croit capable de remédier ou obvier au problème comme tel, n'y a pas de solutions. Cette famille assaillie ou envoûtée est privée de remèdes malgré une bande de médecins gynécologiques, locaux et internationaux, consultés. L'auteur veut établir un fait, que le sort, une fois lancée, n'a pas de remèdes scientifiques ni d'explications rationnelles. Les gens qui possèdent un pouvoir mystique ; marabouts, sorciers… se voient privilégiés de lancer des sorts en Afrique. Ce qui s'y produit est un réel contemporain africain que la civilisation ne peut pas éradiquer. Kali et sa femme demanderont pardon à ces vieux illettrés qui leur enlèveront le sort, les bénissant. Et après cette neutralisation de la malédiction, il est étonné de constater que sa femme devient enceinte le mois suivant. Quelle manière de dire qu'il ne faut pas badiner avec les paroles de vieux en Afrique !

Maladie mystérieuse : Toutes les maladies en Afrique n'ont pas d'explications scientifiques ou rationnelles. Cela arrive quelque fois que les tests ou analyses de sang ne soient pas capables de diagnostiquer une maladie en dépit de ses symptômes toujours capricieux. Une telle maladie résulte du sort lancé par les sorciers pour éliminer un ennemi ou 'manger' la victime dans des sabbats ou des « repas anthropophagiques ». Kali n'hésite pas de souligner que son oncle veut le « manger » (p.12). En Afrique qu'ailleurs, il se dit que les sorciers ne tuent pas seulement, mais mangent leur victime dans une fête souterraine (Chima, P.37). Ce personnage principal, qui est en bisbille avec son oncle de sorcier, subit des expériences mystérieuses qu'il refuse net de croire comme une manifestation de la sorcellerie, grâce à sa bonne formation idéologique et dogmatique. Il attrape d'atroces migraines. Les praticiens spécialistes du cerveau consultés ne trouvent rien de mal avec lui qui meurt de douleur. Kali avoue plus tard : « J'avais été atteint à la tête par un coup de fusil mystique, métaphysique comme seuls savent le faire les sorciers chez nous. (p.25) C'est nécessaire de noter que Dongala n'est pas la seule personne parmi la bande d'écrivains africains d'expression française qui parle de cette maladie médicalement inguérissable en Afrique qu'endure Kali. Dans Xala (1973) de Sembene Ousmane, Hadji Abdou Kader Beye souffre de l'aiguillette, du xala, lui nouée par un mendiant. Et Birahima, enfant- héro dans Allah n'est pas obligé (2002), raconte comme sa mère arrive à être victime d'une maladie mystérieuse et donc inguérissable :

Alors l'exciseuse sorcière et son fils également magicien se sont tous les deux très fâchés, trop fâchés. Ils ont lancé contre la jambe droite de ma maman un mauvais sort, un Koroté, un djibo trop fort, trop puissant… (Ahmadou Kourouma, p.24)

De cette citation nous comprenons facilement que le lancement de sortilèges provient d'une expression de la grisaille des sorciers, puisque les trois maladies susmentionnées sont de la même source. Xavier Garnier (p.88) s'avise que l'envie et la jalousie sont les motifs invariablement évoqués des sorciers ; l'envie fonctionne dans le récit comme une motivation. Nous constatons qu'à la base de la querelle entre Kali et son oncle est une vieille voiture que le dernier doit hériter de son feu père. Les auteurs ne cherchent pas à célébrer ce mal, mais l'aperçoivent comme l'une des réalités africaines.

Accident mystérieux : La méchanceté chez les sorciers noirs passe pour pratique normale puisqu'au dire de Chima (p.7), ils ont une capacité spéciale de manipuler ou manœuvrer la lune, le soleil, les étoiles et les corps planétaires à part le lancement des sorts. Donc en Afrique il est cru que la plupart d'accidents qui ont lieu sur les routes maritimes, aériens et automobilistes sont causés par ces sorciers qui cherchent toujours à « dérober, égorger et détruire » voulant du sang. Kali décrit à son ami, Kuvezo, l'accident routier qu'il vient de vivre et qui le scie : J'appuyai sur les freins, ils ne répondirent pas et la voiture continue d'avancer au pas lentement mais inexorablement, (…), elle alla percuter un palmier : tout l'avant était cabossé, le moteur bousillé ! Et pourtant je n'avais pratiquement pas senti de choc, pas une vitre n'était cassé dans le panier que J'avais dans le coffre. Avoue que ce n'était pas normal ! (Dongala, p.24)

Plus saisissant le mécanicien automobile après ce crash ( !) qui vérifie les freins devant huissier les trouve en bon état, et le volant n'est pas bloqué du tout. La victime constate que le phénomène n'est jamais naturel ni normal. Bien d'accidents sont occasionnés par d'inexplicables forces en Afrique, témoignés par des automobilistes quasiment de jour. Donc les grandes catastrophes naturelles sont le plus souvent l'entreprise de la sorcellerie.

Metamorphose en animaux : Dans l'association des sorciers, les membres en activité ne se servent pas de leur propre corps physique, mais se métamorphosent en animaux ; chat, chien, hibou, crocodile etc. Marcia Wright (1972 :156) affirme qu'en Tanzanie les autopsies sont effectuées pour savoir si un sorcier avait motivé la mort par l'envoie d'un python pour manger l'estomac de sa victime. La liaison des sorciers avec les animaux, qui n'est qu'une révélation de leur pouvoir maléfique, est une liaison avec les éléments naturels généralement. Cette transformation en animaux appartient à ces mystères aux quels Kali fait face et dont l'existence Dongala cherche à faire savoir ses lecteurs. Il raconte son expérience effroyable ainsi :

Mais dans la panique, j'ai crié, j'ai hurlé tandis que mon oncle tentait désespérément d'échapper à la crudité de la lumière et prenant des formes diverses ; chien, chat, Hibou, vieillard… ( p.26-27)

Kali ne doute pas que son oncle est sorcier, ayant de preuves indéniables pour le lier aux praticiens de la sorcellerie en qu'il croit maintenant. En particulier, après son accident de chasse où il, tirant à un gros singe sur l'arbre, constate un spectacle horrible : le corps d'une femme sexagénaire gisant face contre terre et touchée dans le dos.

Ce spectacle effroyable aboutit au conflit d'idéologies de Kali qui n'hésite pas d'accuser son oncle d'être derrière de son malheur. De cela, il est facile de comprendre que la plupart de savants en Afrique qu'ailleurs repoussent avec mépris et dédaignent toutes ces activités de la sorcellerie, ne voulant pas commettre un suicide intellectuel ou passer pour superstitieux.

La science et la sorcellerie paraissent parallèles sans aucun rapport rationnel. Les scientifiques envoient toujours une philippique aux croyants en la sorcellerie. Ces deux théories sur le réel agissent dans la vie de Kali et produit en lui un scepticisme intellectuel qui, avant, doute ces mystères en Afrique. Son ancien doute n'est que pour ainsi dire une célébration de la supériorité ( ?) de la connaissance scientifique sur la magico-religieuse. L'approche quasi-synoptique employée dans ce récit nous révèle un phénomène qui refuse net de se dissiper dans la société contemporaine.

Implications socio-économiques de la sorcellerie et prise de conscience d'un sceptique.

La sorcellerie en Afrique a toujours d'indiscutables implications très graves aux niveaux socio-économiques d'une victime. D'une manière destructrice, les sorciers, jaloux et envieux, n'aiment pas le progrès ni le succès des personnes qu'ils prennent pour ennemis dont le malheur leur apporte le bonheur. Une fois le sortilège est jeté par l'oncle, Kali commence à subir ses effets catastrophiques. Il parcourt le monde (France, Berlin etc.) pour trouver des secours, médico-gynécologiques à la stérilité de sa mère, et ophtalmo-neuropathologiques à sa migraine mystérieuse, et en effet, doit régler les frais inabordables d'infécondes consultations, qui ne vont pas bien à son état financier. Mais c'est la vengeance ensorcelante du marabout, Nganga qui, naguère, subit des persécutions sous l'ordre de Kali, qui facilite sa chute sociale. Il est expulsé du parti communiste de pays, en conséquence, perd sa position glorieuse. Incapable, Kali se résigne dans la vie, en disant à son ami :

Je me suis lancé dans un petit commerce pour pouvoir vivre mais j'ai fait faillite au bout de deux mois ; cela ne m'a pas étonné outre mesure puisque mon oncle est toujours derrière moi et m'en veut désormais à mort.( Dongala, p.33)

C'est sans doute que les expériences ensorcelantes de Kali motivent sa cascade socio-économique et trompent son avenir brillant.

La prise de conscience du personnage principal vers le dénouement est symbolique et stratégique. Il est symbolique parce qu'il représente une myriade d'intellectuels noirs qui ne croient pas en l'existence réelle de la sorcellerie, et stratégique parce que l'auteur veut mettre en valeur des effets socio-économiques, très catastrophiques des activités ensorcelantes. N'est-ce pas une façon de sensibiliser le monde intellectuel de la réalité de sorcellerie ? Kali, force de se protéger contre la tempête mystérieuse qui s'efforce de bouleverser son destin, jette sa formation idéologique à la mer. Ce compromis idéologique est une manière de s'apprêter à une bagarre spirituelle avec son oncle. Il annonce sa prise de conscience ainsi :

J'ai tout de suite compris de quoi il s'agissait, car m'est immédiatement revenu en mémoire tout ce que je savais depuis ma jeunesse mais que j'avais toujours refoulé ; ils s'agissait de sorcellerie car c'est ainsi que les sorciers voyagent la nuit dans leurs mystérieux aéroplanes…( p.26)

Cette renaissance tardive ne va pas l'aider, lui qui court déjà au précipice. Kali, voulant battre de mêmes armes que son oncle recourt au féticheur qui lui garde un chien de sa chienne, le laissant à poil au milieu de la nuit au cimeterre. Cette expérience ignominieuse et scandaleuse facilite la chute de son standing social et son évincement du parti. Persécuté et souffrant, Kali ne se mord pas les doigts et n'hésite pas de conclure son histoire d'un ton apologétique : « mon oncle veut me 'manger' comme le font les sorciers (…) on peut y croire ou ne pas y croire (…) une chose est sure cependant, l'Afrique a ses mystères… » (p.34)

Conclusion

De valables faits examinés hors de cette nouvelle nous indiquent que la sorcellerie ou l'ensorcellement se manifeste comme un phénomène contemporain en Afrique malgré le (post) modernisme ou le scepticisme des Africains. L'ignorance d'un fait n'influe pas sur la possibilité véridique de ce fait. Car l'incroyance de Kali en la sorcellerie, nous constatons, n'empêche pas les horribles manifestations de son sortilège qui hante sa vie. Le dénouement tragique de ce récit de sorcellerie est symbolique au fur et à mesure que la prise de conscience ne peut pas le sauver de ces attaques maléfiques. Nous nous demandons si l'auteur ne veut pas mettre en question les moyens de lutte de Kali, ni laisser quelques éléments didactiques à son public. Mais il nous convient de nous demander si la magie peut être antidote des catastrophes magiques. L'esprit maléfique, peut-il exorciser un esprit maléfique ?

Références

Chima, I (2005) Dealing with Witchcraft Operations, Onitsha : Jenison Publishing
Dongala, E (1982) Jazz et Vin de palme, Paris : Hatier
Ekereobong, M (2004) Antidote against Witchcraft, Uyo : Sailand Printing
Garnier, X (1999) La Magie dans le Roman Africain, Paris : Puf
Kohnert, D (2003) 'Witchcraft and Transnational social spaces :
Witchcraft Violence, Reconciliation and Development in South African's Transition Process' dans the Journal of Modern African Studies, Vol.41, No.2 London : Cambridge Press Kourouma, A (1990) Monnè, Outrages et Défis, Paris : Editions du Seuil „ (2002) Allah n'est pas Obligé, Paris : Editions du Seuil Mainga. M (1972) 'A History of Lozi Religion to the End of Nineteenth Century' dans Roger and Kimambo(Ed.) The Historical Study of African Religion, London : Heinemann Roger, T (1972) 'Missionary Adaptation of African Religious Institutions : The Masasi Case' dans Roger and Kimambo (Ed.) Op.Cit Ousmane, S. (1973) Xala, Paris : Présence Africaine The Encyclopedia Britannica, Vol.18, p.70 ; 2b Wright, M (1972) 'Nyakyusa Cults and Politics in Later Nineteenth Century' dans Roger and Kimambo (Ed.) Op.Cit


Par : Richard Oko AJAH

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