Cinétique de l'Hydrolyse de la linamarine du manioc

 

RESUME

C’est une étude de variation de la concentration en ion cyanure au cours de l’hydrolyse de la linamarine. Elle veut déterminer le temps nécessaire pour rouir le manioc, pour que ce manioc, mis sur le marché ne soit pas préjudiciable à des signes cliniques chez les consommateurs.

INTRODUCTION

Le manioc, Manihot esculenta crants, est la culture la plus importante au Congo, car il fournit approximativement 50 % de calories et il est l’aliment de base consommé par plus de 70 % de la population totale (SINGH, 1979) et à 99,5 % par les habitants de Kikwit.

Mais ce manioc est aussi dangereux. Il contient un glycoside cyanohydrogénétique , la linamarine, qui libère le cyanure dont le rôle dans l’étiologie du goitre et la neuropathie tropicale est suffisamment établi (RODNEY, D., et al., 1978), (BEDE et al., 1980).

Lors d’un colloque médical à Vanga (1), FONTAINE (1994) a pensé que certains cas de paralysie et de " Bukabuka ", de tremblote de membres, de rhumatisme et d’athrose seraient dus à l’accumulation, dans l’organisme, des ions cyanures présents dans le Saka-saka(2) et le luku (3).

Les travaux de MBIYANGANDU et al., (1983) ont montré que l’acide cyanhydrique des feuilles du manioc est éliminé lors de la cuisson. La linamarine se décompose, à cet effet, par thermolyse et libère le cyanure d’hydrogène HCN qui se dégage. Lors de la cuisson de ses feuilles, il est conseillé que la marmite ne soit pas couverte.

Pour les tubercules, la pratique coutumière, du moins dans la région de Kikwit, consiste, pour les uns à l’éplucher, les autres les gardent, et les mettent ensuite dans l’eau d’un petit étang, pendant deux à trois jours pour le rouissage. Puis après cette durée, les tubercules sont lavées et séchées pour avoir des cossettes de manioc.

Mais , depuis l’évolution du pays, ce temps imparti pour assurer le rouissage est devenu insuffisant et n’est plus tellement respecté surtout pour les cossettes destinées à la vente. Les paysans, sans trop savoir peut-être, contraints par la misère et par le besoin économique et financier, préfèrent avoir de grandes quantités pour les expédier vite sur le marché.

Ce manioc mis sur le marché de Kikwit présente des traces de cyanure, bien que, peut-être négligeables, mais qui, à la longue, s’avèrent toxique par effet d’accumulation. Ils peuvent être, sans doute, à l’origine de certains maux que se plaignent la plupart d’habitants de Kikwit : l’hypertension artérielle, les maladies cardio-vasculaires , le rhumatisme etc.

Cette étude consiste à suivre la vitesse de dégradation de la linamarine au cours de l’hydrolyse, à travers la variation de la concentration en ion cyanure. Les résultats nous permettent de confirmer ou d’infirmer le temps de rouissage pour que les produits vendus se soient préjudiciables à la santé des personnes.

 

1. ECHANTILLONNAGE

Les échantillons de cossettes de manioc ont été récoltés sur les différents marchés de Kikwit aux mois de Janvier, Juillet et Novembre 1996. Pour déterminer le marché de leur provenance, nous les avons désignés par E1 : échantillon provenant du grand marché, E2 : du marché de Kikwit 2 et E3 : du marché de Kikwit 3. Tandis les échantillons des tubercules frais de manioc amer ont été achetés au marche central de Kikwit

 

2. PROTOCOLE EXPERIMENTAL

2.1. Préparation des échantillons

2.1.1. échantillon du manioc séché

Quelques cossettes de manioc sont écrasées, broyées jusqu’à obtenir une poudre fine, pour augmenter la surface de contact. 500 g de poudre ont été délayés dans 2000 ml d’eau. La solution obtenue a été utilisée pour les analyses.

2.1.2. échantillon des tubercules frais

1000 g de tubercules frais avec épluchures ont été introduits dans un seau en plastic de 10 litres contenant plus au moins 6000 ml d’eau dont les prélèvements ont été réalisés en fonction du temps : à 0, 10, 20, 30, 40 et 50 heures.

2.2. Dosage :

La technique du dosage réalisée est une adaptation de la norme française homologuée, N.F VO3-772 d’octobre 1970, relative au dosage des hétérosides cyanahydrogénétiques dans les légumineuses.

Cette méthode consiste à hydrolyser l’hétéroside contenu dans le manioc, fonction de la durée, puis, l’extrait est distillé par entraînement à la vapeur, l’acide cyanhydrique libéré est ensuite déterminé par titrage direct du distillat, à l’aide d’un solution de nitrate d’argent en milieu ammoniacal et en présence de l’iodure de potassium. La fin du dosage est caractérisée par l’apparition d’une louche permanente, un précipité de l’iodure d’argent, AgI.

2.3. Le pH

Le pH de la solution a été déterminée par un pH-mètre, de type E 520 Metrohm HERISAN, avec une électrode de verre. Ce pH-mètre a été ajusté au moyen d’un tampon titrisols.

 

3. LES RESULTATS ET DISCUSSIONS

Après analyse des extraits cossettes de manioc vendu, il s’avère que tous les échantillons de manioc vendu sur les différents marchés de Kikwit contiennent un peu de cyanure. Les résultats sont consignés dans le tableau 1

En observant ce tableau 1, il ressort que c’est au mois de juillet où les teneurs sont plus élevées par rapport aux deux autres mois de notre enquête. La teneur la plus élevée, 8,3 mg/kg de HCN, se trouve dans l’échantillon E2 vendu au mois de juillet au marché de Kikwit.

Tableau 1 : Teneur en HCN dans le manioc sec vendu

Échantillons

Janvier

Juillet

Novembre

E1

3,2

5,0

5,3

E2

4,3

6,3

6,8

E3

2,1

6,0

5,5

 

Ceci peut s’expliquer, car c’est la période où les paysans vendent plus de manioc pour s’acquitter de différents frais d’internat et de scolarité de leurs enfants. Ils produisent beaucoup de manioc en réduisant la durée de rouissage. Ce rythme de production, nous le retrouvons au mois de novembre, car ils se préparent pour les achats des fêtes de fin d’année. Ces valeurs montrent que le manioc ne subit pas à durée égale, le rouissage, pour l’élimination de la toxicité.

En partant des échantillons des tubercules frais achetés au grand marché de Kikwit, la teneur a été déterminée en fonction de la durée de l’immersion.

Tableau 2 : Teneur en HCN des Tubercules frais et les épluchures.

Teneur en HCN (en mg /kg ) d’échantillon

Temps de l’hydrolyse (en heure)

0

10

20

30

40

50

60

Tubercules épluchés

208

175

42

10,7

3,8

3,4

3,4

 

Il ressort de ce tableau 2 et de la figure 1 (qui en reprend les données) que la teneur en ions cyanures est fonction du temps d’immersion Ces résultats se rapprochent, à, ceux de MBIYANGANDU (1983) consignés dans le tableau 3.

Les différences proviennent surtout, du fait que les échantillons ne viennent pas du même biotope. Nous avons travaillé sur l’échantillon de Kikwit, tandis que les autres ont réalisé leurs analyses sur l’échantillon du manioc amer récolté à Bukavu.

Tableau 3 : Teneur de HCN de manioc récolté à Bukavu

Échantillon de manioc Teneur de HCN en mg/kg
Racine tubercule

216 mg/kg

Écorce de racines

426 mg/kg

Feuilles

634 mg/kg

Après plus au moins 50 à 60 heures, d’hydrolyse, à pH =7,1,la linamarine se décompose presque totalement. Cette durée correspond effectivement à celle fixée par la coutume exige, car il faut deux à trois jours d’immersion. Le prolongement, au delà de cette limite, non seulement, il y a diminution sensible de HCN, mais aussi, il se produit une dégradation systématique du corps de tubercule.

Ce qui est intéressant, est que la teneur après 20 heures d’immersion est en dessous du seuil normal, de la dose mortelle qui est 50 mg/kg (RODNEY, D,. et al., 1978).

Nos investigations ont confirmé la présence des traces des ions cyanures dans les certaines cossettes qui sont vendues, mais les teneurs de différents échantillons sont en dessous de la dose mortelle.

En effet, qu’après 20 heures, la texture du tubercule est presque attendrie. L’eau peut facilement migrer par osmose dans le corps du tubercule, provoquant ainsi une réduction de la teneur en HCN de l’ordre de 75 %.

 

CONCLUSION

Il est connu que l’acide cyanhydrique est un poison très violent et d’action rapide. Nous le trouvons aussi dans le manioc utilisé comme aliment de base.

Mais après 30 heures d’immersion le danger d’intoxication n’est plus éminent. Néanmoins, nous devons éduquer la masse paysanne à s’en tenir à cette durée de rouissage soit 2 à 3 jours d’immersion.

Pour éviter cette intoxication par le manioc amer, il serait intéressant que les paysans plantent les nouvelles variétés plus douces. Malgré leur rendement élevé en tubercules, les paysans n’acceptent pas les innovations apportées aux variétés de manioc tels que le F100, F150 et F155 qui sont plus doux et non toxiques.

En effet, parmi, les nombreuses raisons, nous pouvons dire avec MIMPEMBE et ITUKU (1997) que ces espèces sont succulentes et attirent les perdrix, les antilopes et d’autres rongeurs et plus par expérience, au-delà du 15ème mois, les tubercules pourrissaient. ( MIMPEMBE, 1997).

Pour la préparation du " Luku, " que la farine de manioc soit associée à un peu plus de farine de maïs, de soja ou de vandzou, (ces farines sont plus riches en protéines) pour augmenter la valeur nutritive de cette pâte populaire.

Les animateurs ruraux doivent assurer la formation et l’information de nos masses paysannes, du danger des accidents alimentaires provoqués par le manioc qui n’a pas bien subi le rouissage.

L’autorité urbaine, de son côté, devra redynamiser le service de contrôle des aliments pour éviter les intoxications et des maladies cardio-vasculaires qui rongent nos populations.

 

 BIBLIOGRAPHIE

BEDE, N., Okigho, 1980, Nutritionnel implications of Projects Giving High Priority to the production of Staples Low Nutritive quality : the case for Cassava, in Bull. Food and Nutrition, U.N.U, 2, pp. 1-10.

FONTAIN, 1994, Colloque médical, Vanga/CBZO.

MBIYANGANDU, K., 1983, Cinétique de dégagement d’acide cyanhydrique au cours de la cuisson de feuilles de manioc, in Njanja, Vol. 1, n° 5, pp. 33-35.

MIMPEMBE,S.N., et al., (1997), Diffusion des innovations agricoles par le PRONAM/Kiyaka et leur problème d’adoption, in Pistes et Recherches, Vol. 12, n°2 (1997), pp.141-165

RODNEY,D., et al., 1978, The effects of simple Processing on the cyanide content of Cassava chips, in J. Food Tech., T.P. 1, 13 : 299

SINGH, T.P., 1979, Sélection du manioc pour la résistance aux pestes et maladies en République du Zaïre, PRONAM III, p.3.

 

 

 


(1) Hôpital des missionnaires protestants à 150 km de Kikwit. (cliquer ici pour retourner dans le texte)
(2) Feuilles de manioc utilisées souvent comme condiment
(cliquer ici pour retourner dans le texte)
(3) La pâte préparée à base de la farine de manioc, plat consistant. (cliquer ici pour retourner dans le texte)

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