LITTERATURE / Witahnkenge : un héros aujourd’hui oublié

Quel est cet homme aujourd’hui jeté dans les oubliettes de la mémoire collective, singulièrement littéraire ? Il est né le 25 mars 1937 à Luliba, à 200 km environ au sud de Bukavu dans le Kivu central. Formation : six ans primaires à Kamituga, six ans d’humanités gréco-latines au séminaire Notre-Dame d’Afrique à Mungombe ; études complètes de philosophie au Grand Séminaire de Baudouinville dans le Katanga ; études administratives et économiques au Séminaire international d’administration publique à Nethania (Israël). Profession : fonctionnaire de l’Etat, ancien chef de cabinet au ministère de la Justice ; ancien directeur de cabinet au Département des Affaires sociales du gouvernement central.

Sur le plan littéraire, en septembre 1965, il est élu vice-président de la Pléiade du Congo fondée et dirigée par la jeune poétesse Clémentine Nzuji.

SON ŒUVRE LITTERAIRE

Ses activités littéraires débutent en 1956 avec la poésie. Elles ont consisté surtout en des poèmes de circonstance descriptifs, sentimentaux ou lyriques à la manière romantique. Tous les poèmes qu’il a écrits de 1956 à 1959, avaient été groupés dans un recueil intitulé Pulsations rythmées, recueil volé en même temps que sa bibliothèque et d’autres écrits le 27 septembre 1960 dans son habitation de l’avenue Vivi, n°65 à Cent Maisons à Lemba où il habitait alors. Il a néanmoins écrit d’autres poèmes inédits qu’il avait groupés sous le même titre. Que nous donnent à lire ses œuvres publiées aux Editions Belles-Lettres ?

Saints encanaillés : dans cet essai historique, il réfléchit sur le sens de l’évangélisation, en particulier sur la signification de l’élan missionnaire du 19ème siècle. Partant des événements du 4 janvier 1959, il s’étonne tout d’abord de la confusion persistante que font les colonisés entre le missionnaire et le colon. D’où vient cette méprise ? L’analyse établit que doctrinalement, il n’y a pas de lien entre les principes évangéliques et les doctrines coloniales. Mais historiquement et sur le plan pratique, la confusion la plus totale a toujours régné, ce qui justifie la réaction du colonisé qui jette tout le monde, colons et missionnaires, dans le même sac. Les messagers divins doivent donc conformer strictement leur comportement aux principes de l’Evangile et rompre d’avec le colon, sinon il y aura pire que le 4 janvier 1959. car il ne faut pas prendre le ressac des vagues pour le calme de la mer.

Les ancêtres zaïroirs : essai de poème ethnographique qui comprend dix-huit chants dédiés à la mémoire ancestrale. Toutes les phases principales de la vie y sont passées en revue : naissance, mariage, travail, chasse, la guerre, la maladie, enfin la mort. Dans ce poème, le souci porte moins sur la description de ces événements comme tels que sur celle de croyances ou principes fondamentaux qui régissaient les ancêtres à ces différents stades de la vie. En somme, non sans un certain prosélytisme, il s’agit d’un inventaire des valeurs de la civilisation ancestrale : la négritude.

La Kinoise : dans ce poème d’une dizaine de chants environ, il chante, au travers, de la négresse moderne, l’attitude du noir nouveau qui trahit la négritude pour un modernisme d’emprunt où l’on va jusqu’à vouloir tuer la couleur noire par des mariages mixtes ! Erreur : la négritude survivra grâce au mâle qui possède le pollen de rose –qu’il croise avec la négresse ou avec la blanche. La rose fleurira ! Le déformateur : nouvelle philosophique où il cherche le sens de l’acte mystérieux et pourtant quotidien que constitue le mariage. Mais le mariage n’est qu’un symbole à travers lequel il cherche le sens de l’action, du choix ou engagement, en d’autres termes, le critère universel de moralité sur lequel les autres puissent valablement se baser pour juger ou le condamner. Sans ce critère, c’est la tour de Babel dans l’univers.

Le filet : nouvelle philosophie écrite sous forme de récit et qui est, pour ainsi dire, l’envers et un essai de systématisation de la thèse soutenue dans Le déformateur. Tandis qu’ici la conclusion était que le critère universel de moralité est la forme des choses, c’est-à-dire qu’un acte est moral dans la mesure où il suit la forme de la réalité, dans Le filet l’on affirme qu’il ne peut pas en être autrement : la forme c’est le filet qu’on doit longer et non forcer ou franchir, car elle est infranchissable. L’homme, comme toute chose, est limité par sa nature et ne peut agir que suivant cette nature et dans son cadre quand même il prétendrait le contraire.

Meetings nocturnes : recueil de textes divers allant de la nouvelle plus ou moins historique aux souvenirs de voyages. On peut ainsi y lire : de l’origine de la sécession katangaise, contentieux belgo-congolais, de l’Etat et de l’Administration, de l’honneur national, l’envers et le revers, etc.

En résumé, il est un homme de bonne volonté qui, partant de sa propre histoire et déniant à quiconque le droit de légiférer en son nom, veut repenser l’univers pour son propre compte afin de comprendre quelque chose à sa complexité. Son œuvre littéraire exige une lecture attentive et refuse de se laisser prendre au vol, d’autant plus que chaque œuvre est le prolongement de celle qui la précède et ne peut être parfaitement appréciée que dans la mesure où l’on est déjà initiée.

Ecoutons Witahnkenge dans cet extrait : « Mes Ancêtres portaient la barbe Et s’habillaient de peaux de bête Ou de fils de raphia tressés Un couvre-cher sur la tête Le torse nu, le cou dressé Le regard droit d’un homme infourbe Je raconterai leur Histoire De la naissance à la mort Pour honorer leur mémoire Et me guérir du remords Et me limitant dan l’espace Je prendrai pour modèle Une famille de la place Où, telle une image fidèle Qu’un moule façonne La vertu de mon peuple se révèle Riche, pure, d’âme africaine (Les Ancêtres zaïrois) Professeur Alphonse Mbuyamba Kankolongo Critique littéraire

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