Cinéma : JUJU FACTORY, de Balifu Bakupa Kanyinda

 THE TYROL AWARD BEST FILM
INTERNATIONAL FILM FESTIVAL INNSBRUCK, austria, 10th june 2007

GOLDEN DHOW AWARD BEST FILM
ZANZIBAR INTERNATIONAL FILM FESTIVAL, 17th july 2007

Le « juju » ?
Le « juju » est un talisman (magie, vaudou, fétiche, amulette) qui protège du maléfique. C’est un charme superstitieux qui, dit-on, possède des pouvoirs surnaturels. On le trouve en Afrique de l’Ouest. Les gens croient que celui qui a le « juju » est « blindé ». Personne ne peut le maudire ou l’attaquer, ni lui faire du mal. Un jour d’avril 2002, en visitant Elmina Castel, à Cape Coast au Ghana, j’ai commencé à penser au concept spirituel africain du « juju », en m’interrogeant sur la part des Africains qui participèrent au commerce esclavagiste. Alors, pour faire simple, j’ai rêvé d’un combat imaginaire entre le « maléfique » et le « juju ». Et je l’ai transposé à Bruxelles. Dans ce conflit, j’ai mis face à face un écrivain et un éditeur. Tous deux Africains. La question conflictuelle se noue autour de la divergence de vision d’un même monde, entre la passion créatrice et la réalité quotidienne. « Juju Factory » est une métaphore sur la création, dans la grisaille de l’exil. Quand celui-ci est capable de fabriquer (« usiner » dirais-je) de la joie et de la folie dans le même bain.

L’exil et l’imaginaire ?
J’ai voulu travailler sur un sujet et de la matière, ainsi que des facteurs humains que je connais. Ayant séjourné durant des années en Belgique, j’ai essayé d’explorer les rêves et frustrations africaines, vus de Bruxelles.

Matonge ?
« Matonge » (prononcez : « ma-ton-gué »), petit quartier bruxellois, est à mon avis le seul lieu donnant un nom africain (à l’origine, appellation d’un quartier de Kinshasa) à un coin de cité européenne.

Le conflit narratif ?
Pourquoi le spectre de Patrice Lumumba erre-t-il dans le quartier Matonge ? Et pourquoi Joseph Désiré (l’éditeur) s’en va demander conseil à la statue équestre du fameux « roi Léopold II » sur son différend avec Kongo ?

Patrice Lumumba et les autres ?
Patrice Lumumba demeure le Héros de l’indépendance du Congo. Elle fut célébrée le 30 juin 1960. Il est une figure de géant héroïque dans l’histoire tourmentée du Congo. Premier ministre, il fut assassiné le 17 janvier 1961.En 2000, je découvris le film de Thomas Giefer, « Lumumba. Assassinat dans le style colonial ». Dans ce documentaire, le bourreau raconte, souriant, les détails de la mise à mort de Patrice Lumumba. En écrivant ce film, je construisais le personnage de Kongo en pensant à certains de mes amis si tôt disparus. Ils étaient poètes, écrivains et cinéastes. Parmi eux, je cite : Tshiakatumba Matala Mukadi, qui nous a laissé un brûlant recueil de poèmes « Réveil dans un nid en flammes » (publié chez Seghers, Paris, 1969) ; William Sassine, mort à Conakry en 1996, qui reste l’un des grands écrivains africains ou le Guinéen David Achkar, brillant cinéaste panafricain. Il y a aussi Joseph Conrad, l’auteur du célèbre roman « Au coeur de ténèbres », dont l’action se passe dans le Congo léopoldien et qui fustige la folie colonisatrice.

Comédie ou tragédie ?
Joseph Désiré ne sait pas qui est Franz Fanon. Faut-il en rire ? Comme gri-gri pour le guérir de ses cauchemars, il n’y aurait pas mieux que « Les Damnés de la Terre » ou « Peau noire, masques blancs ». La fable comporte plusieurs stations. Il y a du rire et du questionnement. Des histoires d’amour aussi, comme celle de Kongo et Béatrice.

Quelle production ?
Ce film est tourné en DVcam. Surtout parce que c’était propice aux conditions d’une petite production indépendante.
L’équipe de tournage comptait dix personnes. Olivier Pulinckx, directeur de la photographie, et moi-même étions les seuls techniciens professionnels. L’équipe était composée des jeunes, qui pour la plupart découvraient pour la première fois un tournage de film.

Vision de Kongo Congo

« Alors qu’il se promène dans le nocturne bruxellois, il croit reconnaître le grand homme. Il accélère le pas. Mais le spectre disparaît. Une rue plus loin, il le revoit. Il tournoie sur lui-même. Des voix s’entremêlent dans sa tête. Une voix parmi d’autres s’amplifie, dominant la cacophonie. Qu’avons-nous fait de nous-mêmes ? Qu’avons-nous fait de nous-mêmes ? Qu’avons-nous fait de nous-mêmes ?

Et le spectre réapparaît. Lui, il est là… puis la grande figure disparaît et réapparaît à nouveau tel une grosse luciole. Est-ce un phare dans nos ténèbres ? Quelques mètres les séparent. Il tente un pas. Ses pieds se figent. Le petit vent s’arrête. Sa poitrine tambourine. Ses habits se mouillent de sueur. Il pue la peur…

Le vent frais qui sort des narines lunaires lui lape le dos. Il se retourne, se gratte la nuque, puis le haut de la fesse. Il est là, le spectre qui vient à sa rencontre. Ses pieds se cimentent. Il arme son souffle, ordonne ses mots, redresse ce front longtemps courbé…

Il se laisse tomber sur la terre refroidie par le majestueux fleuve Congo de ses larmes. Son fessier claque sur le macadam tels cent kilos de jambon belge congelé. Reviens s’il te plaît, je serais ton Congo, notre Congo, pleure-t-il.

Trop tard… Il est seul sous le ciel sombre. La lune, insouciante, dandine des fesses et sourit de son éclat de séductrice céleste. Quelle pute cette lune drapée dans son insolente beauté congolaise ! Soudain le grand esprit errant revient… et il le fixe. Et lui ne tremble plus. Il se mire dans son regard brûlant dans lequel nous nargue toute la grandeur meurtrie du Congo…

Sur son front brille toujours cette fière certitude que les assassins dépeceurs du 17 janvier 1961 n’ont pu effacer…

Pourquoi l’un de nous n’a-t-il pas de tombeau, pas de sépulture ? Il est enfin convaincu qu’un maillon manque dans sa lignée ancestrale.

Maintenant, lui, il pleure. Son coeur saigne. Il est seul dans la solitude de sa détresse inconsolable. Où est son pays ? Est-ce ce morceau en dérive du dernier rêve agonisant sur lequel s’essuient les fesses de putes armées de machettes assassines et ces soudards au sexe de destruction massive ?

Les larmes n’en finissent pas de couler de ses yeux de latérite. Ses lèvres tremblent. Il a envie de crier si fort qu’il réveillerait le soleil en pleine nuit.

Hélas ! le spectre a déjà disparu. Reviens ! Reviens, crie-t-il à la face muette de la nuit. Reviens répondre à ma grande question… Où es-tu Congo de ma peine ? Où es-tu ? Où es-tu ?

Balufu Bakupa-Kanyinda
« Juju Factory » film, 2007

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