Interview du chanteur BALOJI (Chronyx.be)

 


 "J’AI FAIT LA PAIX AVEC MON PASSE"

Quand une personne se met à nu, ça peut laisser un goût mitigé. Dévoiler son intimité est un sport dangereux. Le public appréciera l’impudeur ou la dépréciera. On admirera le geste ou on le rejettera au regard de ses propres craintes et angoisses.

Quand il reçoit une lettre du Congo et gagne un concours de poésie à Paris, BALOJI décide de lentement reprendre son activité musicale après quelques temps d’arrêt consécutifs à sa médiatique sortie du groupe STARFLAM. Le temps de remettre la machine en marche et nous y voilà. Un album magnifique, dense, intime et intimiste grâce auquel il se sent en paix avec son passé.


BALOJI PARLE DE SON ALBUM HOTEL IMPALA
(Video : Alex Deforce pour www.on-point.be)

"BALOJI
"Quand j’ai reçu cette lettre du Congo venant de ma mère, je l’ai d’abord refusée, rejetée. Puis je me suis dit, après une conversation téléphonique, que je lui raconterais bien ma vie en chansons. Par tranche, avec chaque fois un univers qui correspondait à ce dans quoi j’étais à ce moment précis. C’est pourquoi il y a du Reggae, etc. Puis je suis tombé sur cette chanson de MARVIN GAYE intitulée "I’M GOING HOME". Je vois les paroles … ça coule de source … c’est évident, je dois faire un disque. Cet album, c’est un peu le film de ma vie"
.

BALOJI se met entièrement à nu dans cet album intitulé "HOTEL IMPALA". Rien n’est oublié. Le Congo ("y retourner pour tourner le clip, c’était une manière détournée pour entreprendre une sorte de retour aux sources. C’était extrêmement fort. Un choc personnel et culturel"), Liège, la sensation d’abandon, l’adoption, la solitude, l’amour, le succès, l’amitié, la vie à Gand. Autant de sujets passés à la moulinette d’une plume exceptionnelle qui fait sereinement face à ses émotions.

"BALOJIRetour sur une conversation décousue de près de 2 heures durant laquelle on parle de tout. Et du reste.

 LA GENESE

"Après l’aventure STARFLAM, je ne voulais plus faire de disque, je voulais être le plus loin possible de tout ça, de ce fonctionnement, de ce business. Après "SURVIVANT", on n’avait pas de manager donc on se gérait nous–mêmes … La démocratie dans un groupe, je ne pense pas que ce soit possible (il réfléchit) … On n’a jamais eu de leader, quelqu’un qui prenait les décisions. Le fait de s’être réparti les tâches a rendu tout très compliqué, c’était ingérable … On ne peut pas être joueur et entraîneur en même temps. De plus, je pensais avoir tout dit, n’avoir plus rien à dire. Je me suis dit que si on avait échoué, c’est qu’on n’avait pas le talent. On a connu le succès avec "SURVIVANT" puis l’échec avec "DONNES-MOI DE L'AMOUR", ça a compliqué les choses …"

Le temps passe, d’occupation en occupation. "J’ai fait plein de trucs, du théâtre, écrit des nouvelles, animé des stages, bossé … J’aurais pu finir disquaire par exemple".

La rupture avec STARFLAM une fois entérinée, il fallait changer de milieu, d’environnement. "En coupant les ponts avec le groupe, je coupais les ponts avec une trentaine de personnes. Ca a été difficile, d’autant plus que dans le même temps, je déménagais à Gand pour vivre avec ma copine. C’était une période difficile pour moi, d’autant qu’à Gand, on te fait clairement sentir ta différence. Tu n’est absolument pas le bienvenu".

Puis, à quelques semaines d’intervalle, il reçoit une lettre de sa mère biologique du Congo, part à New York et gagne un concours de poésie à Paris. Le choc est rude.


TOUT CECI NE VOUS RENDRA PAS LE CONGO
UN CLIP DE 9 MINUTES (Réalisation : Kurt de Leijer)

"BALOJI"
"La lettre de ma mère est arrivé en novembre 2005. Je n’avais plus eu de nouvelles depuis mon départ du Congo en 1980 ou 1981. Dans ce courrier, elle me donnait ma vraie date de naissance, plein de trucs sur moi, sur elle, des photos … En fait, je me suis écroulé … Je déteste les gens qui pleurent et je déteste pleurer. Enfin, jusqu’à ce moment-là… Puis je l’ai appelée, on a eu une discussion pendant laquelle j’étais très méfiant. Sur la défensive. 25 ans, c’est long et j’avais l’impression que c’était trop tard. Je l’ai testée et elle m’a prouvé à 4 ou 5 reprises que c’était vraiment elle. Elle m’a demandé de lui raconter ma vie et je ne savais pas quoi dire. Je n’étais même pas sûr d’avoir l’envie de lui raconter quoi que ce soit. Pour moi, cette relation avait été placée sur un disque dur externe. Ca m’est revenu en pleine gueule"
.

BALOJI part alors à New York, probablement pour digérer, et assiste au concert de JAY-Z au Madison Square Garden. "Avoir vu JAY-Z au Madison Square Garden m’a rappelé pourquoi j’aimais cette musique, cette excitation, le fait que j’étais fan. Voir 25.000 personnes chanter ces lyrics par cœur, accompagner ce mec, c’était exceptionnel. Des gamins de 8 ans, des gens de 40 ans qui étaient là pour écouter du rap, des textes … J’avais l’impression d’assister à un moment historique. Le fait d’y être … de sentir comment les gens écoutent le rap autrement. Ca tournait au karaoke géant. Je n’avais jamais vu ça. Ici, ça n’arrive jamais".

A son retour … "Je l’ai rappelée. Il se fait qu’elle m’avait vu à la télé, qu’elle suivait ce que je faisais. Et elle n’était pas étonnée que je fasse de la musique. Elle m’a dit qu’elle l’avait toujours su. Parce que mon père lui avait dit qu’il m’emmenait au pays de MARVIN GAYE. De toute la discussion, c’est ça qui m’a vraiment marqué."

"BALOJI"BALOJI ressent à ce moment encore beaucoup de colère en lui. Contre ses parents qui l’ont abandonné, contre sa famille d’adoption ("avec le recul, je me rends compte qu’ils ont été exceptionnels"), contre son environnement, etc. La discussion lui fait prendre conscience que "on était dans le Rap contestataire avec le groupe et je me suis rendu compte du coup de ma position privilégiée. Je me suis rendu compte de la chance que j’avais. Mais ça ne m’avait pas encore donné l’envie de refaire un disque. Puis, j’ai gagné un concours de poésie à Paris, c’était la première fois que je gagnais quelque chose en France, j’étais super heureux. Avec STARFLAM, on a toujours galéré en France, on passait pour les gentils petits belges. Le déclic, ça a été ça. J’avais de nouveau un but, un objectif. Je savais ce que je voulais faire. Il ne restait plus qu’à trouver les moyens (à tous les niveaux) de le faire".

 L’ALBUM

"Je me suis retrouvé tout seul avec mes idées. J’étais perdu. Je devais faire sans MIGUEL (DJ MIG-ONE,  producteur de Starflam – NDLR) qui a une musicalité incroyable dans ses productions. Je ne lui ai rien demandé, je ne voulais pas. J’ai vu plein de gens pour cet album. Ils ont eu peur de la difficulté du projet.

Puis j’ai vu PETER LESAGE, lui aussi était fort occupé, donc finalement, je me suis dit que j’allais faire mes démos seul. Une fois qu’il y a eu quelque chose à écouter, ça a été plus facile d’expliquer aux gens ce que je voulais. Un feeling organique. Je trouve que la musique est plus fluide avec des musiciens. J’adore la boucle, DJ PREMIER, RZA, etc., mais ça ne bouge pas pendant 3 minutes 50. Moi je veux que la musique suive ce que je raconte, qu’elle vive. Et encore une fois, j’étais sans MIGUEL, qui aurait pu arriver à ce résultat – là, c’était logique pour moi de travailler avec des musiciens. Il faut qu’il se passe quelque chose, que ce soit musical et que ça suive le texte".

Le résultat est, de fait, extrêmement musical. 56 musiciens interviennent dans cette mise à nu musicale et textuelle. De MARC MOULIN (dont il sample "DALEK" sur "REPRIS DE JUSTICE") aux GLIMMER TWINS (MO & BENOELIE, qui produisent le 3° volet de "LIEGE-BRUXELLES-GAND), de ELLA WOODS (THE PLATTERS) à INFINITE SKILLZ (producteurs Hip-Hop, belges discrets et efficaces), de PETER LESAGE (MOIANO) à AMP FIDDLER et MISS CAMILLE … la liste est trop longue pour être ici exhaustive.


ARTWORK HOTEL IMPALA
SOZY-ONE MILLION AU TRAVAIL …


"BALOJI""J’ai choisi tous les intervenants de ce disque. Le budget n’était pas illimité. Ce sont des gens avec lesquels j’avais envie de travailler. Pour ce disque, je me suis fait plaisir et EMI m’en a donné les moyens. Le film "CONGO", par exemple, c’est une idée à eux. Ils m’ont fait confiance par le passé, ils me refont confiance aujourd’hui. Plein de gens de la scène Hip-Hop croient que c’est un coup monté mais il n’en est rien. On a parlé avec tout le monde. PIAS pour commencer. Moi je voulais recommencer à zéro. EMI au départ, c’était le 4eme choix".

L’album "HOTEL IMPALA" part dans tous les sens musicalement. Soukouss, Soul, Reggae, Hip-Hop. Un OVNI dans l’univers du Hip-Hop belge quelque peu formaté. Aucune redondance ici. Tant dans les thèmes abordés que dans la musique. "L’album a peu à voir avec le milieu Hip-Hop, ça part dans tous les sens. Ca m’amuse d’avoir l’air d’un ovni par rapport au milieu Rap. La forme est Hip-Hop, le fond ne l’est pas … En fait, j’aime le format chanson. Un refrain, un bridge, des couplets. On n’a pas spécialement ce genre de format dans le Rap".

L’album est intitulé "HOTEL IMPALA" du nom de l’établissement que tenait le père de BALOJI à Kolwezi avant les événements de 1991 (expulsion des kasaïens du Katanga avec meurtres, viols à la chaîne, etc.) durant lesquels l’hôtel fut détruit. "Appeler l’album du nom de son hôtel est une manière de lui dire que je lui pardonne de nous avoir plantés là. Qu’on va reconstruire sur ces ruines". Chronique très dure persillée d’humour de la vie de BALOJI, dur envers lui–même, dur souvent et tendre parfois avec les autres. Expression de sa colère. Dur mais tendre avec l’Afrique. "C’est justement parce que je n’avais jamais été en Afrique que j’avais très envie d’en parler. Je me sens légitime pour en parler. Tant pis pour les attaques".

"BALOJI"BALOJI retourne au Congo pour tourner le clip et découvre la réalité congolaise. "Ca m’a remis définitivement remis à ma place de découvrir la réalité congolaise, la réalité de ma mère. Ca a été un choc culturel et personnel. Il y a une énergie incroyable là–bas. J’étais là pour faire le clip et la retrouver. Je ne sais pas comment j’ai pu combiner les deux. Mais on l’a fait. Je suis resté une semaine à Lubumbashi et j’ai mis 4 jours à la retrouver. Après l’avoir finalement retrouvée (quand je l’ai vu, on savait tous les deux que c’était vrai, que je suis son fils et qu’elle est ma mère), je l’ai invité au restaurant. J’avais réservé un truc un peu chic, tu sais, avec que des blancs dedans. Très vite, elle m’a fait comprendre que de manger là la foutait dans la merde parce que les plats étaient à huit dollars et que, eux, avec cette somme, ils mangent pendant une semaine. Ce genre d’événement te remet en place immédiatement et définitivement. La réalité te rattrape. Malgré l’émotion. Il y avait une sorte d’indécence dans tout ça. Je me suis senti ridicule. J’étais arrivé avec ce que je pensais être le plus beau cadeau que je puisse lui faire (à elle et mon père), il s’est avéré que ce n’était pas le cas. Je me suis alors rendu compte que j'étais arrivé avec mon regard d’européen et puis … je suis un blanc aux cheveux crépus".

"BALOJI L’ECRITURE

Cette plume incisive montre ici l’étendue de son registre. L’écriture de ce disque est exceptionnelle. Des mots de soie, des mots de napalm, des mots doux, des mots durs, des mots choc. Toujours bien agencés, clairs, limpides, explicites. Pudiques et francs du collier. Des métaphores puissantes, BALOJI revendique une écriture réfléchie, dans laquelle tout est pensé, pesé au mot près. "Je ne sais pas improviser. Il n’y a rien de spontané dans les textes. On m’a conseillé l’écriture automatique et d’autres moyens, mais je suis trop calculateur pour ça. Ecrire me prends des tonnes d’heures. Je travaille sur base de la musique. En fonction d’elle, je peux travailler la longueur des phrases, la sonorité des mots. Les idées me viennent de n’importe quoi. La phrase « la  terreur vue d’ici, c’est comme la terre vue du ciel » part du DVD « La Terre Vue Du Ciel ». J’ai vu ça et je suis resté pendant des heures sans parler. Je cherche des mots, des idées, des tournures de phrases. C’est un peu comme faire des mots croisés. Un peu comme le sampling. J’ai le thème principal puis je focalise sur un mot. Je fais en moyenne 4 rimes par jour". Ecriture racée, donc pertinente, vivante et maîtrisée. A l’assaut de ce qui touche BALOJI, son passé, ses erreurs, ses regrets, ses constats implacables comme "l’horreur est humaine" par exemple ; ses espoirs aussi. Une écriture intime et intimiste ("comme mon père, je suis solitaire, plein de mystère, l’affectif passe après ma carrière"). Loin des clichés Hip-Hop habituels.

"BALOJI"HOTEL IMPALA" est un disque urgent. Personnel, vital pour son auteur. Une mise en danger, une mise à nu. Un album à digérer pour l’auditeur, nécessitant plusieurs écoutes pour prendre sa réelle envergure. Lui voit son disque comme un truc très calculé. "Je ne pense pas que ce disque va changer la vie des gens. Ma vie à moi, elle a changé. Et encore, j’en garde beaucoup. Je ne dévoile pas tout. Mon but étant de faire un volume 2. Pour lequel j’espère être plus libre dans ma tête. Ce disque m’a permis de faire la paix avec mon passé. Pour la paix avec moi-même, on verra plus tard.  Je suis clairement en panique par rapport à cet album. J’ai vraiment la trouille. Peut-être par rapport à mon propre exhibitionnisme. Je suis fier à tous points de vue de cet album mais le donner au public, c’est autre chose". L’homme est observateur, mature, attentif au monde qui l’entoure. Et conscient du risque qu’il prend.

Cet album se lit autant qu’il s’écoute. Bon comme du rhum Barbancourt 5 étoiles !

HOTEL IMPALA : dans les bacs depuis le 30 août. Sortie française prévue en janvier.
BALOJI sera en concert le 16 novembre au Botanique.

www.baloji.comwww.myspace.com/baloji

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