Monique Mbeka Phoba, cinéaste
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Après une formation à la réalisation de documentaire, Monique se lance dans le monde du cinéma. C'est d'abord "Revue en vrac", un court métrage documentaire de 26 minutes qu'elle réalise en 1991. "Rentrer ?", un moyen métrage de 52 minutes réalisé en 1993, pose la problématique de la fuite des cerveaux. Rentrer ? à reçu le prix Sud/Nord du Conseil de l'Europe aux Rencontres Media Nord/Sud de Genève en 1996. En 1996 dans un court métrage de 12 minutes, "Une voix dans le Silence" la réalisatrice raconte l'histoire de Bruno Ediko, un séropositif béninois qui se bat contre l'exclusion des sidéens. 1997 est l'année de sortie de son quatrième documentaire. "Deux petits tours et puis s'en vont…". Ce documentaire, elle le coréalise avec Emmanuel Kolawole. Le Bénin, laboratoire de la démocratie africaine est le thème central de ce documentaire de 47 minutes qui a reçu le prix de deuxième meilleur film documentaire de la compétition Tv/Vidéo au Fespaco de mars 1997. "Un rêve d'indépendance". Dans ce moyen métrage de 53 minutes, Monique Phoba retourne sur les traces d'un grand père assistant médical devenu médecin. C'est l'occasion pour elle de faire le portrait de 35 ans d'indépendance. Ce documentaire à reçu le prix " Images de femmes " au Festival Vues d'Afrique à Montréal en avril 2000. 2001 est l'année de la sortie d' "Anna, l'Enchantée". Anna Teko chante depuis toujours. Elle a commencé toute petite dans la localité de Lokossa. Elle obtient une bourse pour aller étudier la musique en France. Mal préparée, elle ne tient pas plus de 3 mois. A travers ce documentaire, Monique Phoba a su rendre le profond désarroi d'Anna. Le documentaire " Anna l'Enchantée " a remporté le prix " Images de femmes " au Festival Vues d'Afrique à Montréal en avril 2002. 2004. Monique est en train de terminer "Sorcière, la vie". Ce documentaire à la fois personnel et d'observation est un film qui élargit le spectre des réflexions pour aller de l'intime à l'universel. Vivant au Bénin depuis 1995, Monique Phoba dirige sa structure de production, de diffusion et de promotion de films. Elle a créé un festival de documentaires et de télévision, Lagunimages en 2000. La troisième édition de ce festival se tiendra à Cotonou du 19 au 27 novembre 2004. Monique Phoba partage avec Clap Noir sa vision du monde.
Clap Noir : Des sciences commerciales et internationales au cinéma ? N'est-ce pas un paradoxe ? Monique Phoba : Il n'y a aucun paradoxe, puisque je n'ai jamais imaginé que le fait d'aimer et de pratiquer la culture devait me faire vivre dans un monde clos, hors des contingences matérielles. J'ai toujours pensé depuis longtemps que, en-dehors de ma passion de longue date, durant mon adolescence, pour la poésie, la littérature et la culture, en général, l'histoire et la politique, il fallait se préoccuper de l'économique et je me suis donc arrangé pour avoir une solide formation de base dans cette matière (BTS en comptabilité, puis maîtrise de sciences commerciales dans une école supérieure). En même temps, durant ces études et grâce à ma pratique de la radio, en milieu estudiantin, à Bruxelles, je continuais à m'oxygéner dans mes passions premières. A l'heure actuelle, je dois dire que je m'aperçois de la justesse de cette démarche. On ne fait pas de vieux os dans ce métier, si on n'a pas une maîtrise des aspects financiers et si on n'arrive pas à construire un plan de financement crédible. Ce genre de compétence vous apprend la patience et, justement, la patience et l'esprit d'endurance sont des traits de caractère qui vous permettent d'aboutir, là où des qualités artistiques n'auraient pas suffi. La réalisatrice que vous êtes est très portée sur la vie des personnes. Anna l'enchantée, rêve d'indépendance … Pourquoi cet intérêt pour l'homme dans sa vie de tout les jours ? Les gens m'intéressent depuis toujours. Je dois dire que j'ai toujours beaucoup voyagé et que ma manière de me retrouver chez moi partout, c'est d'accorder un intérêt passionné pour tous les petits détails de la vie : les expressions parlées, les modes de vie, les accents, l'habillement… J'allie cela à une bonne connaissance du contexte politique, économique et culturel et j'ai une manière d'être qui me fait fondre dans l'environnement. Je crois qu'il faut ne pas se prendre trop au sérieux quand on fait un documentaire, susciter le rire de l'autre par sa propre autodérision et on arrive ainsi à être très proche, en un minimum de temps, de gens parfaitement inconnus. Et c'est ma drogue, j'en reçois chaque fois un bonheur incroyable et, en même temps, je suis attentive à mon interlocuteur, pour être sûre que la relation soit équilibrée et partagée. Vous venez de terminer un tournage ou vous traitez de la sorcellerie. Y croyez-vous ? Je suis assez fascinée par les croyances et les religions, quelles qu'elles soient, et je crois que la part d'irrationnel y est toujours importante. Cette foi dans l'irrationnel est constitutive d'une identité. Pour preuve, les récents débats de la constitution européenne où il a été exigée par des pays comme la Pologne que la foi chrétienne soit inscrite comme fondement de la culture donc de la construction européenne pourtant limitée, dés sa création à des aspects économiques. Je suis donc assez œcuménique car je crois que toutes ces croyances sont importantes et constitutives de la richesse humaine. Ce qui importe, c'est de ne pas les voir dériver vers le fanatisme, c'est-à-dire d'utiliser la foi comme un moyen politique d'instaurer par la violence de nouveaux rapports sociaux et politiques, au détriment des hommes. Et toutes les fois, toutes les croyances ont cette tentation du fanatisme qui est comme un suicide culturel et communautaire. Racontez nous l'histoire de ce documentaire : sorcière, la vie ! Quel message voulez vous transmettre à travers ce film ? J'ai rencontré un juge coutumier, dont la vie m'a semblé représenter de manière très emblématique les contradictions profondes des sociétés contemporaines africaines, partagées entre le modernisme et le respect de traditions que finalement on ne connaît plus vraiment, entre la violence des conflits sociaux et des guerres civiles, entre l'acculturation et la montée des sectes. Mon message est qu'il faut être conscient de ces contradictions, ne surtout pas les minimiser, de s'en inquiéter autant que l'on s'inquiète de santé et de nourriture. Il y a une désespérance spirituelle, un sentiment de déréliction qui génère toutes sortes d'excès vraiment effrayants. Ce qui se passe dans la tête des gens, on doit en tenir compte et veiller à donner ou tenter de donner des réponses à des questions existentielles vraiment primordiales. Car, sinon, d'autres viendront donner des réponses dangereuses pour le corps social et l'avenir des jeunes générations, laissées dans l'incertitude culturelle et la perte de sens. Le documentaire n'est pas un genre très prisé par les réalisateurs africains. Pourquoi avoir choisi ce genre ? Je suis passionnée par le documentaire, c'est un genre qui, en plus, à mon sens, mais peut-être plus pour longtemps, a l'avantage sur la fiction d'être moins formaté et plus expérimental. On peut dire effectivement que ce genre n'est pas très pratiqué par les réalisateurs africains, mais le propre des documentaires est de passer sur la télévision et les télévisions africaines ne produisent pas beaucoup. S'il faut s'adresser au marché extérieur, la fiction est plus prestigieuse, plus demandée. Donc, ça me semble la raison principale de ce relatif abandon du documentaire par les réalisateurs africains, qui font trop d'efforts et de sacrifices pour produire et ne vont pas se résigner à pratiquer un genre qui mette moins leur production en lumière. Les femmes sont peu présentes dans le cinéma africain. Votre point de vue. Les femmes sont effectivement peu présentes, mais les réalisateurs africains, hommes et femmes, ont énormément de mal à perdurer. Il y a tellement de noms de jeunes espoirs qui ont disparu qu'il me semble que cela fait partie du problème plus général de la survie du cinéma et de la production audiovisuelle africaine. Sinon, j'estime que plusieurs réalisatrices tirent bien leur épingle du jeu et se révèlent endurantes dans ce métier difficile. Cela dit, j'ose ajouter qu'il règne parmi les réalisateurs africains, de plus en plus, un esprit assez malsain, qui est de faire le vide afin que le peu de moyens encore accessibles soit réservé à quelques-uns. Et de ce jeu-là, les femmes font les frais plus que d'autres. C'est l'occasion pour moi de dénoncer une culture de la rumeur et de la diffamation de plus en plus développée et préjudiciable à chacun.
Parlez nous de LAGUNIMAGES ? Si j'ai créé le festival LAGUNIMAGES, c'est surtout pour défendre et promotionner le documentaire, genre qui me semble vraiment accessible aux télévisions africaines et grâce auquel elles pourraient se faire reconnaître tant au niveau interne qu'international. Le festival LAGUNIMAGES vise aussi à devenir une plate-forme d'échanges et de projets, visant à encourager les relations entre producteurs indépendants et télévisions en Afrique, car, très souvent, les télévisions africaines ne coproduisent pas et ne diffusent pas nos productions. Pour moi, il est clair que de meilleures relations avec les télévisions africaines permettront aux téléspectateurs africains de s'accoutumer à nos images et à les réclamer. C'est primordial pour l'avenir de nos métiers. Je voudrai ajouter que, vivant au Bénin depuis 9 ans, je ressens assez fort l'intérêt des gens pour ma production, que les téléspectateurs ont pu voir soit sur la chaîne publique béninoise, soit sur TV5. Des films comme "Deux petits tours et puis s'en vont…", co-réalisé avec Emmanuel KOLAWOLE ou Anna, l'Enchantée ont été vus et commentés et beaucoup de gens s'en souviennent encore parfaitement, jusque 4 à 6 ans après leur diffusion. J'ai souvent des contacts avec des jeunes intéressés par ce métier et venant me demander quelques tuyaux, après avoir vu mes films. Le Fespaco, c'est pour bientôt. Auriez-vous unes surprise pour les cinéphiles qui seront comme d'habitude nombreux à ce rendez-vous ? Je ne suis pas sûre que mon film " Sorcière, la Vie " sera prêt pour le Fespaco, car des problèmes de production subsistent et nous cherchons toujours, la production et moi, à boucler le budget du film. Je pense ne pas être très originale en avouant cela. Ceci dit, je souhaite bonne chance et fructueux débats à la prochaine édition du FESPACO. Candide Etienne |