BANQUE MONDIALE • Vingt ans d'erreurs en Afrique (Courrier International )

La Banque mondiale,
financée par les Etats riches pour réduire la pauvreté dans les pays pauvres, a
longtemps négligé l'agriculture dans une Afrique subsaharienne accablée de
misère, où la plupart des habitants dépendent de ce secteur pour vivre. C'est ce
qui ressort d'une nouvelle évaluation interne de la Banque, consultable sur son
site Internet depuis la semaine dernière. L'étude a été menée par une unité
interne qui a évalué toutes les activités de l'organisation, et qui est
responsable devant son conseil d'administration et son président, mais pas sa
direction.


Dans les années 1980 et 1990, lorsque les gouvernements
africains étaient confrontés à de graves crises budgétaires, la Banque a fait
pression pour que le secteur public, souvent mal géré et inefficace, se retire
de l'agriculture, en supposant à tort que les mécanismes du marché donneraient
un coup de pouce à la croissance agricole. Résultat, selon l'étude, les paysans
se heurtent maintenant à des obstacles concrets : prix exorbitants des engrais,
manque de crédits et pénuries de semences améliorées. Depuis quelques années,
les rendements des cultures céréalières en Afrique subsaharienne ont été
inférieurs de moitié à ceux de l'Asie du Sud et d'un tiers à ceux de l'Amérique
latine.

Alors que le débat s'intensifie sur la stratégie à adopter pour
combattre la faim en Afrique, l'équipe d'évaluation recommande que la Banque,
premier bailleur de fonds pour l'agriculture africaine, s'efforce avant tout
d'aider les agriculteurs à se procurer des moyens indispensables pour cultiver
et commercialiser davantage de produits alimentaires : engrais, semences, eau,
crédits, routes. Une critique qualifiée de "cinglante et accablante" par le Pr
Jeffrey Sachs, de l'université Columbia, à New York.

Mais la direction
de la Banque, dans sa réponse écrite à l'analyse, a exprimé ses divergences de
vues sur certains points ; elle fait une interprétation plus optimiste des
données sur la croissance agricole. Néanmoins, elle assure avoir anticipé la
principale recommandation de ses auteurs, à savoir investir davantage dans
l'agriculture en Afrique subsaharienne. D'après le rapport, les prêts qu'elle a
accordés à cette fin, qui étaient tombés à 123 millions de dollars en 2000
contre 419 millions de dollars en 1991, sont passés à 295 millions de dollars en
2005 et 685 millions de dollars en 2006. "Nous sommes d'accord sur l'idée
générale de l'évaluation", assure le vice-président pour la région Afrique. "Ce
que nous voulons souligner, c'est qu'une évaluation porte toujours un regard
rétrospectif."

Tout en prenant acte de l'accroissement récent de l'aide,
Vinod Thomas, qui a dirigé le Groupe indépendant d'évaluation, regrette le
mauvais usage qui a été fait du financement limité de l'agriculture. "Les prêts
accordés par la Banque ont été 'saupoudrés' sur diverses activités agricoles
comme la recherche, l'agrandissement, le crédit, les semences et les réformes
dans l'espace rural, mais sans reconnaître vraiment les synergies possibles
entre elles afin de contribuer efficacement au développement agricole", a-t-il
écrit.

Selon le rapport, la Banque, qui emploie environ 10 000
personnes, n'a affecté l'année dernière que 17 experts techniques au service qui
traite du développement agricole et rural en Afrique subsaharienne. La stratégie
de la Banque dans les années 1980 et 1990, qui consistait à encourager les
gouvernements africains à réduire ou à supprimer les subventions pour les
engrais, à libérer les prix et à privatiser, a peut-être amélioré la discipline
budgétaire, mais elle n'a pas fait grand-chose pour la production alimentaire,
estime le groupe d'évaluation.

On avait espéré que l'augmentation des
prix des produits agricoles encouragerait les paysans à accroître les cultures,
tandis que la concurrence entre négociants privés réduirait les coûts des
semences et des engrais. Mais ces mécanismes du marché n'ont pas fonctionné
comme prévu. "Tout reposait sur l'idée que si on cessait d'intervenir en faveur
des plus pauvres d'entre les pauvres, les marchés résoudraient les problèmes",
commente le Pr Sachs. "Mais les marchés ne peuvent pas, et ne veulent pas,
prendre le relais quand les gens n'ont rien. Si on supprime l'aide, on les
laisse mourir."

Celia W. Dugger
The New York Times
© Copyright Courrier International

 

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