Politique économique en RDC : leçons de trois dernières décennies (Mukoko Samba)

Le 26 mai 2001, le gouvernement congolais avait pris des mesures
économiques importantes. Deux de ces mesures avaient été largement
publiées: le flottement de la monnaie nationale et donc l’alignement du
taux de change officiel sur le taux du marché parallèle (de 52 CDF le
dollar à 313,5 CDF, soit un réajustement de 84,1% de la valeur de la
devise nationale); et l’augmentation de 300% des prix des produits
pétroliers. Ces mesures étaient partie intégrante d’un programme de 9
mois (juin 2001- mars 2002) – appelé Programme intérimaire renforcé
(PIR) – une sorte de cure de remise à niveau destinée à assainir
l’environnement macro-économique, à faciliter la reprise de la
coopération avec les institutions financières internationales et, ce
faisant, à desserrer l’étreinte financière dont souffre le pays depuis
la fin des années 80.

A son achèvement, le PIR a été jugé largement satisfaisant,
surtout en ce qui concerne la maîtrise de l’inflation dont le taux a
été ramené de 511 % en 2000 à 135% en 2001 et 16% en 2002. Pour
consolider ces résultats et poursuivre le vaste chantier des réformes
économiques, le PIR a été relayé par un programme triennal couvrant la
période avril 2002 – juillet 2005. Celui-ci a bénéficié d’un appui
financier du Fonds monétaire international pour un montant de 750
millions de dollars sur trois ans au titre de la Facilité pour la
réduction de pauvreté et pour la croissance (FRPC).

Dans le cadre du même programme économique, la RDC a conclu
avec la Banque mondiale respectivement en juin et août 2002 un accord
de crédit de relance économique pour un montant de 450 millions de
dollars américains et un accord de financement au titre de crédit et de
don d’appui au Programme multisectoriel d’urgence de reconstruction et
de réhabilitation (PMURR) pour un montant de 454 millions de dollars
américains.

Le processus de remise en ordre de l’économie, engagé à
partir du PIR, a certes permis au Congo de renouer formellement depuis
juin 2002, avec la communauté financière internationale. En juillet
2003, le pays a accédé au point de décision de l’importante initiative
pour les Pays pauvres très endettés (PPTE), ce qui pourra conduire à un
allègement substantiel de la charge de la dette publique extérieure. En
dépit de ces perspectives encourageantes, il serait illusoire
d’imaginer une amélioration sensible de la situation générale de
l’économie nationale à brève échéance. Seule une croissance économique
forte et durable pourra résorber les multiples et énormes déficits qui
caractérisent l’économie congolaise. La tâche sera d’autant plus
difficile qu’il s’agit de faire décoller une économie minée par
l’insuffisance de moyens de paiements extérieurs et un niveau plus
qu’alarmant de désintermédiation financière.

En attendant la maturation du système financier national, le
recours aux capitaux extérieurs est indispensable pour garantir une
croissance forte et durable. L’accès à ces capitaux extérieurs impose
toutefois un coût d’ajustement que les gouvernements successifs au
Congo n’ont pas toujours été disposés à supporter. L’accès aux
ressources extérieures dans le schéma de Bretton Woods pose deux types
de problèmes. Premièrement, il y a un problème de conviction au mode de
pensée économique libérale : le fameux catéchisme de Washington.

Seule une conviction sincère en ce mode peut faciliter la
mise en place des institutions et l’adoption des comportements adéquats
au fonctionnement durable d’un système économique libéral. Cette
conviction n’est pas toujours évidente dans le chef des gouvernants
congolais.

Deuxièmement, l’acceptation du coût de l’ajustement n’ouvre
pas de manière automatique l’accès aux ressources extérieures à cause
de la forte compétition sur les marchés financiers internationaux.
Aujourd’hui, le Congo ne peut offrir que peu d’opportunités
d’investissement et de profits à des investisseurs désireux de
minimiser les risques inhérents aux crises financières presque
inévitables dans les économies émergeantes.

Ces deux préoccupations définissent l’équation économique
dans ce pays depuis 1960. L’on notera que, par rapport à la première
préoccupation, il y a une tendance à rechercher des alternatives peu
viables à l’option de Washington et de rentrer vers les institutions de
Bretton Woods quand l’échec de ces alternatives sera devenu trop
criant. Par rapport à la deuxième préoccupation, on note aussi une
tendance à éviter des réformes profondes sur des questions aussi
importantes que la propriété foncière, les droits miniers, la sécurité
des investissements. Nous voudrions dans cette note participer au débat
(sinon le lancer) autour de cette équation, en nous interrogeant sur le
contenu qu’il faut donner à la politique économique en République
démocratique du Congo, étant donné les défis majeurs auxquels
l’économie congolaise est confrontée et les facteurs contraignants qui
limitent son expansion.

LES REFORMES ECONOMIQUES DE 1976 A 2001

L’euphorie
économique des années 1967-1972, attribuée tantôt à la réforme
monétaire de 1967, tantôt à la bonne tenue du cours du cuivre, avait
pris fin en 1973. Depuis lors, le Congo n’a plus retrouvé le chemin de
la croissance. L’essoufflement constaté début 1974 avait d’abord été
considéré comme une récession économique passagère. Il fallut attendre
1976 pour voir les premières réactions à la « crise » avec la mise sur
pied d’un Comité de stabilisation qui supervisa l’application de deux
programmes de stabilisation : le Programme de 1976 et le Programme de
19775. Les deux programmes visaient deux objectifs : arrêter le
processus de détérioration de l’économie nationale dont la genèse est
estimée à fin 1974 ; et réduire le taux d’inflation. Les moyens
préconisés sont budgétaires (limitation des dépenses publiques,
accroissement des recettes), monétaires (limitation du crédit à l’Etat
et à l’économie, libéralisation des taux d’intérêt des banques de
dépôt), et de change (alignement du zaïre-monnaie sur le DTS).

A la fin de 1977, tout le monde est convaincu de
l’impuissance de ces programmes, et ce, malgré les accords de
consolidation qui permirent au Zaïre de bénéficier d’un rééchelonnement
des crédits gouvernementaux.

Dès juin 1977, les autorités évoquent l’idée de mettre sur
pied un plan de redressement économique et financier avec le concours
de nombreux gouvernements étrangers. En juin 1978, le gouvernement
zaïrois présente son plan de redressement à un forum international et
s’engage en même temps à réaliser un programme de stabilisation sous la
supervision du FMI. Ce programme court du 1er juillet 1979 au 31
décembre 1986. Il vise principalement à équilibrer la balance des
paiements et les finances publiques à l’aide du contrôle du crédit à
l’économie et de l’accroissement de la masse monétaire et de la
modification en cascade du taux de change.

Après avoir pris un train de mesures de réorganisation
institutionnelle, le Gouvernement élabore un Programme d’investissement
public « Plan Mobutu »), négocié avec les bailleurs bilatéraux et
multilatéraux et approuvés par le Groupe consultatif de la Banque
mondiale en mai 1980, comprenant les investissements dIrects de l’Etat
et des entreprises publiques. Le faible niveau de mobilisation des
ressources financières retarda son démarrage8. Reprogrammé pour la
période 1981-1983, ce plan mourut de sa belle mort sans que les
nombreux projets qu’il contenait n’aient eu le temps de concrétiser les
espoirs qu’il avait suscités.

LA REVOLUTION LIBERALE DE 1983

Au début du mois de
septembre 1983, les autorités zaïroises souscrivent à l’option du «bing
bang ». En effet, le programme de stabilisation de 1978- 1980 avait été
critiqué par certains pour son caractère doux. Alors que le «consensus
de Washington» n’avait pas encore pris corps en tant que recette de
politique économique, les plus libéraux des économistes et experts
nationaux et étrangers avaient conclu que pour vaincre le mal
économique « zaïrois », il fallait un traitement de choc. Le
gouvernement souscrit à cette approche par l’application du programme
d’ajustement structurel qui vit la libéralisation des prix, du commerce
des matières précieuses et des changes. L’option libérale fut maintenue
pendant plusieurs années, malgré des résultats peu encourageants tant
sur le plan de la stabilisation financière et monétaire que sur le plan
de la croissance économique. Mené de main de maître par le premier
ministre Kengo wa Dondo, ce programme vit également s’opérer des
changements profonds, notamment la réduction des transferts en faveur
des secteurs de l’éducation et de la santé. Le programme fut par la
suite décrié par ses propres initiateurs, puis progressivement
abandonné malgré les tentatives de sa relance par le même Kengo wa
Dondo, en 1989-1990 et 1994-1996.

L’année 1990 marque un tournant important dans l’histoire
récente de la République Démocratique du Congo. C’est au cours de cette
année qu’est lancé le processus de démocratisation. C’est aussi l’année
de la rupture avec les milieux financiers internationaux et avec les
bailleurs bilatéraux. Commencent alors les années de désintégration de
l’Etat et de l’économie nationale (1990-1997). En mai 1997, la deuxième
République s’éteint, les espoirs renaissent, mais l’option libérale est
clouée au pilori. Le nouveau credo de la politique économique
congolaise a pour nom « économie sociale du marché ». Cette nouvelle
orientation n’eut pas le temps de prendre forme; elle dut céder la
place à une « économie de rationnement » justifiée par les nécessités
de la guerre de 1998.

LA REVOLUTION LIBERALE DE 2001

Les espoirs suscités
par la fin de la deuxième République furent de courte durée. Le
gouvernement traîna à mettre sur pied un véritable programme de
redressement économique et financier. Il ne put tirer profit de la «
fenêtre d’opportunité » ouverte par la « Conférence des Amis du Congo »
en décembre 1997 à Bruxelles. Son engagement à tenir les institutions
de Bretton Woods à distance ne lui facilite pas l’accès aux capitaux
dont il a pourtant besoin pour financer son «Programme triennal
minimum» qui d’ailleurs ressemble beaucoup au Programme
d’Investissement Public de l’ère Mobutu.

La situation économique se dégrade sensiblement au cours de
la période 1999-2000. Face à de nouvelles contraintes financières
imposées par la situation de guerre, le gouvernement a essayé, surtout
depuis le début de l’année 1999, d’utiliser des mécanismes d’allocation
de ressources basés sur le contrôle et non sur les lois du marché.
C’est ainsi que l’on peut expliquer les mesures restrictives de
contrôle de change prises début 1999, leur renforcement en septembre de
la même année, ainsi que l’application des prix subventionnés sur le
marché des produits pétroliers. Le diamant, principale source des
devises étrangères depuis l’effondrement de l’économie du cuivre, n’a
pas échappé à cette mise sous tutelle. Le gouvernement a commencé par
renier ses propres services de contrôle, avant d’accorder à un seul
comptoir le monopole d’achat des diamants congolais.

Dans les centres urbains les plus importants, Kinshasa en
particulier, le gouvernement a même tenté, sans succès, d’intervenir
sur le marché des biens alimentaires de grande consommation, en
décembre 1999 et en août-septembre 2000, avec les opérations «Magasins
du Peuple» et «Cantines Populaires ». A chaque fois, le marché a réagi
par l’amplification des écarts de prix entre le «marché officiel »
ainsi créé et le « marché de la rue ».

La futilité des efforts d’allocation des ressources en dehors
de mécanismes du marché a été mieux illustrée par la crise des produits
pétroliers, la chute des recettes du diamant, et l’énorme manque à
gagner au détriment du Trésor public par le fait de la tarification des
services publics à i un taux officiel de change fort surévalué. Sous le
prétexte de vouloir protéger les masses laborieuses de l’augmentation
des prix des produits de première nécessité dont les prix sont supposés
corrélés aux prix des produits pétroliers (le degré de cette
corrélation n’a jamais été vérifié), le gouvernement a pris sur lui de
subventionner les prix par le biais de la Congolaise des Hydrocarbures
(Cohydro), entreprise publique de distribution des produits pétroliers
qui bénéficiait dès lors d’un monopole de fait à l’importation. Cette
politique a engendré des distorsions qui se sont traduites par des
ruptures répétées des stocks qui ont chaque fois donné de l’ampleur à
un marché noir que même les mesures de police n’ont pas pu faire
disparaître. Les mêmes distorsions et les mêmes effets ont été observés
sur le marché du diamant et sur le marché de change. D’où, le jet de
l’éponge fin mai 2001 et le rétablissement du règne du marché.

LES REVOLUTIONS LIBERALES DU CONGO COMPAREES

Avant
de poursuivre, il est important de tenter d’établir un parallélisme
entre les deux révolutions libérales. Les deux révolutions peuvent être
comparées par rapport à trois critères : leurs motivations,
l’environnement politique et l’environnement économique.

Par rapport aux motivations, les deux révolutions constituent
un aveu d’échec, la reconnaissance de la futilité des efforts tendant à
imposer d’autres lois que celles du marché. La «révolution de 1983 »
répondait à l’échec de nombreuses tentatives de stabilisation de
l’économie nationale depuis 1975 : es deux programmes internes de
stabilisation de 1976 et 1977, ainsi que les programmes de
stabilisation soutenus par le FMI et qui se caractériseront par la
série de dévaluations de 1978 à 1980, y compris la mesure de
démonétisation de décembre 1979. De même, la «révolution de 2001»
répond à l’échec des tentatives visant à gérer l’économie par le
rationnement.

Par rapport à l’environnement politique, on peut aussi
trouver des similitudes entre les deux révolutions. Le Zaïre de 1983
est encore affaibli par les effets des guerres dites du Shaba et de
Moba, qui ont obligé le régime de Mobutu à tenter une expérience de
libéralisation politique. Le Congo de 2001, quant à lui, a de la peine
à sortir d’une série de deux guerres qui l’ont laissé exsangue. Les
efforts de la communauté internationale pour mettre un terme à ce cycle
de guerre ont imposé à son gouvernement un processus de libéralisation
politique dont les contours sont toutefois peu clairs et le dénouement
incertain.

Par rapport à l’environnement économique, les deux
révolutions révèlent aussi des éléments de ressemblance. La «
révolution de 1983» a bénéficié d’un environnement économique
international largement favorable, particulièrement en ce qui concerne
le règlement de la question de la dette extérieure et les opportunités
de nouveaux apports de capitaux. La « révolution de 2001 », quant à
elle, prend pied dans un environnement économique international
favorable en ce qui concerne le règlement de la question de la dette
extérieure et le financement du programme triennal, le PMURR.
Toutefois, l’instabilité politique quasi-permanente de ces 15 dernières
années alimente encore dans les milieux financiers internationaux un
certain courant de «Congo-pessimisme ».

En résumé, depuis son accession à l’indépendance, le Congo
reste confronté aux mêmes problèmes: instabilité politique, instabilité
monétaire, décroissance économique. Ses efforts autonomes pour briser
le cycle de la décroissance économique se soldent toujours par un jet
d’éponge. Le reste du monde est toujours sur le qui-vive, par rapport
au Congo malade: toujours prêt à exercer ses pressions pour le retour à
la stabilité politique, mais de moins en moins disposé à accorder des
ressources financières pourtant indispensables pour faciliter
l’ajustement dont le Congo a fondamentalement besoin.

Alors, que faire? Pour répondre à cette question, il est
important de tenter une nouvelle lecture de l’économie politique
congolaise. C’est l’objet de la section suivante.

L’ECONOMIE POLITIQUE CONGOLAISE

Il faut d’abord
noter que la démarche économique est demeurée inchangée. Une
comparaison des différents programmes économiques révèle que les
objectifs et les instruments utilisés sont restés les mêmes. Le schéma
du « Programme intérimaire renforcé » et celui du « Programme
économique du gouvernement », en cours depuis avril.2002, ne diffèrent
pas du tout du contenu des programmes antérieurs. Les efforts sont
principalement tournés vers le rééquilibrage macro-économique à l’aide
des instruments monétaires et de change. Ce fut déjà le cas dans les
programmes de stabilisation de 1976 et 1977.

Ces deux programmes se sont fixé les mêmes objectifs que ceux
des programmes antérieurs et ils ont adopté les mêmes instruments.
L’économie politique congolaise impose cependant des défis d’une autre
nature et des contraintes d’une taille plus importante.

L’économie congolaise se caractérise aujourd’hui
particulièrement par le rétrécissement de sa taille. De 377 Usd en
1956, le pm par tête d’habitant est tombé, selon les estimations de la
Banque centrale du Congo, à 68 Usd en 2000, exprimé en dollar de 1987.
Le rétrécissement de la taille de l’économie nationale réduit
sensiblement les moyens de l’Etat et donc, la densité de gouvernement,
sa présence sur l’ensemble du territoire national et sa capacité à
satisfaire les besoins vitaux des populations locales. Le
rétrécissement de la taille de l’économie est aussi à la base de la
grave crise de souveraineté dont souffre l’autorité politique.

L’instabilité politique et son corollaire – l’insécurité des
personnes et des biens – sont les causes principales du rétrécissement
de la taille de l’économie congolaise à travers leurs effets déprimants
sur l’investissement et le maintien des capacités installées. Les
périodes troubles de 1960 à 1965, les i assauts répétés contre les
intérêts économiques établis entre 1967 et 1975 (nationalisation, «
zarianisation », « radicalisation », « rétrocession »), les
insurrections du Sud entre 1977 et 1981 (les guerres du Shaba et de
Moba), les troubles ethniques ainsi que les différents heurts liés au
processus de libéralisation politique engagé en 1990 – notamment les
pillages de 1991 et 1993 -, les guerres de 1996 et 1998 sont autant de
moments forts qui établissent une situation d’instabilité et
d’insécurité caractérisée. A ces facteurs, il faut ajouter l’insécurité
juridique des investissements.

Face au rationnement des ressources financières de l’Etat et
au poids de la dette extérieure, les gouvernements congolais ont usé de
moyens les plus faciles pour faire face aux dépenses courantes et aux
dépenses de souveraineté: le financement monétaire. Ce mode de
financement a imposé un coût énorme aux détenteurs des signes
monétaires. Les efforts des gouvernements successifs, quand ils se sont
intéressés à la stabilisation économique, ont été tournés vers
l’élargissement des moyens financiers de l’Etat via la dévaluation
monétaire, l’augmentation des taux d’imposition (ou la modification des
modalités de collecte des contributions) ou encore la réduction des
transferts sociaux.

Le rétrécissement de la taille de l’économie a été renforcé
par la déstructuration physique du territoire national ainsi que par la
déstructuration, du système bancaire et l’arrêt subséquent des
mécanismes d’intermédiation financière. Ces développements ont eu pour
conséquence l’accroissement de la taille du secteur informel et la
propagation dans les entreprises du « secteur moderne» des
comportements anticipatifs (de survie) développés dans l’informel.

Le pouvoir économique est ainsi de plus en plus organisé
autour de petites exploitations commerciales. L’atomisation du pouvoir
économique a, bien entendu, permis à la majorité des ménages, grâce au
faible coût d’établissement et à la mobilité inhérente à l’informel, de
résister à l’écrasement. Mais, ce phénomène d’atomisation crée d’autres
problèmes au gouvernement; notamment dans le domaine fiscal et dans
celui de la réglementation des activités économiques.

En effet, étant donné les faibles capacités institutionnelles
de l’Etat, les coûts de collecte des recettes fiscales dans une
économie aussi atomisée sont élevés ; en plus, la mobilité des firmes
au sein d’une industrie ou à travers les industries ne facilite pas
l’enregistrement, la classification, et le contrôle des agents
économiques. D’ailleurs, les efforts entrepris, dans le cadre de la
réforme fiscale de 1998, pour « fiscaliser » le secteur informel, n’ont
de toute évidence donné que des résultats limités.

L’instabilité monétaire n’est donc pas le « problème de base»
de l’économie congolaise. Par conséquent, il faut donner à la politique
économique un contenu correspondant au problème de base de cette
économie. Un simple programme de stabilisation financière ne permet pas
de briser le cycle de la contraction économique qui alimente la spirale
inflationniste que l’on cherche pourtant à « casser ».

POUR UNE POLITIQUE ECONOMIQUE DE DEVELOPPEMENT

Posons
la question: L’adoption d’un programme d’assainissement financier
suffit-elle pour garantir des ressources extérieures additionnelles? En
d’autres mots, quelles sont les autres conditions indispensables pour
assurer le lien entre la stabilisation macro-économique et la relance?

La question trouve réponse dans 1 ‘histoire économique
récente du pays. Pour soutenir un Zaïre chancelant au sortir de deux
guerres du « Shaba », les institutions financières internationales, en
concertation permanente avec les bailleurs bilatéraux et multilatéraux,
ont apporté à ce pays une assistance financière importante, tantôt sous
la forme d’allégement du service de la dette extérieure, tantôt sous la
forme d’apport de capitaux nouveaux, tantôt encore, sous la forme de
renforcement des capacités de gestion comme ce fut le cas à partir de
1979 avec la présence de M. Paelinck à la tête de l’Office national de
transports (ONATRA) et de M. Blumenthal nommé directeur principal de la
Banque Centrale.

Cette assistance n’a jamais produit les effets escomptés ni
arrêtée le processus de rétrécissement de l’économie formelle en RDC.
La raison est simple. Elle ne reposait pas sur une conviction profonde
partagée par les gouvernants et les gouvernés sur la justesse des
ajustements entrepris. Elle ne contribuait en aucun cas au
rétablissement de la stabilité politique et de la sécurité juridique,
seuls gages dans le contexte de l’économie politique congolaise et de
l’environnement politique congolais, de bâtir une base économique
formelle autour de laquelle viendraient se greffer les innombrables
activités formelles et informelles existantes et à créer.

Revenons aux deux composantes de l’équation de la politique
économique congolaise: le choix de l’option économique; et l’ouverture
des opportunités d’investissement et de profit. Par rapport à la
première composante, la question centrale demeure l’existence des
alternatives viables à l’option libérale. Au vu du poids de la dette
extérieure et d’importants arriérés de paiement et de l’aggravation de
la pauvreté, y a-t-il une autre option ouverte au Congo autre que
l’option libérale?

En termes plus clairs, le Congo peut-il aujourd’hui se passer
des institutions financières internationales qui veillent à la solidité
de l’économie mondiale? La réponse est non. Au contraire, la République
Démocratique du Congo doit mettre à son profit les différents
mécanismes existants de réduction de la dette. C’est, en effet, la
dette extérieure qui prive le Congo de la liberté de choix dont ont
bénéficié d’autres pays comme le Vietnam et la Chine Populaire qui ont
su négocier à leur gré et selon leurs termes leur association aux
milieux financiers internationaux.

L’adhésion à l’option libérale est aussi imposée au Congo par
sa situation géographique (pays semi-enclavé) et sa position
géostratégique (véritable charnière et pièce maîtresse de l’Afrique
Centrale). Cette adhésion est enfin imposée par l’utilisation que l’on
peut en faire comme un instrument pour accélérer la bonne gouvernance
politique. Car elle suppose la mise en œuvre (l’adoption), de manière
graduelle, des institutions (comportements) qui favorisent la
croissance. Ces institutions (comportements) touchent à la fois
l’organisation du pouvoir politique et sa décentralisation, la
distribution de la justice, l’organisation de la société civile, et
l’organisation du pouvoir économique de l’Etat (finances publiques,
monnaie) n’est important pour le Congo de lever cette option et de
s’engager avec résolution et sans les tergiversations observées dans le
passé vers la construction d’un Etat libérateur des énergies. C’est
dans cette perspective qu’il faut situer les efforts destinés à relayer
les résultats positifs du Programme Intérimaire Renforcé, car, quels
que soient les additifs y associés pour adoucir les effets des coûts
sociaux inévitables, un tel programme serait insuffisant et
s’essoufflerait rapidement.

Cette préoccupation rencontre les leçons tirées de
l’expérience des économies en transition. Selon Kolodko, une économie
de marché ne peut être introduite sous la forme d’une simple thérapie
de choc. Car une telle économie a besoin d’institutions adéquates et de
comportements appropriés. La mise en place de ces institutions et
l’adoption de ces comportements ne peuvent s’opérer que de manière
graduelle et dans « un contexte politique acquis aux transformations
systémiques requises ». Autrement, un « bing bang» ne peut produire
qu’une réforme sans croissance. C’est, a-t-on appris aujourd’hui, le
goût amer des programmes d’ajustement structurel qui peuvent produire,
et souvent de manière non durable, les effets positIfs en ce qui
concerne l’équilibre de la balance des paiements et du budget de
l’Etat, mais produisent des effets négatifs en ce qui concerne la
croissance économique.

En effet, ces programmes laissent de côté des aspects aussi
importants que la mise sur pied des, institutions, à l’amélioration de
la gestion des entreprises publiques, la redéfinition du rôle de l’Etat
(et non simplement son retrait). Toutes ces questions sont intimement
liées à la gouvernance politique et ne peuvent trouver solution en
dehors d’un programme de normalisation politique. C’est sur base de ces
nouvelles leçons que les auteurs du fameux « consensus de Washington »
ont réécrit leur scénario. C’est aussi vers cette direction qu’il faut
poursuivre le débat sur la politique économique en RDC. Les seules
références à ces préoccupations dans le Programme intérimaire de
gouvernement se rapportent à l’unification du code minier, à
l’actualisation du code des investissements, et à la facilitation de
l’évacuation des produits agricoles. Cependant, ces éléments ne sont
traités que sous leur aspect technique, en dehors du contexte politique
réel.

La deuxième composante de l’équation de la politique
économique congolaise est une question plus technique. Elle permet de
formuler le problème auquel serait confronté tout investisseur désireux
d’apporter des capitaux au Congo et qui s’interrogerait sur le
rendement attendu d’un dollar placé dans ce pays par rapport au
rendement dans toute autre économie émergeante d’Afrique, d’Asie ou
d’Europe de l’Est. Vu l’important déficit en infrastructures
économiques et en capital humain au Congo, le rendement des
investissements est certainement très peu élevé. C’est ici qu’il faut
situer la problématique des investissements publics dans deux domaines
précis: l’aménagement du territoire; l’investissement humain. Ces
investissements doivent être programmés dans une perspective de longue
durée (libre de la contrainte temporelle qu’impose un budget annuel) et
ils ont un pré-requis: la décentralisation.

La question posée ci-haut donne aussi lieu à une autre
interrogation: un programme d’assainissement financier suffit-il pour
garantir la durabilité de la stabilisation? Cette question est centrale
à la problématique de la relance. En d’autres termes, si la
stabilisation n’est pas durable, le passage à la phase de la relance
est hypothéqué. Or, dans ce domaine, le Congo détient un impressionnant
record d’échecs. Combien de temps durera la stabilité relative
retrouvée depuis juin-juillet 2002 ?

Pour certains auteurs, la plupart des programmes de
désinflation ne sont pas durables. Utilisant un échantillon de 51
programmes de désinflation rapide (dont 3 programmes de la RDC)
concernant des pays ayant expérimenté des taux d’inflation supérieurs à
40%, Hamann et Prati (2002) ont montré que les succès de ces programmes
sont généralement de courte durée. En plus de l’absence et/ou de
l’inadéquation (ou simplement d’un décalage temporel) des mesures
d’ajustement fiscal et monétaire requises pour soutenir la
stabilisation, ces auteurs ont aussi mis en évidence le rôle de trois
types de facteurs dans la brièveté des phases de stabilité: le facteur
« chance » représenté par les chocs externes négatifs: le comportement
des importations des produits du pays par les principaux partenaires,
des taux d’intérêt internationaux et des termes de l’échange ; les
conditions initiales: plus élevé est le taux d’inflation juste avant la
stabilisation, moins longue sera la stabilisation. De plus, la
probabilité d’échec (c’est-à-dire d’une stabilisation de courte durée)
est plus élevée pour les programmes ayant choisi une variable autre que
le taux de change comme ancrage de la stratégie de stabilisation ; les
conditions politiques et institutionnelles: la probabilité d’échec est
plus élevée dans les cas des régimes politiques de courte durée et dans
les régimes où le pouvoir exécutif est faible.

Comme on le sait, la RDC a ancré sa stratégie de
stabilisation sur la base monétaire et non sur le taux de change. Le
pays vient de faire place au régime politique qui a impulsé ce
programme de stabilisation s’est engagé dans une phase de transition au
cours de laquelle le pouvoir exécutif va être exercé par des
représentants venant de principales composantes et entités du «
Dialogue inter-congolais ». Dans cette diversité politique, quelles
sont les chances de préserver les résultats acquis par le PIR ? Cette
question mérite d’être approfondie.

Professeur Mukoko Samba

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