Simaro Masiya : 70 années d’existence – 50 années de carrière.


"Lors
Premièrement, je remercie votre magazine de me rendre
visite à Kinshasa et profite de l’occasion pour saluer tous nos
compatriotes en Europe et en particulier en  Belgique. Je tiens à ce
que le travail nous submerge et nous évite d’utiliser le « bic » rouge
seulement pour corriger tout ce qui a été fait par autrui. Nous devons
prier pour que notre « Nation » aille de l’avant ; que le cœur de nos
dirigeants puisse être rempli d’amour, de sagesse et d’intelligence
apprise sur les bancs de l’école ou sur le terrain…
Tel commence le poète Lutumba Simaro Masiya.

A Kinshasa, il ne reste qu’un seul orchestre pour les aînés et c’est la
formation que je dirige : les Bana Ok. Nous nous produisons chaque
semaine. Le samedi, c’est sur invitation et les dimanches, de 14h à 21h
sur la route de Kinkole. C’est une très chaude ambiance destinée à tous…
Je
suis toujours là et reste le dernier « vieillard » à jouer encore de la
guitare dans notre pays. Mon actualité, comme vous le savez, est que je
viens de fêter mes 50 ans de carrière ponctués par un album qui est sur
le marché. Tous mes « petits frères » qui étaient disponibles, ont
participé tels que Nyboma, M’bilia Bel, Manda Chante, Ferré, Papa Wemba
(2 titres), tous accompagnés par mon groupe « Bana OK » … Je pense que
ce travail vous plaira. C’est neuf titres, neuf nouveautés. Cet album
n’est pas une compilation comme certains peuvent l’imaginer.

"enc-retro-actuel
: Lorsque vous dites 50 ans de carrière, de nombreuses personnes
n’étaient pas encore nées. Si aujourd’hui, vous devez vous présenter à
elles, que leur diriez-vous de Simaro Masiya ?

Simaro
Masiya : Simaro Lutumba que vous avez immortalisé comme le « grand
poète, le grand baobab ou le grand monument», est né le 19 mars 1938 à
Kinshasa (Léopoldville). J’ai connu les règnes du Roi Baudouin,
Kasa-Vubu, Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et actuellement Joseph Kabila.
Je suis un des témoins de notre histoire. J’ai commencé à jouer de la
guitare en 1957 dans mon quartier ici à Lingwala. En 1959, nous avions
crée notre premier groupe « Kongo Jazz » avec le regretté Madiata et
tant d’autres amis aujourd’hui disparus. En 1961, j’ai été approché par
l’OK Jazz que j’intègre au mois de janvier de cette même année. En
mars, nous avions eu la chance de voyager pour l’Europe. Je suis resté
auprès du grand Maître de 1961 jusqu’à sa mort.
Après le décès de
Luambo Makiadi Franco, je suis resté au sein de l’Ok Jazz durant quatre
années. Beaucoup de personnes internes au à l’orchestre ont participé à
la dislocation de cette formation. Ils ont fait le nécessaire pour que
je quitte en 1994. Je pense avoir beaucoup contribué au sein de ce
groupe où je suis arrivé comme guitariste-accompagnateur. Avec le
temps, tout le monde a découvert mon talent en tant que compositeur.
C’est Josky Kiambukuta qui aura l’idée de créer un autre mouvement.
Avec toute la déception vécue avec la fin de l’OK Jazz, je l’ai suivi
et ce fut les « Bana OK » qui sont nés.
Lors d’une tournée en Europe entre 1996 et 1997, certains frères du groupe ont décidé de rester à Bruxelles et d’autres à Paris.
En
2003, suite à un contrat, nous sommes retournés en Europe produire un
nouvel album. Ce dernier fini, le producteur n’honorera pas son
contrat. Après dix mois d’attente de notre cachet, j’ai préféré rentré
au pays surtout vu mon âge et que mon visa était périmé. Mes musiciens
sont restés dans l’attente de leur dû. A mon arrivée à Kinshasa, j’ai
créé une nouvelle formation en réunissant les jeunes qui sont avec moi
aujourd’hui. Je suis avec Pépé Ndombe et ceux qui sont restés en Europe
sont toujours les Bana Ok ! J’ajouterai que nous avions fait la musique
pour « l’art ». C’est différent de la musique « Marketing » ! Voilà
comment je peux me présenter à cette jeunesse qui ne me connaît pas.
c-retro-actuel
: Simaro Masiya vous faites partie intégrante de la musique congolaise
et nul ne doute de votre apport. Si aujourd’hui, l’envie de mettre un
terme à votre carrière ou si le Bon Dieu vous rappelle à lui ; à qui
laisseriez-vous les Bana-Ok pour son évolution ?

Simaro
Masiya : En ce qui concerne les Bana Ok, à mon avis, il aurait fallu
que Josky Kiambukuta soit à mes côtés ! C’est un grand compositeur,
grand chanteur de charme… il aurait fallu qu’il soit à mes côtés ! Nous
avons grandi et mûri et chacun d’entre nous à des priorités autres. Je
ne lui reproche rien. Nous continuons à travailler ensemble et ce
malgré la distance. Le rendement comme vous pouvez l’imaginer n’est
plus que de 70% au lieu des 100%.
Pour diriger et le dynamisme d’un
groupe, Makosso est très important. En mon absence, il est capable de
faire évoluer le groupe dans la bonne direction…
A la disparition de
Franco aussi de nombreuses personnes pensaient que ce sera Simaro.
J’étais le numéro deux et j’avais énormément contribué dans ce
mouvement… Aujourd’hui, je dis ceci, si Ndombe est capable, pas au
niveau artistique mais, de diriger et de porter ce fardeau, il ne tient
qu’à lui. J’ai été dans une grande école aux côtés de Franco : 28 ans
durant ! Je l’ai vu par son savoir-faire, son management, sa force et
son amour des artistes comme de sa famille. J’ai beaucoup appris. J’ai
mon talent mais il fallait aussi quelqu’un… si vous voulez apprécier la
démarche d’une personne, vous ne pouvez pas être devant lui ! Soyez
derrière lui. Il faut abandonner son orgueil… Lorsque j’ai quitté OK
Jazz, il était le meilleur orchestre du Zaïre ; Madilu était le
meilleur chanteur ; Tay Pétrole meilleure chanson ; Lutumba Simaro,
meilleur compositeur ; meilleur guitariste Gery… des personnes jubilent
dans leur coin de la disparition de l’OK Jazz mais ils sont malheureux
car aujourd’hui, ils vivent des situations difficiles…
c-retro-actuel
: Certains conflits sont nés au sein du milieu artistique suite à la
dotation de deux millions de dollars pour les artistes. Nous pouvons
même parler de conflits de génération. Qu’en dites-vous ?

Simaro
Lutumba : Je fais partie des personnes qui ont été contactées par le
ministre du budget pour nous annoncer la bonne nouvelle. Mais loin de
moi l’idée ou l’envie de corriger les autres… les ministères du budget
et de la culture nous ont demandé de nous entendre… toute personne
présente a entendu le montant de deux millions de dollars. Vous pouvez
aisément imaginer la suite. J’ai découvert de nombreux «nouveaux»
artistes et chacun  de nous avait une idée sur l’utilisation de cet
argent. Maray ira même jusqu’à manquer de respect à Tabu Ley à cause de
cet argent. S’il n’y avait pas eu ce montant, Maray Maray n’aurait
jamais manqué de respect à Rochereau qui est une école artistiquement
parlant! J’ai préféré m’écarter de cette histoire. Que l’Etat décide ce
qu’il peut faire pour les artistes… lorsque vous allez voir les tombes
de Vieux Kallé, de Nico Kassanda, d’Abeti Massikini, de Eyenga, Franco,
Pépé Kallé  et j’en passe… c’est triste et dommage. A une époque, je
pense que Tshala Muana ou Mbilia avait suggéré qu’on nous construise à
l’image de Père Lachaise à Paris un cimetière digne de notre culture.
Nous sommes les ambassadeurs de notre pays et nous méritons mieux. Le
congolais aime la musique mais n’aime pas les musiciens.
Le 19 mars
2008, j’ai fêté mes 70 ans et 50 ans de carrière. J’ai beaucoup fait
pour notre musique. Quelle est ma situation ? En aucun jour, la société
des droits d’auteur de mon pays ne m’a jamais remis un chèque de
2.000$. Notre radio nationale nous doit des sommes folles… Elles sont
estimées à 30 millions de dollars ! Nous avons une cinquantaine de
chaines. Elles ne passent que la musique. La chaîne de télévision
«Raga» passait un générique avec une de mes chansons. Ils n’ont jamais
contacté… Les jeunes actuellement ont raison. Ils font la musique pour
l’argent. Ils sont affiliés à des sociétés étrangères et sont mieux
payés. Cela explique pourquoi nous mourrons pauvres et que les chansons
comportent autant de « Mabanga ». Nous n’avons pas de pension.

A suivre…

c-retro-actuel Magazine N°17

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