LA QUESTION DE NATIONALITE EN RDC : UNE POLITIQUE EN DENTS DE SCIE? (YAV KATSHUNG JOSEPH)

Quand
les dictatures issues de la décolonisation se sont enfoncées dans la crise, dans
les révoltes populaires et les luttes de pouvoir au sein des élites, la question
"Qui a le droit de revendiquer les droits de citoyenneté dans un Etat" est
devenue très importante, pour des raisons évidentes: il s'agissait de déterminer
qui a le droit de vote et qui ne l'a pas, qui a le droit d'être élu et qui ne
l'a pas, et aussi qui peut revendiquer des droits de propriété et qui ne le peut
pas.

De là, beaucoup de leaders politiques à travers le continent ont
cru bon de se créer un avantage en proclamant l'exclusion d'une partie de la
population au nom de la "nationalité douteuse", surtout si ces populations
étaient perçues comme soutiens d'un rival politique. Il y a beaucoup de moyens
de tricher dans une élection, mais le moyen le plus sûr est de refuser le droit
de vote à des électeurs qui vont voter contre vous en prétendant que ce sont des
étrangers et donc des « sans droits ». Ces conflits aussi sont souvent liés à
des problèmes électoraux.

Cela est d’autant plus vrai car, depuis les
années 90, la RDC a été et demeure le théâtre des conflits liés à la question de
nationalité avec comme conséquence que cela a sur les droits y découlant. Aussi,
plusieurs auteurs affirment que les conflits en RDC sont en grande partie causés
par l’évolution de la politique de nationalité qui n’a cessé de progresser en
dents de scie. Dans cet article, nous donnerons l’évolution de la loi sur la
nationalité et ses conséquences sur la participation politique et la stabilité
du pays. Le cas des banyamulenge et banyarwanda sera évoqué comme illustratif
pour démontrer les compénétrations entre la politique et l’ethnicité, etc.

I. Définition et règles d’attribution de la nationalité

On peut
définir la nationalité comme le lien juridique qui rattache une personne à un
Etat ou encore comme " l'appartenance juridique et politique d'une personne à la
population constitutive d'un Etat " . Ainsi qu'en a disposé la CIJ, dans son
arrêt du 6 avril 1955, dans l' ‘Affaire Nottebohm’ " La nationalité est un lien
juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité
effective d'existence, d'intérêts, de sentiments joints à une réciprocité de
droits et de devoirs; elle est, peut-on dire, l'expression juridique du fait que
l'individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un
acte de l'autorité, est en fait rattaché à la population de l'Etat qui la lui
confère plus qu'à celle de tout autre Etat".

Chaque Etat est libre de
fixer les règles d'acquisition de sa nationalité. De 1964 à nos jours, la
définition de la nationalité congolaise s'est basée sur les principes suivants
:
– L'appartenance à des tribus sensées avoir habité sur le territoire
national avant la colonisation pour définir la nationalité d'origine ;

Cette nationalité d'origine se transmet par le droit du sang;
– L'unicité et
l'exclusivité de la nationalité congolaise;
– Des restrictions aux capacités
de citoyens naturalisés, exprimés en termes de " petite naturalisation " et de "
grande naturalisation ".

II. La nationalité, fondement de la
participation politique et sa question en RDC

II.1. Fondement de la
participation politique : Notions

La nationalité est indissociable des
modes de participation à la vie de la cité (le vote, les manifestations, les
pétitions, le militantisme, etc.) Elle entraîne aussi des obligations
spécifiques : devoir de voter, le devoir fiscal, le devoir de solidarité, etc.

La question centrale est celle de l’identité nationale, et la
représentation sociale qui sous-tend les débats est l’opposition dedans/dehors;
nous/eux; nationaux/ étrangers. Toute organisation et toute organisation
politique, par définition, inclut les uns et exclut les autres. Ce qui
différencie les modes d’organisation politique, c’est le principe et les modes
de l’inclusion et de l’exclusion.

A cet effet, tout Etat démocratique
est fondé sur un principe d’inclusion politique des citoyens et d’exclusion
politique des non-citoyens (qui sont citoyens d’un autre pays, puisque
juridiquement tout homme a droit à une nationalité), mais en leur garantissant
l’égalité des droits civils, économiques et sociaux avec les nationaux. Il
inclut les citoyens en assurant leur égale participation à la vie politique, il
exclut les seconds des pratiques directement liées à la citoyenneté.

II.2. Cas de la République Démocratique du Congo (RDC)

En RDC, la
question de nationalité, il faut le reconnaître a fait couler non seulement
encre et salive mais aussi du sang. Certains groupes se sentant marginalisés,
ont jugé bon d’user de la force afin de ne pas être exclus de la sphère
politico-économique et sociale de la RDC. Dans les provinces du Kivu, la terre
et l’identité ethnique sont des causes propres et majeures des conflits.

Au cours de plus de quarante dernières années, les lois congolaises sur
la nationalité ont été modifiées à quatre reprises, parfois au détriment des
certains groupes qui ont été privés par intermittence de leur droit à la
nationalité congolaise.

Ainsi, comme on peut bien s’en rendre compte, la
"question de la nationalité" est certainement le problème le plus douloureux et
le plus complexe auquel la RDC a été confrontée en 48 ans d'indépendance. Il
s'agit du problème central qui explique, pour une large part, les guerres que la
RDC a connues en 1996 et en 1998. Cela est d’autant vrai car la nationalité
confère des droits aux citoyens que les étrangers n’ont pas ou n’acquièrent pas
facilement (droit à la terre, droit d’élire et d’être élu, etc.) Cela se traduit
souvent par la tentation de remettre perpétuellement en cause la nationalité
d'un concurrent politique lors des échéances électorales ou des nominations
politiques.

Ainsi, la gestion des questions de nationalité est très
sensible et que presque tous les gouvernements de la RDC n’ont pas su gérer
adéquatement. Elle a été donc au centre des mystifications de tous ordres au
point de se retrouver à la base de deux guerres et aux conflits interminables au
Kivu et dévoile l’opportunisme des acteurs politiques.

Utilisée
alternativement comme une sanction et/ou une gratification à l’égard de la
communauté rwandophone, la nationalité congolaise a été placée au centre des
enjeux, des querelles et guerres depuis la dernière décennie du vingtième
siècle. Les populations Tutsi réfugiés derrière l’ethnonyme Banyamulenge par le
fait de la contestation de leur origine congolaise et de la limitation de leurs
droits, sont soit elles-mêmes instrumentalisées par les puissants soit la
cible des discours xénophobes. La reconnaissance ou la méconnaissance de la
nationalité de ces Banyamulenge et Banyarwanda a toujours été fonction de leur
allégeance ou opposition aux élites au pouvoir. Cette situation des Banyamulenge
est une constante de l’histoire politique post -coloniale de la RDC.

Comme si cela ne suffisait pas, la compétition politique déjà violente a
été exacerbée par les confusions introduites par deux lois successives sur la
nationalité congolaise (zaïroise) en 1972 et en 1981. En 1972, une solution est
envisagée. Sous l’instigation de Barthélemy Bisengimana, directeur de cabinet de
Mobutu de 1969 à 1977, une loi édictée confère de façon automatique et
collective la nationalité (congolaise) zaïroise aux migrants rwandais arrivés
dans le Kivu avant l’indépendance.

Loin d’apaiser ou d’amorcer les
tensions entre les groupes autochtones et Banyarwanda, cette loi les accentua
tout en provoquant l’indignation des populations du Kivu. A tel point que ces
tensions seront aggravées par une autre loi, en 1981, qui annulait la précédente
et ne reconnaissait plus que la nationalité à titre individuel par
naturalisation.

En versant dans l’extrême inverse, la nouvelle loi
plongeait dans « l’illégalité » et la « clandestinité » une population qui était
devenue démographiquement majoritaire, notamment dans le Nord-Kivu. Notons que
cette nouvelle loi sur la nationalité, qui a marginalisé encore plus les
Banyarwandas se révèlera un puissant slogan rassembleur pour les rébellions
menées par les Tutsis dans l’Est. Le régime de feu Laurent Kabila n’a pas dérogé
à la règle : jusqu’en août 1998, il a soutenu que les rwandophones étaient bel
et bien des Congolais et, quelques jours après leur implication dans la
rebellion-invasion du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) en 1998,
le même président leur reniait ce statut qu’il s’apprêtait pourtant à consacrer
par un article constitutionnel.

III. Situation actuelle et perspective
d’avenir

Comme vu supra, la question de la nationalité a été source de
dissensions en RDC après l’indépendance car, elle affectait le droit des membres
de certains groupes de posséder de la terre et d’occuper des fonctions
politiques, ce qui a eu des conséquences pour l’exercice du pouvoir politique et
économique dans le pays. De manière générale, les changements des lois sur la
nationalité ont été provoqués par les intérêts politiques et économiques rivaux
des chefs et politiciens des différents groupes -ethniques. Ainsi, les
frustrations et revendications ont fait que certains groupes ont pris les armes
pour faire passer leurs voix. Il s’en est suivi un besoin d’accommoder tout le
monde afin de privilégier la paix et la stabilité.

De ce fait, dans le
processus de résolution de ce problème, relevons que depuis les accords de
Lusaka jusqu'à ce jour, il faut reconnaître que cette question a positivement
évolué et juridiquement, le problème ne se pose plus. La volonté politique et
sociale doivent suivre. Sous la pression internationale, le gouvernement de
transition, conscient du caractère central de la question de la nationalité pour
le succès de la pacification et de la réunification, avait entrepris de réformer
la loi sur la nationalité. Une nouvelle loi sur la nationalité a été promulguée
en novembre 2004, à l’issue d’un vote très contesté du Parlement. Elle confère
le droit à la nationalité congolaise à toutes les personnes, ainsi qu’à leurs
descendants, qui résidaient en RDC au 30 juin 1960, date de l’indépendance. La
loi ne reconnaît pas la double nationalité.

Bien que cette loi doive
mettre fin au débat sur les questions de nationalité, la situation demeure
presque inchangée à l’approche des élections. Ainsi, le fantôme politique de «
diviser pour mieux régner », plane encore sur le sol congolais. Il est devenu
monnaie courante que d’entendre ou de lire, que certains dirigeants actuels et
candidats aux élections prochaines, ne sont pas congolais ou sont d’origine
douteuse : cas de Joseph Kabila, Azarias Ruberwa, etc. Tous les coups sont donc
permis et l’avenir nous réserve peut -être des surprises. Quelles soient bonnes
!

CONCLUSION

En conclusion, en RDC, la nature de l’identité
politique est le dernier élément d’exclusion sociale. Les populations qualifiées
de « non-indigenes », sont souvent exclues de la citoyenneté politique. Ceci ne
leur laisse d’autre option que de se battre pour leurs droits car, il est
évident que seule la citoyenneté nationale, civique, peut garantir leurs droits
politiques et économiques. Comme vu précédemment, a l’Est de la RDC, la
nationalité de certaines communautés a évolué en dents de scie, si bien que ni
l’administration coloniale, ni le régime de feu Mobutu encore moins, le régime
de feu Laurent Kabila n’ont pu déterminer le statut légal de ces communautés,
causant ainsi une insécurité civique et politique permanente. Même sous l’empire
de la nouvelle loi sur la nationalité de novembre 2004, qui se veut inclusive,
il faut relever que les pratiques et calculs d’exclusion politique s’avèrent
être présents
et risquent de s’aggraver avec les échéances électorales en
renforçant des identités conflictuelles. Voila l’évolution en dents de scie de
la nationalité congolaise.

Dr. YAV K. JOSEPH

– Avocat –
Advocate
– Human Rights Lawyer & Consultant
– Transitional Justice
Advocate
– Professor (University of Lubumbashi:DRC)

Fax: + 1 501 638
4935
Tel: +243 81 76 13 662
www.joseyav.com

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