04.023.09 Le Potentiel / Cinq questions à Pascal Lamy (Directeur général de l’OMC.)

1. En ce qui concerne bon nombre de pays africains, c’est la question agricole qui prime. Ne risque-t-on pas, sur ce plan, un sursaut de nationalisme américain?

Ce qu’il y a sur la table aujourd’hui, après sept ans de négociations, c’est la réduction des plafonds des subventions agricoles américaines, européennes et japonaises, qui perturbent les échanges. Ce sont des réductions très importantes, de 70 % à 80 %. Elles n’entreront en vigueur que si les négociations sont conclues, mais elles sont sur la table. Y compris de la part des Américains. Il n’y a pas encore de chiffre final pour le coton, mais on sait très bien qu’il n’y aura pas d’issue à la négociation sans une réduction des subventions sur le coton. Cette réduction devra être plus importante que celle acceptée pour l’agriculture en général. Les négociateurs s’y sont engagés. Sur ces questions, je ne suis donc pas pessimiste. Et si la flambée des prix agricoles et alimentaires du début 2008 a changé quelque chose, elle a ajouté de la détermination dans le camp des pays en développement, qui souhaitent un com­merce international agricole moins faussé.

2. Est-ce que la relance des politiques agricoles africaines fait partie des solutions?

Affirmatif. Et du point de vue de l’OMC, l’Afrique et notamment subsaharienne, dispose de marges de manœuvre considérables en matière de politique commerciale. Le plafond moyen des tarifs douaniers agricoles pour l’Afrique subsaharienne est de l’ordre de 60 %. Les tarifs réellement appliqués sont de 10 % à 20 %, pour préserver le pouvoir d’achat des populations. Il existe donc un espace pour des politiques africaines plus actives dans l’agriculture. Mais on ne peut pas demander à un pays d’investir dans l’agriculture s’il doit se battre contre le Trésor américain ou contre le budget européen ou japonais. L’élimination des subventions à l’exportation par les pays riches, c’est-à­dire la réduction de la partie des subventions qui perturbent les échanges, est donc une question de morale économique et politique.

3. Quand on regarde l’avancement des négociations, on a l’impression que les Africains vont gagner sur le coton et qu’ils vont perdre sur la banane. C’est donnant-donnant?

Le coton est un problème qui oppose pays développés et pays en développement. Si 20000 producteurs américains et quelques Européens ont des milliards de dollars de subventions par an, il est normal que le Bénin, le Mali ou le Tchad protestent. Même s’il est bien entendu que les subventions ne sont pas le seul problème de la filière coton dans ces pays… Le cas de la banane est profondément différent. Il se situe entre les Latino-Américains et les Africains. Cela fait trente ans que les Latino­Américains protestent contre le fait que les pays africains – et les pays des Caraïbes – ont un accès privilégié au marché européen. Dans le cadre des négociations actuelles, une solution est possible. Il faudra que les tarifs européens soient réduits et cela va par conséquent réduire la préférence ACP. Sur un autre plan, il n’y a aucune raison que le Cameroun, la Côte d’Ivoire ou encore le Ghana ne deviennent pas aussi compétitifs que les pays latino-américains. Il y a un énorme potentiel de production en Afrique à condition que la filière, qui va du producteur au consommateur, soit bien organisée et qu’elle ne soit pas gérée comme une rente.

4. Depuis deux ans, l’OMC a réalisé un examen de la politique commerciale de pays comme le Tchad, le Cameroun, le Gabon. Quels sont ceux qui progressent, ceux qui régressent?

Les revues de politique commerciale ne consistent pas à distribuer des bons et des mauvais points. Dans l’ensemble, nous avons constaté des progrès considérables de savoir-faire depuis cinq ou dix ans. Il y a aujourd’hui un bien plus grand nombre d’experts dans les pouvoirs publics africains sur les questions de commerce international qu’autrefois.

5. Alors, parlons en termes d’intégration au commerce mondial…

Sur ce plan, l’Afrique de l’Est a fait des progrès considérables. Elle doit désormais résoudre des problèmes d’infrastructures. Prenons l’exemple du Rwanda. Sa politique commerciale a bien évolué, mais le pays reste handicapé par des problèmes de transports. Si un camion à destination de Mombasa ou Dar es-Salaam doit s’arrêter trente fois à cause de barrages plus ou moins officiels, on ne peut pas parler d’intégration commerciale. De même, il y a eu des progrès en Afrique australe, même s’il subsiste des problèmes, là aussi d’infrastructures, avec les voisins. Mais il est vrai qu’en Afrique centrale, et en Afrique de l’Ouest, c’est moins évident, pour des raisons qui, à mon avis, sont essentiellement politiques.

Tirées de Jeune Afrique, n°2506, du 18 au 24 janvier 2009

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