16.02.09 Le Phare – SARKOZY face à la presse congolaise: «la France sera toujours aux côtés des Congolais»

Question 1 : M. Le Président, certains passages du discours que
vous avez prononcé le 16 janvier, à l’occasion des vœux
au Corps diplomatique, ont soulevé une vive polémique à
Kinshasa. L’élite et la population congolaises souhaitent connaître
le sens que vous donnez aux trois expressions suivantes : « Cela met en
cause la place, la question de l’avenir du Rwanda avec lequel la France
a repris son dialogue, pays à la démographie dynamique et à
la superficie petite. Cela pose la question de la République Démocratique
du Congo, pays à la superficie immense et à l’organisation
étrange des richesses frontalières » ; « Il faudra
bien qu’à un moment ou à un autre, il y ait un dialogue qui
ne soit pas simplement un dialogue conjoncturel mais un dialogue structurel
» ; « Comment, dans cette région du monde, on partage l’espace,
on partage les richesses ».

Réponse : La France a toujours été, et elle restera
toujours un allié fidèle de la RDC. Elle l’a été
au long des années de la transition ; elle l’a été
chaque fois que l’unité du Congo a été menacée.
Elle cherche à aider le Congo à sortir de l’instabilité,
à retrouver la paix et la stabilité. Je constate une chose : aujourd’hui,
en dépit de tous les efforts accomplis, la paix ne s’est pas encore
imposée au Congo et dans la région. Et les victimes, ce sont toujours
les civils innocents des provinces orientales du Congo. Ces souffrances doivent
cesser. Tous les Congolais ont droit à la paix et à la stabilité.
La RDC a besoin de se développer – à l’Est comme dans
toutes les provinces du pays –, de faire fructifier les richesses qui lui
appartiennent, de prendre son avenir en main plutôt que de subir des guerres
injustes et injustifiables. Le temps est venu de tourner la page de ces quinze
dernières années. Alors je m’interroge : faut-il faire plus
? Faut-il faire mieux ? Faut-il faire autrement ? Les polémiques n’ont
pas lieu d’être et les procès qui nous sont faits sont sans
fondement. Je voudrais souligner quelques idées simples. Il y a des principes
sacrés : la souveraineté de la RDC, le respect de son intégrité
territoriale, l’intangibilité de ses frontières. La France
s’est toujours battue pour ces principes. Ce n’est pas avec moi que
cela changera. Il y aussi une évidence : la RDC, c’est le cœur-même
de l’Afrique, autour duquel le continent s’articule. Ses richesses
potentielles sont immenses et pourtant, les Congolais n’en profitent pas,
ou pas assez. Je suis désolé de vous le dire, mais quelque chose
ne tourne pas rond ! Ma conviction, c’est que le retour de la paix doit
s’accompagner d’un dialogue de fond. Regardez ce que nous avons fait
en Europe : nous avons surmonté nos déchirures et nos divisions,
surmonté les blessures si profondes de trois guerres entre la France
et l’Allemagne en particulier, pour construire, à partir de projets
concrets et dans le strict respect des Nations qui la composent, une Europe
de paix et de prospérité. Bien sûr cela nous a pris du temps.
Mais cela nous a permis la reconstruction ; cela nous a apporté une prospérité
sans égal et l’essor de nos économies ; cela nous a apporté
aussi la stabilité et la paix. Alors, au nom de quoi les pays autour
des Grands Lacs seraient-ils condamnés à la répétition
des guerres et au malheur ? Ne peuvent-ils surmonter cette fatalité que,
pour ma part, je refuse ? Je veux croire en l’avenir. L’intérêt
des Congolais et des pays de la région, c’est de susciter des projets
qui fédèrent plutôt que subir des appétits qui divisent,
de couper à leur racine les causes de la rivalité, de la désunion
et du malheur. Des institutions existent déjà, comme la Communauté
Economique des Pays des Grands Lacs. Alors il faudrait la revivifier, et peut-être
même aller plus loin. C’est dans cet esprit que je voudrais lancer
quelques idées : les pays de la région, de l’Angola au Burundi,
et pourquoi pas à la Tanzanie aussi, pourraient travailler ensemble,
comme nous l’avons fait en Europe, pour structurer leurs marchés,
organiser des filières agricoles, commerciales et industrielles, introduire
davantage de transparence et de règles, développer les ressources
énergétiques y compris par des micro-projets, assurer la sécurité
alimentaire et sanitaire, faciliter l’accès à l’eau
potable, protéger le patrimoine naturel, bâtir des infrastructures
régionales pour créer de nouvelles opportunités et multiplier
les débouchés. Il y a tant de richesses à créer
ou à mettre en valeur. Cela suppose de la confiance et ce dialogue structuré
auquel j’ai fait référence. Cela suppose aussi la coopération,
qui interdit la prédation ou l’exploitation. Et je souhaite insister
sur ce point. Le Président Kabila a dit que les décisions doivent
être prises à Kinshasa, et nulle part ailleurs. Il a raison ! C’est
aux Congolais eux-mêmes de trouver des solutions. C’est vrai aussi
à l’échelle de toute la région : c’est aux Etats
et aux populations de discuter, et disons-le, de coopérer pour régler
les problèmes et retrouver de la confiance. La confiance, c’est
fondamental. La paix ne peut jamais être imposée de l’extérieur.

Question 2 : Les Congolais ont l’impression que vous cherchez à
vous rapprocher du Rwanda, sur le dos de la RDC, tout en prenant des distances
avec vos prédécesseurs qui ont décidé l’opération
Turquoise en 1994. Qu’y répondez-vous?

Réponse : Dois-je vous rappeler que vous êtes le premier
pays francophone du monde ? La France sera toujours aux côtés des
Congolais. La RDC tient une place toute particulière dans le cœur
des Français. Mais je ne peux pas encourager la RDC à dialoguer
avec ses voisins sans que la France le fasse aussi ! Vous avez tout de même
noté que je me suis d’abord rapproché du Président
Dos Santos et que j’ai noué un partenariat stratégique avec
l’Angola sur les questions africaines. Et comment pourrais-je aider les
Congolais si je m’abstiens de parler au Président du Rwanda ? Ces
polémiques n’ont aucun sens. La France restera toujours fidèle
en amitié. Et la France choisira toujours la voie du dialogue pour faire
progresser la cause de la paix.

Question 3 : Principale victime de l’opération Turquoise,
la RDC n’est-elle pas en droit d’espérer un dédommagement
de Paris ?

Réponse : Il faut regarder la vérité en face. Il
faut reconnaître que les événements innommables de 1994
ont eu de lourdes conséquences pour la RDC. La crise qui frappe l’Est
du Congo depuis des années a des racines historiques. C’est évident.
Mais il faut dire aussi que ni la France, ni la communauté internationale
n’ont été les instigateurs de l’arrivée des réfugiés
hutus rwandais sur le sol congolais. Ces réfugiés ont fui leur
pays et traversé la frontière de leur propre initiative. La France
a pris le risque d’intervenir quand personne ne bougeait. L’opération
Turquoise, je le rappelle, a été conduite sous mandat des Nations-Unies.
La France dans cette affaire n’a pas agi seule. Elle a agi au nom de la
communauté internationale toute entière. Elle a sauvé des
vies humaines en 1994, comme elle l’a fait à Bunia plus tard avec
l’Opération Artémis dont tant de Congolais se souviennent.
La France n’a pas à rougir de ce qu’elle a fait. Mais, s’il
vous plaît, tournons-nous vers l’avenir.

Question 4 : Votre discours semble signifier que la France a abandonné
les intérêts de la Francophonie au profit des intérêts
du monde anglo-saxon. L’opinion congolaise attendait en effet une position
française favorable à la RDC et se demande désormais si
la France participe au démembrement de la RDC. Quel jeu joue exactement
la France dans les Grands Lacs ?

Réponse : Mais pourquoi me parlez-vous de démembrement
? Qui a dit cela ? Ai-je jamais dit une telle chose, si contraire aux positions
constantes de la France ? Je l’ai dit, et je le répète :
la souveraineté de la RDC et l’intangibilité de ses frontières
sont des principes sacrés. Si un pays continuera de se battre pour garantir
leur plein respect, ce sera bien la France. Je veux que la RDC retrouve en Afrique
toute la place qui lui revient. Cela veut dire un Congo fort, uni, debout et
prospère dans une région stable et apaisée. Un Congo qui
se développe du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Ne
nous voilons pas la face : cela demandera d’autant plus d’efforts
et de détermination que la RDC est frappée par la crise économique,
comme le reste du monde. Il n’y a qu’une solution possible : il faut
se retrousser les manches, il faut investir dans l’avenir. Et, excusez-moi
de le dire mais c’est une évidence, le Congo a tout à gagner,
aussi, à tisser des liens fructueux avec ses voisins, de l’Atlantique
à l’océan Indien. C’est valable partout ailleurs, alors
pourquoi pas au cœur de l’Afrique !

Question 5 : Lors du sommet de La Baule, le Président François
Mitterrand avait posé entre autres comme préalable à l’aide
française au développement des pays africains, la démocratie,
la bonne gouvernance et le respect des Droits de l’Homme. A vos yeux, la
RDC satisfait-elle à cette conditionnalité?

Réponse : La RDC est une jeune démocratie. Peu de processus
électoraux en Afrique, ou ailleurs, sont aussi exemplaires que l’a
été celui de 2006. Il a coûté 450 millions de dollars
à la communauté internationale. Bien sûr, il y a encore
de nombreux défis à relever : lutter contre la corruption, structurer
l’armée, la police, la justice, décentraliser une partie
des moyens. Beaucoup de chemin reste à parcourir. C’est justement
parce que la France souhaite vous accompagner que je viendrai vous rendre visite
très prochainement.

Question 6 : L’un de vos prédécesseurs avait déclaré
que pour l’Afrique la démocratie est un luxe. A ce jour, partagez-vous
cette opinion ?

Réponse : De nombreux dirigeants africains avaient dit la même
chose avant lui mais ce n’est pas le débat. Ma réponse est
non ; la démocratie n’est pas un luxe, c’est au contraire une
nécessité. Je ne suis pas de ceux qui opposent, un peu naïvement,
démocratie et développement. Cela n’a aucun sens. Je ne crois
pas non plus à une quelconque exception africaine. Je suis également
choqué que certains responsables politiques africains puissent présenter
l’exigence démocratique comme une simple conditionnalité
imposée par des partenaires étrangers. Les Africains, comme tous
les autres peuples, veulent élire leurs représentants. L’aspiration
à la démocratie et au respect des droits de l’homme a été
au cœur des luttes pour l’indépendance. La démocratie
est aussi une des conditions de l’amélioration de la gouvernance.
Elle reste la meilleure garante de l’existence de contre-pouvoirs et de
la capacité des administrés à demander aux gouvernants
des comptes de leur gestion. Je ne dis pas pour autant que l’instauration
de la démocratie est facile, ni qu’elle suffit à régler
tous les problèmes.

Question 7 : La RD Congo est à ce jour le premier pays francophone
au monde. Pour quelles raisons la France paraît-elle le négliger,
notamment en ce qui concerne les facilités nécessaires à
son épanouissement culturel ainsi que dans le domaine de la recherche
?

Réponse : La Francophonie, parlons-en. Elle nous appartient à
tous et n’est pas la propriété de la France. Savez-vous qu’il
y a quelques semaines, le Congo a dépassé la France comme premier
pays francophone du monde ? Et dans quelques années, vous serez loin
devant ! Nos relations doivent être à la hauteur de ce que nous
partageons. La France ne néglige pas la RDC en ce domaine. Nous partageons
la même conviction : la culture est l’école de la libre expression,
de la libre pensée, c’est un pilier de la démocratie. Votre
pays est connu pour sa créativité culturelle et son dynamisme
artistique. A Kinshasa, comme à Lubumbashi, les centres culturels français
sont des lieux d’expression privilégiés des milieux culturels
congolais. Au début de cette année, nous avons lancé un
nouveau programme Francophonie en RDC. Il permettra de relancer l’enseignement
du français à Kinshasa, à Lubumbashi, à Kisangani.
Je vous annonce que nous allons aussi appuyer le développement du réseau
des Alliances françaises tout particulièrement celles de Béni,
Bunia, Goma, Bukavu, Uvira. C’est un vrai choix stratégique. L’éducation
est la clé de l’avenir. Il y a d’autres projets, mais j’aurai
l’occasion d’en parler lors de ma visite.

Question 8 : Quel pourrait-être l’apport de la France dans
le redressement économique de la RDC en cette période de crise
financière ?

Réponse : Il n’y aura pas de redressement sans paix durable.
A ce titre, la France veut continuer à accompagner la RDC sur le chemin
de la paix. Ensuite, il faut un véritable plan de reconstruction concerté
du pays. Pour cela, il faut de grands moyens. La France ne peut pas jouer ce
rôle toute seule. Alors je réfléchis à la manière
de consulter nos grands partenaires pour que nous puissions tous ensemble aider
la RDC à se reconstruire. Et puis il faudra attirer davantage d’investissements
privés. C’est pour moi un enjeu central. La France veut là
aussi jouer tout son rôle. J’aborderai ces sujets lors de ma visite.

Question 9 : Dans le cadre de son aide à la RDC, que choisirait
la France entre les priorités suivantes : créer des emplois pour
venir en aide aux populations démunies, doter le pays d’une armée
dissuasive, lutter contre la destruction très avancée de l’environnement
?

Réponse : Aucune : il faut aider la RDC dans tous ces domaines,
et d’autres encore ! La question n’est pas de choisir une priorité
au détriment d’une autre ; la question, c’est d’être
le plus efficace possible. Je ne ménagerai aucun effort pour convaincre
tous les partenaires internationaux de s’engager avec moi aux côtés
des Congolais. Mais au final, le destin du Congo est dans les mains des Congolais.
L’avenir leur appartient. Et je sais qu’ils peuvent faire de grandes
choses. Interview accordée à Jacques Kimpozo Mayala (Le Phare),
Freddy Mulumba (Le Potentiel), Denis Lubindi (L’Avenir), Luc-Roger Mbala
(L’Observateur) et GND. (La Tempête des Tropiques)


Kinshasa, 16/02/2009 (Le Phare/MCN, via mediacongo.net)

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