26.02.09 Le Potentiel: CINQ QUESTIONS au Père Ekwa
1. Depuis quand êtes-vous actif dans le secteur de lenseignement?
Jai été nommé président du Bureau national de lenseignement
catholique en octobre 1960. Jai été à la tête de ce bureau pendant
quatorze ans. Ensuite, au niveau international, jai été nommé
secrétaire général de lOffice international de lenseignement
catholique, fonction que jai exercée pendant près de dix ans. Quand je
suis revenu au pays, on ma demandé de moccuper du Centre dactions
pour dirigeants et cadres des entreprises catholiques (CADICEC).
Lorsquil y a des problèmes importants dans le domaine de
lenseignement, sans doute à cause de mon expérience, on recourt
parfois à mon intervention. Cest ainsi que jai été président de la
Commission de léducation de la Conférence nationale souveraine (CNS)
de juillet 1991 à décembre 1992. Jai également été rapporteur des
Etats généraux de léducation. Aujourdhui, je nai plus de fonction
officielle dans le secteur de lenseignement, même si on continue à me
consulter.
2. Votre expérience en matière denseignement est
considérable. Pouvez-vous nous dire comment était organisé
lenseignement pendant les deux premières décennies postcoloniales ?
Au moment de lindépendance du pays, dans les régions du Katanga, du
Kasaï, de Léopoldville – qui comprenait lactuelle province du
Bandundu, le Bas-Congo et Kinshasa, il ny avait même plus assez
despace pour implanter une école! Il y avait des établissements
partout, mais cétait essentiellement des écoles primaires. A travers
le pays, sur une population de 15 millions dhabitants, 1 800 000
jeunes fréquentaient lécole. Parmi eux, 829 étaient étudiants dans les
deux Universités congolaises de lépoque, celle de Lubumbashi et celle
de Kinshasa. La majorité des parents de ces jeunes scolarisés du niveau
primaire à lenseignement supérieur à lépoque coloniale, étaient des
illettrés. Cette organisation scolaire venue de létranger suscitait
chez les parents des réactions contradictoires. Les uns reprochaient à
lécole daliéner les mentalités, les autres disaient que cétait une
bonne chose, Aujourdhui, plus personne ne conteste limportance de
lécole comme outil de développement.
3. Quels changements avez-vous introduit, lorsque vous avez pris les choses en main ?
Effectivement, il y a eu des changements! Du temps de la
colonisation, il ny avait pas de médecins, pas de juristes, pas
dingénieurs dorigine africaine… Lors de lIndépendance, en tout et
pour tout, nous avions sur lensemble du pays 129 étudiants, qui
étaient encore sur le banc de lécole ! Nous, Africains, avions rompu
avec notre système traditionnel déducation pour accepter lEcole.
Après la période de lindépendance, les choses ont complètement changé.
Jusquen 1960, on enseignait un programme scolaire de type belge appelé
« programme métropolitain «. Les élèves congolais étudiaient la
géographie, lhistoire … des pays européens. Le programme était
solide, mais lorsque les enfants quittaient lécole pour rentrer dans
leurs milieux de vie, il ny avait rien de commun entre ce que lécole
leur avait appris et ce quils rencontraient. A partir de 1961, nous
avons complètement refondu le système éducatif avec un nouveau
programme : étude du milieu, des auteurs africains … en gardant bien
sûr une formation générale. Nous avons aussi implanté des écoles
secondaires un peu partout dans le pays. Dans les années 1960-1970, le
Congo était parmi les premières nations africaines à avoir un programme
scolaire bien cousu. Beaucoup de pays venaient voir comment
fonctionnait notre enseignement et envoyaient leurs étudiants se former
dans nos Universités, Ce système de léducation a façonné une
génération de jeunes gens dun niveau tout à fait comparable à celui
des autres pays du monde où lenseignement est développé…
4. A votre époque, lenseignement était-il gratuit pour les élèves?
La grève des enseignants était une chose impensable durant toute ma
jeunesse, de lécole primaire jusquà lUniversité. LEtat
subventionnait les écoles et, en 1960, tout lenseignement était
supporté essentiellement par le gouvernement. Cétait le système de
lenseignement national. AI époque, 26 à 30 % du budget national était
consacré à lenseignement, pour 1 % seulement aujourdhui. Avant même
que les subventions de lEtat narrivent, les écoles appartenaient aux
missions qui, soit obtenaient laide de « bienfaiteurs «, soit les
autofinançaient par le jardinage, lélevage, etc. Nos parents nont
jamais payé lenseignement, pour la simple raison que si on leur avait
demandé de le faire, ça ne les aurait pas beaucoup tenté. Ils ne
voyaient pas à quoi servait lécole. A mon époque, personne na jamais
acheté un livre, ni un cahier. On mangeait même trois fois par jour à
linternat. Lenseignement était gratuit pour les familles. Quand je
dis» gratuit», je ne veux pas dire que lenseignement ne nécessite pas
dargent ! Non, il faut que quelquun paye.
5. Qui payait alors?
Cétait, dune part, le gouvernement qui donnait une subvention et,
dautre part, les missions qui trouvaient elles-mêmes une partie des
fonds pour faire fonctionner les établissements. Elles avaient la
responsabilité dassurer la bonne marche de leurs écoles. Le système a
commencé à séteindre à partir du moment où lEtat a voulu contrôler
tout le système éducatif. On a introduit la notion d» écoles
conventionnées «. Cela signifie que tout le système éducatif est entre
les mains de lEtat et, par convention, les autres intervenants ne font
quassurer certains fonctionnements, sans assumer toutes les
responsabilités.
Tirées de Regards sur Kinshasa
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