11.03.09 Le Potentiel : Cinq questions à Serge Bile

1. Vous attendiez la première visite du pape Benoît XVI en Afrique pour sortir votre livre?

Non. J’ai rencontré Ignace Audifac lors d’une conférence à Rome début 2005. Nous partagions la même idée: écrire sur les trois papes africains de l’Histoire, Victor 1er (189­199), Miltiades (311-314), tous deux d’origine nord-africaine, et Gélase 1er (492-496), né à Rome de parents africains, alors que l’on commençait à évoquer l’idée d’un pape noir pour succéder à Jean-Paul II. Il m’a présenté quelqu’un qui nous a remis le télégramme envoyé par l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Saint­Siège, sir d’Arcy Osborne, au commandement des forces alliées en 1944. Ce courrier demandait, sur requête de Pie XII, qu’aucun soldat noir ne soit déployé à Rome pour la libération. Cela nous a donné envie d’enquêter sur le racisme au Vatican à travers les siècles, ainsi que sur la vie des religieux africains dans la capitale italienne.

2. On doit néanmoins à Pie XII la nomination du Béninois Bernardin Gantin à la tête de l’évêché de Cotonou, fai­sant de lui le premier Noir à diriger, à 34 ans, un diocèse dans toute l’Afrique de l’Ouest…

C’est vrai. Mais cette nomination fut une réponse à la protestation d’un groupe de séminaristes antillais et africains, faisant leurs études à Rome, qui ont publié en 1956 un livre retentissant, Les prêtres noirs s’interrogent, pour dénoncer le manque de considération du Vatican à leur égard. En fait, Pie XII a toujours eu une attitude ambiguë. Quand il était nonce apostolique en Allemagne, il s’est associé à la campagne internationale de dénigrement, orchestrée par les nazis, de soldats noirs de l’armée française accusés d’être des violeurs et de répandre la syphilis. Ce n’est pas le seul pape à avoir eu des positions critiquables. Pie XI n’a lui, rien trouvé à redire aux lois raciales adoptées par Mussolini contre les Noirs en Italie et a fait marche arrière, après avoir dénoncé les exactions de l’armée italienne en Éthiopie, de peur de s’attirer les foudres du Duce.

3. Vous écrivez «l’Église est humaine jusque dans la curie». La hiérarchie serait donc elle aussi minée par le racisme ordinaire?

Ce n’est pas moi qui le dis. C’est l’ancien secrétaire de Gantin, l’évêque béninois Paul Vieira. Voir un Noir gravir les échelons est difficilement accepté en Italie. Gantin, comme l’évê­que zaïrois Emery Kabongo, secrétaire particulier de Jean-Paul II, ont subi l’hostilité de prélats et citoyens européens qui n’ont aucune considération pour les ecclésiastiques africains ou asiatiques. Certains ont reçu des insultes, des courriers xénophobes et ont même été agressés par des inconnus, comme Kabongo, dans un passé récent. Gantin avait confié que les prélats africains devaient en faire deux fois plus pour être reconnus.

4. Autre révélation de votre ouvrage: il y aurait une centaine de prêtres africains« clochards» à Rome…

Ces prêtres, qui viennent compléter leur formation dans la capitale romaine, sont envoyés par leurs évêques avec une bourse qui suffit à peine pour payer leur nourriture et leur loyer. Ils sont amenés à faire des petits boulots, comme célébrer des messes dans les familles au détriment de leurs cours. Si bien que certains ne parviennent pas à finir leurs études et restent sans pouvoir renouveler leur carte de séjour.

5. Une cinquantaine de sœurs seraient également «en délicatesse avec leur vocation »…

Le sujet est tabou. Nous avons eu un mal fou à trouver des personnes qui ont bien voulu nous parler. Mais il y a effectivement des religieuses noires qui exercent le plus vieux métier du monde pour 50 ou 100 euros auprès d’hommes d’affaires mais aussi de prêtres blancs ou noirs. Cela pose le problème de la vocation. Beaucoup de filles entrent dans les ordres en Afrique pour échapper à la misère. Arrivées en Italie, elles se retrouvent souvent sans moyens, corvéables à merci. Elles ne résistent pas toujours aux avances d’un prêtre ou d’un évêque. Le Vatican n’est bien évidemment pas complice. Mais, dans certains cas, les autorités ferment les yeux. Il y a une filière congolaise que l’on peut difficilement ne pas connaître à Rome…

Tirées de Jeune Afrique, n°2512, du 1er au 7 mars 2009

Auteur du livre « Et si Dieu n’aimait pas les Noirs ».

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