04.04.09 Le Potentiel : Cinq questions à Eugène Diomi Ndongala

 

1. Vous n’avez cessé de dénoncer les incohérences de la
politique de l’Exécutif congolais par rapport à la gestion du conflit
au Kivu. Comment jugez-vous l’accord de paix qui vient d’être signé à
Goma entre le gouvernement et le CNDP ?

La politique au Congo-Kinshasa souffre d’une maladie chronique : il
s’agit d’un syndrome pernicieux qui mine depuis des décennies les
fondations de l’Etat congolais. Il se caractérise par un mépris que ses
dirigeants manifestent envers un Etat de droit, dans toutes ses
manifestations ; particulièrement en ce qui concerne le respect de la
Loi fondamentale de ce pays, sur laquelle est bâti tout l’appareil
étatique et qui garantit les libertés fondamentales des citoyens.

J’ai eu l’occasion de lire et analyser dans les détails cet
accord. A mon avis, certains points de cet accord portent les germes de
violations graves de l’ordre constitutionnel en vigueur en RDC. En
particulier, le projet de mise en place d’une police dite de «
proximité » – point 5.2 de l’Accord et, avant elle, la constitution «
d’unités de Police dites spéciales » point 5.5 – représentent des
aspects (de l’Accord) particulièrement inquiétants.
En effet, l’érection de branches de police ayant manifestement une
connotation « ethnique » et « politique » est clairement en
contradiction avec l’article 183 de la Constitution qui prescrit, en
revanche, le caractère « apolitique et national » du corps de police
républicain de la RDC, un principe qui n’accepte pas de dérogations.
La paix ne peut avoir comme prix le démantèlement de l’Etat de droit.
Ce n’est pas surprenant que même le médiateur international, Olusegun
Obasanjo, qui a supervisé cet accord en tant qu’envoyé spécial du Sg de
l’Onu, puisse affirmer dans un discours tenu à Londres, le 18 mars 2009
à la London School of Economics and Political Science, ceci : « Dans ma
longue carrière politique, je n’ai jamais rencontré un gouvernement et
une armée si faibles comme ceux de la RDC », fin de citation.

C’est suicidaire pour l’Exécutif congolais de miner l’Etat
de droit pour accepter passivement les revendications d’un mouvement
insurrectionnel qui a comme objectif évident l’affaiblissement du Congo
en tant qu’Etat unitaire. La légalité constitutionnelle n’est pas
négociable.

2. Comment jugez-vous la capacité de réaction du gouvernement Muzito face à la crise qui frappe la RDC de plein fouet ?

La mondialisation de l’économie, surtout dans ses excès de libre
marché dérégulé, a donné lieu à un phénomène global, la «
mondialisation de pauvreté ». La RDC est frappée par la crise mondiale
surtout à cause de la forte dépendance de notre économie de
l’exportation des matières premières, une faiblesse que j’appelle la «
malédiction de l’économie de comptoir ». Celle-ci frappe notre pays
depuis sa fondation en tant qu’Etat indépendant. Néanmoins, le
caractère global de la crise actuelle ne doit pas être utilisé comme
excuse ou écran de fumée pour cacher l’inefficacité de la politique
macro-économique actuelle. Rien n’est fait pour atténuer l’impact de la
crise économique sur les entreprises. Rien n’est fait pour atténuer les
effets désastreux de l’inflation sur les couches les plus défavorisées
de notre population. D’autant plus que le gouvernement en place semble
encore totalement indécis sur la direction à donner à l’économie du
pays surtout en ce qui concerne le doute hamlétique qui le frappe
depuis deux ans : « contrat chinois » ou bien « programme d’annulation
de la dette avec le FMI et la Banque mondiale ».

Cette indécision a un prix et celui qui paie la note est le
peuple congolais qui n’a bénéficié d’aucune infrastructure sérieuse,
fruit de l’accord avec le consortium d’entreprises chinoises – qui ont,
elles, en revanche, déjà bénéficié de l’attribution de concessions
minières. En même temps, les rares ressources nécessaires aux besoins
de base de la population se volatilisent dans le paiement de la dette
de la RDC.

La majorité au pouvoir semble oublier qu’après trois ans de
gestion chaotique et infructueuse du gouvernement, elle n’aura aucun
bilan positif à présenter aux Congolais, à part celui de la gabegie
financière dominante dans tous les secteurs de la vie nationale, des
parachutes dorés payés à l’élite politique au pouvoir et aux proches de
la majorité placés dans les entreprises publiques presque toutes au
bord de la faillite…

3. Les frontières de la RDC sont de plus en plus
menacées par ses voisins. Mais pourquoi cette multiplication des
conflits frontaliers?

« Africanus africani lupus », pourrait-on dire, en paraphrasant un
proverbe latin. La RDC est entourée de prédateurs qui profitent de la
faiblesse actuelle de l’Etat congolais. Mais il est de la
responsabilité du leadership congolais de travailler immédiatement pour
doter le pays d’un appareil défensif efficace et de gérer au mieux les
intérêts de l’Etat congolais. Récemment, le Financial Times a publié un
article où des chercheurs américains font une analyse sans pitié de
faiblesses de l’Etat congolais et leur jugement est sans ménagement :
ils arrivent à la conclusion que l’Etat congolais est une fiction et
qu’il n’existe pas…

Il est possible de mettre en exergue les faiblesses de
l’actuelle gouvernance du Congo, mais il est impossible – même à ces
chercheurs « négationnistes anglo-saxons » – de nier une donnée de fond
: le peuple congolais existe bel et bien. L’affaiblissement de l’Etat
congolais est dû à la mauvaise gestion des intérêts du peuple
congolais, à la mauvaise gestion de nos richesses et l’oubli de nos
vraies potentialités. Les Congolais les plus avertis savent que leur
pays est menacé mais il est encore possible de refonder un appareil
étatique fonctionnel et efficace…
Regardons ce qui se passe au sein des institutions représentatives
nationales : les fondations de la démocratie sont écrasées par les
violations systématiques de l’Etat de droit. Les principes de la
séparation des pouvoirs, de la responsabilité politique de l’Exécutif
face au Législatif, du contrôle ne sont respectés et les sanctions face
aux dysfonctionnements évidents de l’Exécutif ne sont jamais prises,
rendant chaque jour plus avancée l’entropie d’un Etat congolais à
l’abandon.

4. Qu’est-ce que vous en déduisez ?

Le temps de la jouissance du pouvoir est révolu. Sans un «
aggiornamento » immédiat de son programme politique, l’actuelle
majorité risque de disparaître – comme l’affaire Kamerhe l’a bien
prouvé – et d’emporter avec elle ce qui reste de la démocratie
post-électorale et de sacrifier l’unité du Congo sur l’autel de sa
passivité irresponsable.

5. Par quoi conclure ?

Cela doit interpeller le chef de l’Exécutif mais aussi et surtout
le chef de l’Etat, à qui incombe, constitutionnellement, la sauvegarde
de l’unité nationale.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARCEL L.

Président de Démocratie chrétienne

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Potentiel 2005

Usage strictement personnel.
L'utilisateur
du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits
d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.