10.05.09 Le Soir: LA SOLITUDE… JUSQUAU POUVOIR PERSONNEL ? par BRAECKMAN,COLETTE
Un homme seul aussi,
déçu par son entourage, par certains de ses ministres, déçu par le
manque de compréhension ou de soutien dune « communauté internationale
» qui na pas tenu les promesses avancées durant la transition. Cette
solitude lucide est, sans aucun doute, lincontournable compagne de
lexercice du pouvoir. Mais il nempêche quelle est mauvaise
conseillère, car lorsque lair se raréfie au sommet, elle diminue
dautant la place laissée aux contre-pouvoirs, aux suggestions voire
aux critiques. Cest pour cela peut-être que des mesures sont prises à
lencontre de RFI, que des journalistes se sentent menacés, que le «
cabinet présidentiel » prend de plus en plus le pas sur le
gouvernement, que les forces de sécurité ont souvent la main lourde,
sinon meurtrière, que lAssemblée nationale a été sérieusement reprise
en main… Or la jeune démocratie congolaise est encore fragile, trois
décennies de dictature et une décennie de guerre ont laissé des traces
dans les mentalités et les comportements. Le président Kabila,
aujourdhui encore plus clairement quhier, sait où il va. Mais de
grâce, quil ny aille pas seul, suivant la piste dangereuse du pouvoir
personnel…
pendouillent un peu, la foule applaudit le cortège avec une sorte de
prudente circonspection, des femmes entourent la maison de lOnatra
(Office national des transports) et crient bien fort pour que le
président entende leurs récriminations : leau potable manque, la
source, seul lieu dapprovisionnement en eau potable, menace de se
tarir.
Après la capitale Kinshasa, cest ici, dans le Bas-Congo,
que le président Joseph Kabila vient donner le coup denvoi à plusieurs
des grands chantiers dinfrastructure. Ces chantiers sont mis en œuvre
par les grandes sociétés chinoises qui nont pas attendu le feu vert du
Fonds monétaire international (FMI) pour se mettre à louvrage,
répondant ainsi aux vœux du président qui se préoccupe déjà de
léchéance de 2011, quand il se représentera devant les électeurs.
Au sortir de la guerre à lEst qui, lan dernier, avait mobilisé toutes
les énergies, à mi-chemin de son mandat, à lheure où les grands
travaux démarrent enfin, le président Kabila a accordé au Soir une interview exclusive où il fait le point de ce qui a été réalisé et des défis qui demeurent.
En Europe, on simagine que les accords avec les Chinois sont encore
réversibles. Mais ici, dans le Bas-Congo, les travaux ont déjà commencé…
À
Kinshasa, à lEst, partout dans le pays, les travaux ont commencé.
Cest le début de la réalisation de nos efforts. Le chemin à faire est
encore très long, mais lessentiel est davoir commencé. Dici la fin
de cette année, on verra un vrai changement. Maintenant que nous sommes
un peu à laise – je dis bien : un tout petit peu –, on se met enfin au
travail. Jusquà présent, la situation à lEst nous avait toujours
bloqués, aussi bien du temps de mon père Laurent Désiré Kabila que du
mien. Labsence dune solution à lEst du pays, cétait le verrou qui
nous empêchait de faire autre chose… Ces problèmes ont absorbé beaucoup
dargent, defforts, dénergie. Les Congolais, tous autant quils sont,
sont très attachés à lunité nationale. Lorsquun problème se pose à
lEst, il a des répercussions dans tout le pays. Mais maintenant, cela
semble aller dans la bonne direction. Suis-je optimiste ? Oui, mais on
na pas encore atteint le point de non-retour, cela peut encore
basculer. Je crois tout de même quà 80 %, nous sommes sur la bonne
voie…
Tout
comme nous, les Rwandais se sont rendu compte quon ne pouvait plus
continuer comme cela, que la guerre, finalement, on ne la gagne jamais.
À lEst, que navons-nous pas perdu ? Des vies humaines ont été
sacrifiées, les populations ont souffert. Lorsque je suis allé là-bas,
jai vu la douleur des déplacés mais aussi lespoir dun prompt retour
à la normale. Il est évident quà lEst subsistent des forces qui
veulent saboter le processus, la paix nest pas souhaitée par tout le
monde… Mais ceux-là sont une minorité.
de rétablissement de la paix à lEst, qui sest cependant soldée par un
succès relatif, ne vous a pas valu beaucoup déloges en Occident…
Cest
cela la contradiction. Peut-être lOccident a-t-il été tellement
préoccupé par la crise économique et financière qui le frappait quil a
perdu de vue notre région… Mais ce qui compte pour nous, ce sont les
félicitations de notre population, et elles nont pas manqué durant la
longue tournée que jai effectuée à lEst.
intérieur, navez-vous pas été surpris par les déclarations du
président de lAssemblée nationale, Vital Kamerhe, qui sest dit
hostile à lopération militaire conjointe rwando-congolaise ?
Dans
un combat, il y a toujours un petit retard de compréhension… Au sein
dun mouvement, parmi les camarades, quand on lève des options
stratégiques, il peut y avoir des retards de compréhension, et aussi de
la mauvaise foi. Déçu, oui, sans doute, mais la déception, on vit avec.
Lessentiel, cest que nous ayons retrouvé la stabilité, que la paix
sannonce. Au cours de cette crise, nous étions sereins, je ne vois pas
comment la situation aurait pu nous échapper… À nous de renforcer les
actions sur le terrain et de livrer la vraie guerre, la lutte contre la
pauvreté… Car finalement, cest la pauvreté qui nous conduit à la
guerre et vice versa…
Je
préfère dire quil nous reste quatre ans… Quatre ans si on travaille 24
heures sur 24, ce que nous sommes en train de faire. Mais pour cela il
faut avoir des gens déterminés, dynamiques…
Pour
choisir quelquun, il faut avoir une bonne connaissance de la personne.
Et pour avoir cette connaissance, il faut travailler avec cette
personne… Je ne peux pas changer mes conseillers tous les trois mois,
il faut donner le temps aux gens… Depuis 2001, il y a eu beaucoup de
changements autour de moi. Pour transformer un pays comme le Congo, il
ne faut pas compter sur mille personnes, il faut avoir dix, quinze
personnes bien déterminées. Alors, avec elles, on peut transformer un
pays, une société. Et je métais effectivement demandé si javais ces
dix ou quinze personnes… Peut-être suis-je très exigeant…
Il
est clair pour moi que depuis 2001 et même depuis les élections en
2006, ces maux-là nont pas été suffisamment combattus. Si on travaille
24 heures 24, on a encore du temps pour le faire… Javais dailleurs
lancé un projet de lutte contre la corruption, en espérant quil serait
financé par beaucoup de ceux qui se disent nos amis, Banque mondiale,
le FMI, lOuest en général, mais je nai pas senti cet appui. Il ny a
eu que des discours… Mais bientôt, au niveau du cabinet du président,
il y aura un conseiller spécial en charge de la bonne gouvernance, de
la lutte contre la corruption. Sa nomination fera partie des
changements que je compte opérer dici le mois de juin. Je vais
chercher les 15 personnes quil me faut et les mettre à la bonne place.
Peut-être
se sont-ils rendu compte que je nétais pas aussi maniable quils le
croyaient, que je ne reçois dordres de personne, sauf de mon peuple.
Je ne veux exécuter que la volonté de notre population, qui souhaite la
paix, la reconstruction et le développement du pays, la stabilité.
Cette politique soppose peut-être aux intérêts de ceux qui pensent que
lon peut encore venir piller notre pays et conclure des contrats tels
que ceux que nous sommes en train de renégocier, une démarche qui
rencontre beaucoup de résistances. Alors, que faire ? Moi en tout cas
je ne peux plus reculer… Je ne peux quavancer. Et en cours de route,
nous trouvons de nouveaux amis, en essayant de garder les anciens.
Je
trouve que maintenant, ça va… Bientôt nous aurons à Bruxelles un nouvel
ambassadeur. Il a reçu comme mission de tout faire pour quil y ait une
amélioration des relations avec la Belgique. Le terrain a été dégagé…
La
reconstruction est un grand défi. Depuis 2001, jai déjà fait plusieurs
tournées à travers le pays, et je vous assure que reconstruire 100.000
km de routes, cela nest pas une mince affaire. Donner du travail à la
moitié de la population, cest beaucoup. Je me dis quon a déjà
commencé, que cela, cest essentiel. Que jobtienne ou non un deuxième
mandat, ce qui compte, cest continuer le travail…
Parlons un
peu de la « communauté internationale » dont la définition est
dailleurs assez embrouillée… Récemment, la Banque mondiale, le FMI
nous ont donné 300 millions de dollars pour faire face à la crise. Dans
le même temps, jai appris que la Roumanie avait, elle, reçu 12
milliards de dollars… Alors que nous, nous avons 65 millions
dhabitants ! En fait, je considère quon est seuls… Il ne sagit pas
seulement du Congo, tous les pays africains sont seuls, nous ne pouvons
compter que sur nous-mêmes… Cest ce qui explique pourquoi nous avons
décidé de travailler avec les Chinois, comme avec dautres pays
dailleurs. Nous avons avec les Chinois un rapport dégal à égal, «
gagnant-gagnant ». En ce qui concerne la communauté internationale, il
y a eu beaucoup plus de promesses que de réalités… En 2001, 2002, 2003,
javais multiplié les déplacements en Occident, ma politique était
celle de louverture. Mais finalement, au vu du peu de réalisations, de
partenariat véritable, jai freiné ce type de voyages, le tourisme ne
mintéresse pas. Si je veux faire du tourisme, ce sera au Congo. En
revanche, dautres partenaires sintéressent beaucoup au Congo, la
Chine bien sûr mais aussi la Corée du Sud, la Russie, le Brésil… La
stabilité qui revient à lEst va encourager les investissements.
Lorsque
vous êtes à la tête dun pays comme le Congo, vous vous demandez
toujours si cest le moment, ce qui va se passer si vous partez…
Lorsque je suis en tournée dans lintérieur du pays et que je prends le
volant, cela me “déstresse“. La vie que je mène est dure pour ma
famille. Quant à mon avenir, on verra. Je me dis souvent que mon
arrière-grand-père a été assassiné, mon grand-père aussi, mon père
également, comme vous le savez. On se pose toujours beaucoup de
questions…
A mi-parcours de son mandat, le président Joseph Kabila prend le temps de la réflexion dans un entretien exclusif au Soir.
« A Kinshasa, à lEst, partout dans le pays
les travaux ont commencé. Cest le début de la réalisation de nos
efforts, il y a encore un très long chemin à faire, mais lessentiel
est davoir commencé et dici la fin de cette année, on verra un vrai
changement. Maintenant que nous sommes un peu à laise, je dis bien un
tout petit peu, on se met enfin au travail. La reconstruction, est
notre priorité absolue : elle nous occupe chaque jour, 24 heures sur 24
».
Au volant de sa jeep quil conduit lui-même – « une bonne façon de déstresser », confesse-t-il –, le président congolais Joseph Kabila arpente le pays pour mieux prendre le pouls des populations.
Au sortir de la guerre à lEst qui, lan dernier, avait mobilisé toutes
les énergies, à mi-chemin de son mandat – la prochaine échéance
présidentielle est fixée à 2011 –, à lheure où les grands travaux
démarrent enfin pour la reconstruction du pays, le chef de lEtat a
accordé au « Soir » une interview exclusive où il fait le point de ce
qui a été réalisé et des défis qui demeurent. « En fait, je considère quon est seuls », déplore-t-il. « Pas
seulement le Congo, tous les pays africains sont seuls, nous ne pouvons
compter que sur nous-mêmes. Cest ce qui explique, par exemple,
pourquoi nous avons décidé de travailler avec les Chinois. Nous avons
avec eux un rapport dégal à égal, gagnant-gagnant. Avec dautres, il y
a eu beaucoup plus de promesses que de réalités ».
Et la Belgique, avec laquelle la situation est en bonne voie de normalisation ? « Maintenant, ça va… Bientôt nous aurons à Bruxelles un nouvel ambassadeur. Le terrain a été dégagé ».