20.05.09 Le Potentiel : Cinq questions à Frederick Taylor (*)

 

1. Monsieur Taylor, après un livre sur les bombardements de
Dresde, vous vous consacrez dans votre dernier ouvrage au Mur de
Berlin. Qu’est-ce qui vous fascine autant dans l’histoire de
l’Allemagne?

Cela est lié d’une part à ma fascination pour la langue allemande. A
l’école nous avons lu, entre autres, Goethe, Schiller, Mann et Kafka.
D’autre part, je me passionne pour les contrastes que présente
l’histoire de l’Allemagne. Pendant des siècles, la société allemande
était très cultivée, a été un phare pour l’humanisme européen. Puis,
dans la première moitié du XXème siècle, elle a fait preuve d’une
brutalité effroyable. Comment cela a-t-il pu se faire? Je continue de
chercher une réponse à cette question.

2. Quand et comment, pour la première fois, avez-vous entendu parler du Mur de Berlin et où étiez-vous le 9 novembre 1989?

Le 13 août 1961, j’étais un garçon de 13 ans. La construction du Mur
a commencé ce jour-là. Je m’en souviens très bien car mon père avait eu
une crise cardiaque. Pour distraire les enfants, on avait allumé la
télévision; on y voyait des garde-frontières et des clôtures en
barbelés. Des amis partis en voyage nous avaient prêté leur appartement
à Londres. Il n’y avait pas de télévision: elle était tombée en panne
et était chez le réparateur. Ce n’est que le lendemain matin, en
ouvrant le journal, que j’ai appris la chute du Mur. Cette nouvelle m’a
évidemment beaucoup réjoui. Mais j’étais aussi très triste de ne pas
avoir pu suivre cet événement en direct à la télévision.

3. Au cours de votre travail d’historien vous avez également fait des recher­ches en RDA. Comment avez-vous perçu ce pays?

Le travail était très pénible – pas uniquement à cause des
difficultés à tout simplement obtenir un visa. Les employés aux
archives centrales de Potsdam et Merse­burg étaient corrects mais
froids. Par contre, les ouvriers des usines chimiques de Leuna
parlaient ouvertement. Ils évoquaient les problèmes rencontrés avec le
personnel de direction communiste. Contrairement aux employés des
archives, ils ne donnaient pas l’impression de craindre d’avoir des
problèmes pour parler avec une personne de l’Ouest. En RDA, je me
sentais très mal à l’aise, j’étais comme claustrophobe. De retour à
l’Ouest, j’avais l’impression de pouvoir respirer librement.

4. Vous êtes venu régulièrement en Allemagne. Vingt ans après la chute du Mur, Berlin, l’Allemagne, se sont-elles ressoudées?

Pas tout à fait. La tache de la réunification est sans aucun doute
plus difficile que ne l’avaient imaginé la plupart des observateurs en
1989. L’économie dirigée en RDA a causé de grandes différences entre
les deux parties de l’Allemagne. Des régions telles que la Thuringe ou
la Saxe qui, 100 ans auparavant, faisaient partie des régions d’Europe
les plus riches et les plus innovatrices, ont perdu une grande partie
de leur élite, partie à l’Ouest après 1945. Il faudra encore du temps
et beaucoup d’efforts pour achever la réunification. Si l’Allemagne
surmonte bien la crise économique actuelle et continue à soutenir les
habitants des nouveaux Lander, les nouvelles générations qui ont grandi
sans le Mur se ressouderont véritablement. La capitale allemande est un
autre cas. Sans aucun doute, Berlin est redevenue une seule ville,
passionnante, bon marché que l’on cite sur le même plan que Londres ou
Paris. Pour les jeunes du monde entier, Berlin est une ville
particulièrement attrayante.

5. La révolution pacifique de la RDA est­elle un exemple pour d’autres pays ?

Un fait est sûr: les dirigeants communistes des années 1980
n’étaient pas prêts à sacrifier leur propre population pour se
maintenir au pouvoir. Cela aurait peut-être été complètement différent
avec leurs prédécesseurs de l’ère stalinienne. La détermination et le
talent politique des mouvements de la RDA en faveur des droits civiques
sont absolument remarquables. Ils sont un exemple éclatant de
l’humanisme allemand que j’ai évoqué au début. Mais la révolution
pacifique est­elle un exemple pour le monde? Je n’en suis pas si sûr.
Tout simplement parce que, dans d’autres régions, les dirigeants on t
moins de scrupules et que l’opposition est moins disciplinée.

Tirées de Deutschland, Avril et Mai 2009

(*) Ecrivain, spécialiste britannique de l’Allemagne.

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