22/05/09 RFI / Entretien: Un périple en kayak « au coeur des ténèbres »

RFI : Marc Hoogsteyns, pour quelles raisons avez-vous
décidé de descendre cette rivière en démarrant du Kasaï oriental pour rejoindre
Kinshasa ?

Marc
Hoogsteyns : L’année passée, j’ai reçu une petite bourse pour faire une
étude journalistique sur la déforestation et les changements climatiques au
Congo et dans la région des grands lacs. C’est là que j’ai commencé à voyager
dans les régions au Congo, surtout la région du lac Tumba dans la province
équatoriale, la province de Bandundu. Je me suis rendu compte à cette occasion
qu’au Congo, il y a des milliers et des milliers de gens qui vivent là, dont
personne ne parle, en absence des organisations humanitaires.

RFI : Justement, dans quelles conditions vivent ces
populations ? Est-ce que vous pouvez nous décrire les endroits où vous
passez et où on imagine que peu de monde passe ?

MH :
La population n’est pas en train de vivre, la population est en train de
survivre parce que depuis quelques années, toute activité économique s’est
arrêtée. La population est livrée à elle-même sur le plan médical aussi bien
que sur le plan social. Parfois, les gens doivent marcher trois ou quatre cents
kilomètres pour arriver dans un dispensaire ou un hôpital. Pour beaucoup de
petites maladies comme par exemple la variole du singe ou la malaria, ou même
une fracture ouverte d’une jambe, il n‘y a pas de solution. Les gens meurent
quand ils ont ça. A l’intérieur du pays, il n’y a plus de lois. Je vous donne
un exemple : dans une ville comme Dekesse, un homme qui viole une femme,
il ne sera jamais puni pour la simple raison qu’il n’y a pas de juge, il n’y a
plus de police, il n’y a plus de prison, il n’y a plus rien. Donc les gens
peuvent faire ce qu’ils veulent.

Pour
survivre, il y a beaucoup de braconnage parce que les gens doivent se munir de
protéines pour survivre. Avec les quelques armes de guerre qui circulent dans
la région, ils vont tuer les éléphants, les buffles, les singes, et ils
survivent comme ça. Et là-dessus, il n’y a pas de contrôle non plus. Le
problème du braconnage, c’est un très grand problème. Les forêts, on peut dire
qu’elles sont relativement intactes dans la plupart du bassin du fleuve du
Congo et les autres rivières à côté. Mais la forêt est en train de se vider de
tous les animaux qui vivent dedans et ça aussi, c’est grave.

RFI : Comment ça se passe quand vous arrivez ? Vous
pagayez toute la journée et ensuite vous essayez de repérer un village sur la
rive pour vous arrêtez ?

MH :
J’ai pagayé 1 300 kilomètres, 50 à 60 kilomètres par jour, c’est-à-dire 8 à 10
heures par jour. J’essaye de trouver ou bien un bivouac de pêcheurs où l’on
peut dormir, ou bien on accoste dans un petit village. Les gens sont très
hospitaliers, ils sont très ouverts, ils sont très gentils mais la population
est très surprise de me voir arriver parce que, dans ces villages là, ils n’ont
plus vu de Blancs depuis 20 ou 30 ans. Ca m’est arrivé que tout le village a
fui parce qu’ils étaient tellement surpris de voir un Blanc qu’ils croyaient
que j’étais un fantôme.

RFI : Et alors de quoi vivent les gens en règle
générale ? Quelles sont leurs activités ?

MH :
Il y a la pêche et le braconnage et les quelques fruits qu’ils trouvent en
forêt. Ils cultivent aussi un tout petit peu de manioc et un tout petit peu de
maïs juste pour leur propre usage.

RFI : Dans tous ces villages, les enfants par exemple ne
vont pas à l’école. Il n’y a pas d’administration, il n’y a rien du tout ?

MH :
Il n’y a rien du tout, il n’y a pas d’administration. Les écoles fonctionnent à
peine. Il y a des jeunes qui essaient d’encadrer un tout petit peu les enfants
mais ils n’ont pas été formés pour faire cela. Donc là aussi, il y a une autre
catastrophe qui se prépare c’est-à-dire qu’il y aura toute une génération de
Congolais qui ne sera pas en mesure dans quelques années de reprendre les
choses en main dans les petits villages, à deux cents kilomètres de toutes ces
grandes villes, là où la population vit vraiment isolée. La plupart d’entre eux
n’ont même pas voté. Ils ne savent ce que c’est que les élections. Encore une
fois, ce sont des gens qui sont vraiment engagés dans la lutte de survie de
tous les jours.

RFI : Vous avez l’impression de faire un saut un siècle,
voire deux, en arrière ?

MH :
Oui, si vous avez lu le livre de Joseph Conrad « Au cœur des ténèbres »,
maintenant ce livre est en train de se réécrire au 21e siècle au
Congo. Il y a des milliers de gens qui n’ont pas de moyens de communiquer avec
le monde extérieur. Ils ne savent vraiment pas ce qui se passe dans le reste du
pays. Il n’y a pas de téléphone, pas de courant, il n’y a pas de route (toutes
les routes sont recouvertes par la brousse). Et le seul moyen pour communiquer
avec le monde extérieur, c’est la rivière. Mais par la rivière, ça leur prend
des journées entières pour atterrir dans la prochaine ville.

RFI : Que vous disent les villageois quand vous les
rencontrez ? Est-ce qu’ils se sentent abandonnés?

MH :
Ils se sentent complètement abandonnés par leurs propres dirigeants pour
commencer et ils se sentent abandonnés par la communauté internationale qui ne
parle jamais d’eux et qui ne veut même pas entendre parler de leurs problèmes.
Ils nous ont demandé presque dans chaque village où l’on est passé, de faire
passer ce message au monde extérieur et de raconter aux autres ce que l’on a vu
ici pour essayer de trouver de l’aide. Il y a des milliers de gens qui vivent à
l‘intérieur du Congo et ils sont oubliés par tout le monde. C’est vraiment
grave de voir par exemple mourir des enfants dans les villages, des enfants qui
sont déshydratés, des enfants qui ont la variole, des enfants qui ont la
malaria et ces gens n’ont même pas de l’aspirine, ou des médicaments pour traiter
ces maladies-là. Il y a une mortalité énorme des nourrissons, il y a beaucoup
de bébés qui meurent avant l’âge d’un an. Et encore une fois, il n’y a personne
qui en parle.

Propos recueillis par Gislaine Dupont

 

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