02.06.09 AEM: Nana Lukezo : « J’arrête la musique chrétienne (…) Il y a trop d’hypocrisie dans les églises »

AFRIQU’ECHOS MAGAZINE (AEM):Vos impressions après ce concert « SOS Kivu » au profit de Médecins Sans Frontières ?

NANA LUKEZO (NL) : Je
suis déçue, vraiment déçue : pour une salle qui peut contenir 600
personnes, nous n’avons pas eu 200 personnes, cela me désole. Que
voulez-vous, nous n’avons pas assez d’amour-propre, encore moins de
solidarité et pourtant il s’agit de Congolais qui ont besoin de notre
soutien.

AEM : À qui la faute pour cette faible mobilisation ?

NL : Je ne parlerais pas
de faute, car en parlant de faute, il faut un coupable ou un fautif,
mais je parlerais plus de manque de charité de la part des Congolais
vis-à-vis de leurs frères et sœurs.
Je parlerais aussi de l’hypocrisie des pasteurs de Bruxelles qui ne
pensent, qu’à conforter leurs prérogatives dans les assemblées. Pour ma
part, je me suis investie personnellement dans la promotion de ce
concert, nous avons parlé aux chrétiens dans les églises, mais il n’y a
pas eu de retour, pourquoi voulez vous que dans l’avenir, je sois
disponible pour les églises ? Comme je l’ai dit les Congolais sont plus
préoccupés par autre chose. Ce qui me déçoit au plus haut point c’est
l’hypocrisie dans l’église et l’indifférence aux problèmes qui touchent
notre pays. Je ne parle pas de politique, nous avons l’opportunité, en
étant en Europe, aux États-Unis, de faire bouger les choses, mais non,
nous nous contentons de nos églises, des quatre murs qui nous entourent
et tant pis si, juste à côté, il y a quelqu’un dans le besoin, nous
fermons les yeux ! Où sont nos oeuvres qui pourraient avoir de l’impact
sur notre entourage ?

AEM : On vous sent amère vis-à-vis des chrétiens congolais ?

NL : Non, je ne suis pas
amère, chacun fait ce qu’il veut. Mais au regard de ce qui se passe
ailleurs, le Congolais est indifférent sur la situation qui prévaut
dans son pays. Où sont passés ces groupes de pression qui prétendent
parler au nom des Congolais qui sont agressés ? C’est bien de dire
qu’il ne doit pas y avoir des concerts parce que le pays est agressé,
mais quand il y a des activités par rapport aux populations en
détresse, nous ne voyons pas ceux-là. Je vois comment les autres
peuples perpétuent la mémoire, nous voyons comment les Rwandais
commémorent, chaque année, ce qu’ils appelent «  le génocide des Tutsi »…
Nous entendons parler du génocide du peuple arménien, des
commémorations des rafles des Juifs durant la seconde guerre mondiale,
ce sont ces peuples qui se lèvent pour faire reconnaître ces désastres.
Pendant ce temps, nous n’entendons jamais parler de crime contre
l’humanité en ce qui concerne la traite des Noirs, or cela est un crime
contre l’humanité. Ce n’est pas aux bourreaux de rendre cette justice,
mais aux victimes de la revendiquer. Au Congo, il y a eu 5.000.000 de
morts, personne n’en parle, ce n’est pas normal ! Voilà sur quoi, je
suis amère. Quant aux églises, j’ai pris une décision lourde de
conséquence : je ne chanterai plus dans les églises, ni même dans ma
propre église, je vais plutôt me lancer dans ce combat de Don Quichotte
« SOS KIVU ». Il faut que l’on reconnaisse
l’épuration ethnique qui se commet impunément dans cette région de la
RDC. Où sont les intellectuels congolais ?

AEM : C’est dur ce que vous dites là ?

NL : J’assume. Il faut
bien que des Congolais s’illustrent dans autre chose que dans la
bêtise, n’est-ce pas ? Il faut que le Congolais comprenne que le Congo
n’aura sont salut que par les Congolais.

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Je déplore l’hypocrisie des pasteurs de Bruxelles qui ne pensent qu’à renforcer leurs positions au sein de leurs églises

  »

AEM : Pour parler des églises de
Bruxelles, ne pensez vous pas que ne plus chanter pour le Seigneur est
une décision grave ? En même temps, vous allez priver ceux qui
apprécient votre musique de quelque chose ?

NL : Ceux qui m’apprécient, je ne les ai pas vus le 16 mai au concert « SOS KIVU ».
Je pense que je donne beaucoup en tant qu’artiste et en retour nous
souhaitons que le public soit non seulement réceptif, mais soutienne
aussi des actions du type « SOS KIVU ». Et cela n’a
rien à avoir avec le Seigneur, Dieu c’est dans le coeur. J’en suis
arrivée à la conclusion que l’artiste Nana Lukezo a fait son temps,
qu’il est temps de passer à autre chose ; je vais donc m’investir comme
bénévole pour MSF en ce qui concerne le Kivu. Je vais continuer à
chanter probablement, mais plus pour les églises congolaises. Je suis
sûre que le Seigneur ne va pas m’abandonner pour cela, je reste
chrétienne et je vais propager l’évangile dans mes chansons et
continuer « SOS KIVU ». L’église a les quatre murs
pour prier, mais n’a pas assez de cœur pour aller au-delà de ces murs.
Je veux aller au-delà de ces murs avec la Parole de Dieu. L’église
c’est d’abord le cœur. La vraie religion c’est celle du cœur, visiter
les malades, pratiquer la charité, subvenir aux besoins de la veuve et
de l’orphelin… voilà ce que nous recommande la Bible.

AEM : Donc, on ne vous verra plus
animer les campagnes, conférences, séminaires… vous ne craignez pas
d’être boycottée par les églises ?

NL : Non, nous en avons
fait énormément mais les gens ne changent pas, cela ne contribue pas à
l’essor spirituel du chrétien. Boycottée, je le suis déjà, je ne vois
pas en quoi cela va changer, vous savez entre nous, cela va me donner
du temps pour m’occuper de ma famille. Le nombre de festivals, de
séminaires, de conférences, de campagnes que j’anime chaque année… Je
serai disponible pour autre chose, ainsi je pourrais explorer de
nouveaux horizons. La carrière d’artiste a des multiples débouchés,
n’est ce pas ? Il n’y pas que l’église, vous avez des exemples dans
notre musique.

«  

Où sont passés ces groupes de pression qui appellent au boycott de concerts des orchestres congolais ?

  »

AEM : Quid des engagements pris avant le 16 mai ?

NL : Ce n’est pas grave,
nous allons annuler toutes les activités sur Bruxelles et nous n’allons
plus accepter d’autres engagements, je suis désolée pour cela, mais
c’est ma décision. Cela va me permettre de prendre du recul par rapport
à la musique chrétienne et mon investissement dans cette musique au
niveau de Bruxelles. Pour le reste, je verrai bien. Je ne peux pas non
plus arrêter la musique comme ça, je vais me lancer dans d’autres
projets financièrement intéressants et pas forcément chrétiens.

AEM : Un exemple de ce genre de projets ?

NL : Il y a une chose qui nous tient à cœur, mon mari et moi, c’est « Que Tous Ceux Qui Respirent Louent L’Éternel »
un projet auquel je vais associer mes collègues de la musique de
variétés congolaises et autres afin de louer l’Éternel, il faut que
l’on arrête cette hypocrisie de musique du « monde » et musique
« chrétienne ». Il n’y a pas cette différence dans la Bible, je pense
que je vais plutôt faire cela, aussi répondre favorablement aux
nombreuses invitations pour des concerts de musique des variétés que je
reçois. Je ne suis ,peut- être, pas assez bonne artiste pour l’église.
L’objectif pour moi c’est de sensibiliser sur cette situation dans les
KIVU où il y a eu plus de 5.000.000 de morts mais dont personne ne
parle. Maintenant ce que vont penser les uns et les autres, Dieu seul
sait.|Serge Tungila(AEM)

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