03.06.09 Le Potentiel : Cinq questions à Sanou Mbaye

 

1.Vous êtes auteur du livre intitulé : L’Afrique au
secours de l’Afrique. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire cet
ouvrage?

J’écris très souvent des chroniques économiques pour différents
titres de la presse. Depuis deux ou trois ans bientôt, plusieurs
intellectuels africains, qui se sont identifiés à moi à travers mes
écrits, m’ont proposé d’écrire un essai pour relancer le débat sur le
développement en Afrique. Parce que, m’ont-ils dit, il n’y a plus de
débats intellectuels et idéologiques ; il n’y a que des discussions
politiques. Par ailleurs, ma famille m’a demandé d’écrire un livre de
ce type pour honorer la mémoire d’un de mes fils qui était un
panafricaniste. J’ai donc décidé d’écrire ce bouquin dans lequel, je
reprends les idées que j’ai déjà exprimées dans des chroniques.
L’objectif est de dépasser la politique politicienne, les débats creux,
et parler vraiment des causes structurelles de la pauvreté en Afrique.

2. Vous distinguez deux types de causes structurelles de la pauvreté en Afrique…

Il y a des causes internes, c’est-à-dire celles qui viennent des
Africains eux-mêmes, de leur conception du pouvoir, des complexes
qu’ils nourrissent. Nous avons un problème d’absence de foi en
l’avenir, de foi en soi à cause des pesanteurs de l’histoire…. La
deuxième cause structurelle est plus physique, et est liée aux
politiques de développement erronées imposées par les institutions
internationales, au dévoiement de l’aide au développement qui est une
industrie, à la fuite des capitaux, des cerveaux, etc. J’ai exposé ces
deux causes pour que nous puissions en parler. Parce que, autant les
causes extérieures sont connues, autant les causes internes sont moins
évoquées.

3. Vous appelez ces causes internes la capacité d’auto-nuisance des Africains….

Oui, une capacité d’auto-nuisance qui se traduit par un rejet de
l’apparence physique qui va jusqu’au blanchissement de la peau, un
reniement des origines, le mimétisme et la soumission. Les Africains
doivent se bâtir une identité et celle-ci ne doit pas être fractionnée,
fondée sur des ethnies. Elle doit être panafricaine. L’élection de
Barack Obama doit nous montrer qu’il n’y a rien de négatif à être Noir
et Africain. Quand on a foi en soi et en l’avenir, quand on a dépassé
les complexes d’infériorité et qu’on a les capacités intellectuelles,
rien n’est impossible. Les Africains doivent retrouver la confiance en
eux-mêmes. Nous avons tout pour réussir, nous avons les ressources
naturelles, les ressources humaines, financières… et les gens ne s’en
rendent pas compte. On focalise notre attention sur l’immigration
clandestine, mais personne ne parle des 23.000 universitaires et 50.000
cadres qui quittent le continent tous les ans. Le comble, c’est qu’on
nous demande, en plus, de dépenser des milliards de dollars pour
recruter des assistants techniques.

4. D’après vous, l’Afrique ne doit pas, non plus, être constamment stigmatisée. Pourquoi ?

Les Etats africains existent depuis à peine 50 ans. Malgré des
budgets étriqués, un environnement économique impropre au développement
nous avons pu former des cadres que l’Occident nous débauche
aujourd’hui. Malgré la ponction des capitaux instaurée par l’occident,
des capitaux supérieurs à l’endettement de l’Afrique ; et la fuite des
cerveaux à laquelle on assiste aujourd’hui. L’Afrique fait des progrès.
On ne peut pas demander à l’Afrique de réaliser en cinquante ans ce que
d’autres Etats ont mis 200 ans à construire. Nous devons parler des
tares du continent, mais nous devons aussi considérer les autres
aspects positifs qui permettent d’espérer. Nous ne mettrons pas 200 ans
pour bâtir une nouvelle Afrique.

5.Le monde traverse aujourd’hui, une grave crise, d’abord
financière puis économique. Alors que toutes les régions s’activent
pour y faire face, on reproche à l’Afrique une certaine nonchalance.
Partagez-vous ce point de vue?

Je me suis fait l’avocat de la participation de l’Union africaine
(UA) au G-20 de Washington en novembre dernier. L’objectif de ce sommet
était de réfléchir à un nouveau système financier international. Mais
en y réfléchissant, je me suis rendu compte que, même si les pays
industrialisés souscrivaient à cela, l’Afrique n’avait rien à proposer.
Normalement, le reflexe de la Banque africaine de développement (BAD),
qui a les moyens d’organiser des réunions internationales, aurait été
de demander, en partenariat avec l’Union africaine et la CEA, aux
ministres des Finances des Etats membres de proposer un plan de relance
économique. Et ce plan ne doit pas être inventé. Il doit juste être
basé sur les plans adoptés par les Occidentaux à savoir : premièrement,
la relance du crédit, c’est-à-dire mettre à la disposition des
populations de l’argent. Le micro-crédit peut être une voie.
Deuxièmement, il faut accroître le rôle de l’Etat dans l’économie à
travers la nationalisation de certaines sociétés. Les privations
imposées par la Banque mondiale aux pays africains ont plus bénéficié
aux firmes internationales. Aujourd’hui, les Africains doivent donner
une place plus importante à l’Etat parce que c’est ce que les
Occidentaux eux-mêmes font.

TIREES DE AFRIK.COM

Ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement et auteur du livre intitulé : L’Afrique au secours de l’Afrique.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.