19.06.09 Le Potentiel : Cinq questions à Ahmed Rashid

 

1. Le 26 avril, l’armée pakistanaise a lancé une vaste offensive contre les talibans. Est­elle capable de les éradiquer?

Pour la première fois, trois éléments majeurs convergent pour
accréditer cette thèse: un consensus politique s’est établi selon
lequel les talibans doivent être battus; un retournement de l’opinion
qui, jusqu’ici, éprouvait, par antiaméricanisme, de la sympathie pour
eux est par ailleurs en cours; enfin, la position des militaires, qui
se rendent compte que les talibans constituent une menace majeure,
évolue: plus question de demi-mesures, comme par le passé, quand on
combattait les talibans tout en concluant des cessez-le-feu avec eux!
Nous avons donc une politique beaucoup plus complète et cohérente de la
part de tous les acteurs de la scène publique. Mais nous n’avons
toujours pas la bonne stratégie. La question qui se pose désormais est
la suivante: le gouvernement va-t-il axer toute sa stratégie sur une
victoire militaire, ou va-t-il en même temps convaincre la population
de rester de son côté et tenter de regagner politiquement les
territoires perdus?

2. Les attentats suicides quasi quotidiens constituent-ils un aveu de faiblesse?

Ce n’est pas un signe de faiblesse. Les talibans mènent depuis
quatre ou cinq ans une campagne d’attentats-sui­cides. Nous constatons
une escalade de ces attaques, qui deviennent de plus en plus
sophistiquées et s’étendent à l’ensemble du pays. Elles ne touchent pas
seulement la Province de la frontière du Nord-Ouest (PFNO), mais
d’autres régions et des grandes villes çomme Lahore et Karachi. S’y
ajoutent des assassinats de responsables politiques, de parlementaires
et de membres de leurs familles. Tout cela va largement entamer la
confiance de la population dans son gouvernement et miner sa
crédibilité. Les talibans mènent donc une campagne planifiée.

3. Ont-ils commis une erreur stratégique en prenant pour
cible des militaires, alors que ces derniers se sont, dans le passé,
montrés pour le moins indulgents à leur égard – quand ils ne
coopéraient pas avec eux?

Ce n’est pas nouveau: ils ont tou­jours pris les militaires pour
cible même s’il y a eu des périodes de ces­sez-le-feu. Mais depuis six
mois à un an, viser l’armée fait justement par­tie de leur stratégie,
qui consiste àdémoraliser tous les représentants de l’État: les
militaires, la police, les ser­vices secrets, l’administration. Ils ont
ainsi l’impression que plus personne ne pourra s’opposer à eux.

4. Les talibans sont-ils organisés autour d’un commandement unique?

Les talibans pakistanais, les tali­bans afghans et Al-Qaïda
travaillent ensemble à un niveau stratégique. Certes, leurs objectifs
ne sont pas les mêmes: les premiers veulent conquérir le Pakistan, les
seconds reconquérir l’Afghanistan, et AI-Qaïda veut continuer
d’utiliser les uns et les autres pour étendre les territoires sous leur
contrôle afin d’y entraîner des djihadistes venus du monde entier.
Chacun a noué ses propres alliances. Les talibans pakistanais, par
exemple, rassemblent une quarantaine de groupes qui ont combattu les
uns au Cachemire, les autres en Afghanistan ou en Asie centrale,
d’autres à l’intérieur du Pakistan. Il en va de même pour les Afghans.
C’est une situation très compliquée. Mais il est clair que tous ces
groupes collaborent très étroitement.

5. Barack Obama affirme que l’armée pakistanaise a enfin
pris conscien­ce que la plus grande menace à laquelle le pays est
confronté n’est pas l’Inde mais les talibans. Est-ce réellement le cas?

Les talibans n’ont pas les moyens de s’emparer du pouvoir, mais ils
peuvent paralyser le pays, et c’est d’ailleurs ce qu’ils essaient de
faire. Ils veulent créer le chaos pour que l’économie et le
gouvernement s’effondrent. C’est le plus grand danger que court le
Pakistan. Pendant de longues années, hélas! l’establishment
poli­tico-militaire a refusé de l’admettre. Pour la première fois, il
semble avoir pris conscience que l’Inde n’est plus la menace numéro un.

TIREES DE JEUNE AFRIQUE N°2527, DU 14 AU 20 JUIN 2009

Essayiste et journaliste pakistanais, spécialiste du Mouvement Taliban

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