23.07.09 Le Potentiel: Cinq questions à Onuorah Jonikul Obodozie, par St. Augustin Kinienzi

1. Au moment où vous vous apprêtez à quitter la RDC, quelle image gardez-vous du Congo-Kinshasa ?

La première chose qui frappe pour ce pays, c’est sa fertilité. La
RDC est le seul pays au monde où on n’a pas besoin de fertilisants pour
avoir des récoltes. Les produits agricoles et les fruits n’ont pas de
saison. En RDC, on plante et récolte sans problème. Alors que pour
certains pays, les fruits sont saisonniers et pour avoir des récoltes,
on recourt aux climats artificiels avec la technique de la « maison
verte ». Diplomate, j’ai travaillé dans sept pays, mais ce que j’ai vu
au Congo est simplement prodigieux. Mais aussi le peuple congolais a de
la chance d’avoir pour leader le président Kabila. Car le programme
chinois initié par lui est une idée ingénieuse. Parce que si on avait
pris de l’argent cash, le facteur corruption, les commissions à tirer
ici et là, les matériaux sous-évalués entameraient la qualité des
travaux à réaliser. Mais le facteur troc enlève à ce programme tout
facteur de corruption. Et le peuple congolais verra seulement
construits les infrastructures, les édifices dont il a besoin. C’est le
développement visible, car le programme par troc est orienté vers la
satisfaction des besoins de la population

2. Quels sont les domaines de coopération RDC-Nigeria ?

En août 2005, nous avons inauguré la 1ère commission mixte
Nigeria-RDC. Et la première session s’était tenue à Abuja. La
délégation congolaise était conduite par M. Mbusa Nyamwisi, alors
ministre de la Coopération régionale. La session a ouvert plusieurs
secteurs de coopération. En matière d’énergie, le Nigeria a confirmé
l’octroi de 30.000 tonnes métriques de pétrole brut à la RDC, dans le
cadre de l’aide de gouvernement à gouvernement, en vue de ravitailler
la station de Muanda. Nous avons établi des liens aériens directs entre
le Nigeria et la RDC. C’est dans ce cadre que la compagnie Hewa Bora
Airways a commencé à effectuer deux vols par semaine. Mais depuis un
temps, Hewa Bora a suspendu ses vols pour on ne sait quel motif. Nous
avons aussi convenu d’envoyer en RDC des volontaires du Corps technique
d’aide (TAC) qui devraient travailler pendant deux ans. Ce corps sera
composé de médecins, infirmiers, ingénieurs, professeurs, architectes….
selon la demande de la RDC. Ils seront payés par le gouvernement
nigérian : une part de leur salaire sera payée au Nigeria en monnaie
locale et une autre leur sera octroyée en dollars ici à Kinshasa.
Dans le cadre de la coopération militaire, nous avons également prévu
de prendre en charge la formation de 5000 recrues congolaises devant
intégrer la police congolaise. Le Nigeria leur fournira le kit complet
pour la formation, la nourriture et l’argent de poche. La seule
condition posée est qu’une organisation internationale accepte de
prendre en charge le transport de ces recrues jusqu’au Nigeria et
garantir leur voyage retour à la fin de la formation. Le Nigeria est
aussi intéressé par l’électricité d’Inga dans le cadre de West Africa
Power Projet (WAPP). La ligne devrait entrer en Afrique de l’Ouest en
passant par le Cameroun. Il y a également de l’intérêt de prendre les
eaux de la rivière Ubangui pour renforcer le lac Tchad qui a perdu
environ 70% don son potentiel hydrographique. Renforcer le lac Tchad
n’est pas seulement important pour le Cameroun, le Nigeria, le Tchad et
le Niger. Sur le plan environnemental, ce lac constitue un point de
resourcement des oiseaux migrateurs qui partent de l’Europe pour le Sud
du continent après avoir franchi le désert du Sahel. Si ce lac tari,
ces oiseaux mourront dans leur voyage migratoire… .

3. En poste à Kinshasa depuis 2004, membre du CIAT,
victime du conflit armé ayant opposé la garde de Jean-Pierre Bemba aux
forces gouvernementales en mars 2007. Quel regard portez-vous sur le
processus électoral de la RDC ?

D’abord, aucune élection n’est parfaite au monde. Les humains
tendent vers la perfection, seul Dieu est parfait. Si vous voulez mon
avis, je vous dirai que les élections congolaises étaient propres. S’il
y a eu des imperfections, la prochaine fois on va améliorer. Je vous
dirai aussi que l’abbé Malumalu a été aussi très efficace dans son
travail.
Mais je me souviendrai toujours de l’accident dont j’ai été victime le
22 mars 2007. Deux bombes sont tombées dans ma chambre à coucher. Elles
ont atteint mes deux jambes et ma main droite. Le bataillon tunisien
est intervenu avec 5 heures de retard pour m’évacuer jusqu’à l’hôpital
de la Monuc, où mon état a été stabilisé. J’avais déjà perdu beaucoup
de sang. Du siège de la Monuc, je serai évacué par véhicule blindé vers
un autre hôpital spécialisé. Le 25 mars 2007, je serai évacué par
avion-ambulance de la Monuc pour l’Afrique du Sud où j’ai subi neuf
grandes chirurgies et trois dites de mineures. Puis, il a fallu un
temps assez long de rééducation d’abord sur fauteuil roulant, puis avec
deux béquilles, une par la suite, une canne ensuite et enfin plus rien.
(NDLR : au moment de cette interview, l’ambassadeur porte encore un
bandage sur son mollet droit, après deux ans d’hospitalisation). Après
l’hôpital, je suis allé en consultation à Abuja et, c’est seulement
après que j’ai regagné mon poste d’attache à Kinshasa.

4. Quelle est la position du Nigeria face au mandat
d’arrêt de la CPI lancé contre le président soudanais Omar el-Béchir en
dépit de l’opposition de l’Union Africaine ?

Le Nigeria, comme d’autres pays, est signataire de la Charte
africaine des droits de l’homme, il est aussi partie prenante de la
Charte des Nations unies des droits de l’homme. Lorsque ces droits sont
violés à travers le monde, nous le voyons à la télévision, nous le
lisons dans les journaux comme dans un film. Quand cela a eu lieu en
Bosnie et on a arrêté le président Milosevic, le Nigeria avait crié au
scandale, car cela constituait un précédent dangereux d’arrêter un
président démocratiquement élu. Mais la majorité a suivi ce processus
sans réagir. Et cela s’est rapproché, Charles Taylor élu
démocratiquement et hôte pendant quelque temps du gouvernement
nigérian, lui aussi a été emmené à La Haye. Et est survenue la question
du Darfour, du président Béchir. Le Nigeria est triste, car il se dit
que voilà une fois de plus un président africain est mis dans
l’embarras. Si on peut minimiser les zones de conflits, nos dirigeants
seront moins exposés à des menaces d’arrestation internationales. Pour
cette raison d’ailleurs, le Conseil de paix et sécurité de l’Union
Africaine doit être renforcé pour éviter tout piège qui guette nos
dirigeants.

5. L’idée des Etats-Unis d’Afrique a fait du chemin lors
du 13ème Sommet de l’Union Africaine à Syrte. Qu’en pense le
gouvernement nigérian ?

Pour réaliser les Etats-Unis d’Afrique, nous avons besoin des blocs
de construction sous-régionale forts et fonctionnant convenablement. La
première idée qui vient à l’esprit, c’est de partir des organisations
sous-régionales comme la SADC, la CEEAC, la CEDEAO, le Maghreb… Si ces
Blocs fonctionnent convenablement, construire les Etats-Unis d’Afrique
serait simplement question de faire la jonction de ces blocs de
construction sous-régionale.
L’exemple le plus frappant, c’est le fonctionnement de la CEDEAO où
nous avons un protocole sur la libre circulation des personnes et des
biens. Les citoyens des pays de la CEDEAO peuvent se déplacer dans cet
espace sans visa et ont 90 jours pour régulariser leur séjour sur le
pays d’accueil. Car on a mis sur pied un passeport CEDEAO, un chèque de
voyage appelé écho-chèque en Afrique de l’Ouest. Ceci pourrait se
transformer en monnaie unique de l’espace CEDEAO. A ces avancées, il
faut ajouter la mise en place de l’ECOMOG, une force d’interposition de
l’Afrique de l’Ouest à laquelle les pays membres contribuent sous
divers protocoles de défense. Je ne serai pas complet si je passe sous
silence la mise en place du parlement ouest-africain, le gazoduc en
phase de finition qui va relier tous les pays de la sous-région…. Sans
des blocs de construction sous-régionale qui peuvent travailler à
l’image de la CEDEAO, construire les Etats-Unis d’Afrique ne sera qu’un
rêve.