Kimya I et II : des crimes contre nos populations. Essai de relecture du rapport de Global Witness (JP Mbelu)

Dans Les 7 péchés d’Hugo Chavez, au chapitre 4 intitulé Comment sont-ils devenus si pauvres ?, Michel Collon pose cette question à ses congénères : « Pourquoi sommes-nous amnésiques ? ».
Sa réponse à cette question est plus que claire : « Zappant un
phénomène essentiel, notre éducation a fabriqué des amnésiques ». Et
quel est ce phénomène essentiel : « la richesse d’ici (en Occident) provient du vol gigantesque commis
là-bas

(au Sud du monde) ». Le rappel de ce phénomène essentiel implique, chez
lui, un engagement responsable, celui de la reconstitution de
l’histoire. A ce sujet, il note : « Il nous faut reconstituer une
Histoire que notre éducation a soigneusement occultée.
Une histoire qui n’a pas commencé avec le pétrole, mais quatre siècles
plus tôt ». De quoi cette histoire est-elle faite ? « Guerres,
esclavage et génocide ont ruiné les peuples d’Amérique, d’Afrique et
d’Asie, écrit Michel Collon. Ces peuples n’ont jamais été remboursés ou
dédommagés. Au contraire, on a profité de leur affaiblissement pour les piller davantage, et aujourd’hui encore, le pillage continue, mais
mieux dissimulé
 ». (M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’action, 2009, p.56. Nous soulignons)

 

Commencer un article sur la RD Congo en citant un livre  écrit
sur Hugo Chavez peut paraître mal indiqué. Mais à voir les choses de
plus prêt, les questions face auxquelles le Sud est en proie depuis
plus de quatre siècles sont, à quelque nuance près, les mêmes. Et la
question que Michel Collon pose à ses congénères peut être posée à ces
franges importantes de nos populations qui, surfant sur Internet,
semblent n’avoir aucun sens de l’occultation de notre histoire par
l’éducation reçue à l’école et à l’université, par le séjour
ensorcelant en Occident, par la pensée dominante et les médiamensonges
qui lui servent de relais.

En
effet, nous pouvons nous poser cette question : « Pourquoi sommes-nous
si amnésiques ? » Pourquoi oublions-nous si vite aujourd’hui ce qu’il y
a eu hier ? Il est possible que le mariage
entre la tradition orale et la tradition écrite n’ait pas encore eu
lieu dans le chef de franges importantes de nos populations. Elles
préfèrent le colportage, les bobards, les rumeurs, les lectures rapides
de petits commentaires faits sur Internet sur les discours des
« Maîtres du monde » à un travail exigeant d’une lecture posée des
sources inspirées de l’histoire du Sud en général et du Congo en
particulier.

La
saturation de l’espace public congolais par le pouvoir kabiliste,
l’autocensure des médias congolais et le trop peu d’attention accordée
aux choses de l’esprit participent de la falsification de notre
histoire et de l’occultation de la part importante qu’y prennent les
« Maîtres du monde » et les élites locales vassalisées. Prenons
l’exemple de Lambert Mende et de Joseph Kabila en relisant le dernier
rapport de Global Witness.

De prime abord, avouons que ce rapport de 115 pages (PDF) est,
dans une certaine mesure a-historique. S’il fait allusion aux autres
rapports rédigés par les experts de l’ONU sur le pillage des richesses
du Congo, il n’établit aucun lien entre ce qui se passe aujourd’hui
dans notre pays et la logique capitaliste millénaire qui le sous-tend.
Il décrit la contribution des multinationales dans la militarisation du
pillage de nos matières premières sans une remise en cause sérieuse du modus operandi classique des  cosmocrates.
Pour dire les choses simplement, c’est depuis plus de quatre siècles
que l’Occident capitaliste tue pour voler. Pour arriver à cette fin, il
recourt à l’instrumentalisation et/ou la vassalisation des élites locales.

 

1. Revenons à Joseph Kabila et Lambert Mende

 

 

Dans
sa livraison de ce jeudi (2 3 juillet 2009), le journal Le Potentiel
livre la réaction de Lambert Mende Omalanga, ministre de la
Communication et des Médias sur « un certain nombre de sujets
d’importance nationale » dont le rapport de Global Witness. Que dit
Lambert Mende ? «  Pour nous gouvernement, le rapport Global Witness
part sur des prémisses qui sont vraies. Car nous avons toujours dit que
la guerre congolaise est économique… Ce rapport vient confirmer toutes
les analyses que le gouvernement ne cesse de faire du fait que les
motivations de cette guerre sont celles de prédation ». 

A
la lecture de cette réponse, plusieurs questions viennent à l’esprit :
« Le ministre Mende a-t-il lu tout ce rapport ? Les analyses faites par
le gouvernement ont-ils servi dans la quête de la paix dans notre
pays ? Ont-elles été partagées avec nos populations ? Comment Mende
peut-il justifier la coopération entre le gouvernement congolais et les
criminels économiques agressant le Congo pour des motifs de prédation ?
Comment le gouvernement auquel participe Lambert Mende pourrait-il
justifier le combat mené contre l’ex-président de l’Assemblée nationale
ayant osé dire son étonnement face à cette coopération contre-nature ?
Pourquoi l’Assemblée nationale n’est-elle plus jamais revenue sur cette
question ?»

Si
les analyses du gouvernement avaient indiqué que les motifs de la
guerre d’agression menée à partir du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi
sont celles de la prédation, en 2004, Joseph Kabila, lui, était allé
plus loin en  qualifiant, dans une déclaration publique, d’aventure criminelle l’incursion des forces armées rwandaises sur le territoire congolais (Lire C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise,
Paris, Duboiris, 2009, p.162). Cependant, toutes ces analyses et
qualifications n’ont pas été suivies d’actions conséquentes. Les
différentes rencontres initiées pour que le Congo retrouve la paix sont
passées à côté de l’essentiel. Le rapport de Global Witness est clair
là-dessus quand il note : « Les différentes séries de pourparlers de
paix et de dialogues bilatéraux menés avec les gouvernements de la
région des Grands Lacs n’ont pas pris en compte cet aspect de manière
explicite. Aucune des deux principales initiatives lancées fin 2007 et
début 2008 – le communiqué de Nairobi de novembre 2007 et le Programme
Amani découlant de l’accord de Goma de janvier 2008– ne comportait
d’actions concrètes visant à mettre un terme à l’implication des
parties belligérantes dans le commerce des ressources naturelles. Cette
question a été soulevée lors de plusieurs discussions menées dans le
cadre du Programme Amani, et les parties ont toutes reconnu qu’il
fallait s’attaquer à ce problème, mais elles en sont restées à des
déclarations d’intention générales ». Quand Lambert Mende critique
Global Witness de se limiter à la dénonciation au lieu de mener des
actions de solidarité avec le Congo, cela étonne. Jusqu’à ce jour, en
dehors des « déclarations d’intention générales », le gouvernement
auquel participe Mende et que téléguide Joseph Kabila n’a jamais
intenté une action en justice contre le Rwanda pour ses « aventures
criminelles » à répétition au Congo. Au contraire, il nous a servi l’opération umoja wetu  qui peut être interprétée, à partir du rapport de Global Witness et de toutes les autres analystes de l’élite résistante
congolaise comme étant une entreprise criminelle créant l’unité entre
les réseaux mafieux du Rwanda, de l’Ouganda, du Burundi et du Congo
sous la supervision des acteurs pléniers, les multinationales
occidentales et certaines de leurs gouvernements. Cette unité dans la perpétuation du
crime contre nos populations civiles s’opère avec la participation
active de tous les hommes en uniforme : les FARDC, le CNDP, les FDLR
(les vrais et les faux), etc.

Ces
aventures criminelles à répétition réussissent en entretenant les jeux
de coulisse abusivement dénommés « secret d’état ». Tel est le cas de
l’intégration de Bosco Ntaganda dans l’armée congolaise. A ce sujet, le
rapport note : « Les ententes conclues en coulisse à l’approche des
événements de janvier 2009 ont également engendré certains
développements choquants : suite à un clivage interne au CNDP, Bosco
Ntaganda a remplacé Laurent Nkunda en tant que chef militaire et
annoncé que le CNDP se joindrait à l’armée congolaise pour combattre
les FDLR. Ntaganda est ainsi devenu de fait un interlocuteur clé lors
des tentatives de résolution du conflit, et ce, bien qu’il soit
recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre
commis en Ituri (Province Orientale) ». Répondant à l’aspect choquant
de l’intégration d’un criminel de guerre dans l’armée, Lambert Mende et
Joseph Kabila diront qu’ils privilégient la paix et la sécurité,
renvoyant ainsi la justice aux calendes grecques. Pour Global Witness,
ce fut un coup dur porté contre la justice. Il le souligne sans
ambages : «  Autre coup dur pour la quête de justice, des hautes
autorités congolaises, dont le Président Joseph Kabila en personne et
le ministre de l’Information Lambert Mende, ont fait savoir
publiquement qu’il était peu probable qu’elles remettent Ntaganda à la
CPI dans un avenir proche, préférant accorder la priorité « à la
sécurité et à la paix » plutôt qu’à la justice ». Cette façon de
procéder participe de toute une culture de l’impunité entretenue par
« les libérateurs du 17 mai 1997 » et même avant eux avec tout ce que
cela entraîne comme abus dans le piège infernal où nos populations sont
prises. Le rapport de Global Witnesse est encore très clair là-dessus.
« Cette position renforce, affirme-t-il, la culture d’impunité qui
règne en RDC, récompensant les auteurs de certaines des plus graves
atteintes aux droits de l’homme qui soient et en encourageant d’autres
à les imiter. Comme
le démontrent largement les événements qui se déroulent dans l’est de
la RDC depuis 1996, l’impunité a gravement compromis les efforts de
paix et contribué à prolonger le conflit, tout en privant les victimes
de la perspective que justice soit faite ou que leur préjudice soit
réparé.
En avril 2009, il a été signalé que Ntaganda devait
jouer un rôle clé dans de nouvelles opérations montées par les FARDC
contre les FDLR ». (Nous soulignons.)

Des
criminels de guerre qui coopèrent pour alimenter les entreprises
multinationales en matières premières stratégiques sont faussement
présentés comme étant en guerre les uns contre les autres. Le comble
est que tous font le commerce avec ou via les pays agresseurs.Le
rapport indique que « parmi les groupes armés qui profitent du commerce
avec ou via le Rwanda figurent non seulement ceux qui sont activement
soutenus par ce pays, notamment le CNDP, mais également les FDLR,
l’ennemi redoutable du Rwanda ». Quel bon ennemi redoutable ?

 

2. Les FDLR : un prétexte ; Kimya I et II : des crimes contre nos populations

 

Depuis
le début de la guerre d’agression dans notre pays en 1996, les morts se
comptent par millions dans le camp de nos populations. Il n’en est pas
de même dans ceux des FDLR et des autres forces dites négatives.

S’il
y a des acquis à mettre à l’actif du dernier rapport de Global Witness,
il y a le rappel du prétexte de la chasse aux FDLR. Ce prétexte sert
toutes les parties impliquées dans le pillage de nos ressources
naturelles. Et pourtant, sur terrain, il leur arrive de coopérer et de
feindre la guerre pour couvrir ce vol.

Les
FDLR (vrais ou faux) coopèrent avec les FARDC. Ces dernières ont
intégré les militaires du CNDP dans leurs rangs. Donc, le CNDP, ne
fût-ce qu’une partie des militaires issues de ses rangs, coopère avec
les FDLR. Tous font leur commerce avec ou en passant par
le Rwanda (avec ou sans la permission des autorités Rwandaises). Les
hauts responsables des FARDC jouissant de l’impunité auprès du
gouvernement central de Kinshasa sont parmi les grands bénéficiaires de cette aventure criminelle.

Au mois de janvier 2009, à travers l’opération umoja wetu tenue secrète jusqu’à
sa concrétisation, Joseph Kabila et son gouvernement ont participé, de
près ou de loin, à cette aventure criminelle. Menée en marge de toute
quête de justice juste, elle fait payer à nos populations le prix le
plus dur à travers des opérations organisées des massacres, viols,
vols, incendies des maisons et villages. Que ces opérations soient
dénommées épervier, umoja wetu, Kimya I, Kimya II ou machin, elles perpétuent les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et bien d’autres crimes imprescriptibles.
Bref, jusqu’à ce jour, au cœur de la tragédie congolaise, il y a des
tueurs tutsi, hutu et congolais téléguidés par des multinationales
sous-tendue par la pathologie rivilitaire de la concurrence niant toute humanité aux
filles et fils de nos populations. Si le rapport de Global Witness part
des prémisses vraies comme l’avoue Lambert Mende, les organisateurs des
opérations susmentionnées et ceux qui les défendent sont tous des
criminels passibles de peines de prison à perpétuité. Ils ont menti à
nos populations en organisant son extermination et en feignant de se
faire la guerre alors qu’ils sont tous, à des degrés divers, au service
du capitalisme du désastre. (A ce point nommé, nous ne partageons pas
certaines recommandations de Global Witness. Nous y reviendrons)

Comment
faire pour mettre ce réseau criminel hors d’état d’agir ?En attendant
l’avènement d’une justice juste, l’une des actions possibles est
d’alerter l’opinion publique du Sud et du Nord en
envoyant un rapport comme celui du Global Witness dans un maximum de
sites Internet du Nord et au Sud. L’envoyer aux organisations de la
Société Civile de la RD Congo pour qu’elles le traduisent en nos
langues vernaculaires et aident nos populations à le lire. Les églises
pourraient faire la même chose dans les communautés ecclésiales
vivantes de base et entreprendre des actions concrètes pour desserrer
l’étau…Les vampires ont peur de la lumière du soleil… (à suivre)

 

 

J.-P. Mbelu

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