Le seul chantier de la République (Serge Gontcho)
Il y a une dizaine de jours, sous le titre « On cherche
quinze hommes », josai des propositions téméraires, pour reprendre les
commentaires dun estimé chroniqueur de la vie politique congolaise : je
prônais la mise au ban de tous les fondateurs de tous les partis politiques et
la création dun nouveau avec pas moins de mille fondateurs. La raison de ce
coup de gueule : les fondateurs sont tous auteurs ou complices de crime
originel contre la démocratie, en consacrant dans les statuts de leurs partis
politiques leur pouvoir antidémocratique sur lassemblée, sur le congrès, sur
les militants. Nous sommes tous allés dans ces partis vaincus davance,
résignés, conscients que notre devenir politique dépendra de notre docilité ou
de notre flatterie aux pieds des fondateurs propriétaires.
Quest-ce que cela a à avoir avec le discours de Barak
Obama ? Ceci : le président américain a fustigé les chefs détat
africains qui, dans une unanimité qui ne se gène plus, font de la chirurgie juridique
sur les constitutions et les lois pour se maintenir indéfiniment au pouvoir.
Or, quelle différence entre le tripatouillage sur la constitution et le sabotage
des statuts des partis politiques, sinon seulement la proportion ? Les voleurs
de bœufs et les voleurs dœufs sont également voleurs. Ainsi, les dirigeants
des partis politiques qui ont commenté la pique faite à Mamadou Tandja du Niger
ou à Robert Mugabe du Zimbabwe nont dautre avantage sur ces derniers que de navoir pas été nommément
pointés du doigt. Pour le reste, ils sont tous pareils, des faussaires de la
démocratie.
Deuxième point fort du discours de Barak
Obama : la colonisation est passée depuis longtemps, et ne devrait
plus être tenue pour cause des malheurs actuels des Africains. A lire les
analyses politiques des Africains et des compatriotes congolais davant et
daprès le discours, cette pilule passe difficilement ; prescrite dans les
mêmes termes par Sarkozy ou quelque autre président européen moins
charismatique, elle aurait provoqué un virulent rejet. Pour ma part, je me
mettrai dans le camp de ceux qui soutiennent cette thèse à bout de bras, une
fois pour toutes, et sinterdisent la possibilité de revenir en arrière. Il
faut aller de lavant. On fera le devoir de mémoire le moment venu, mais pour
le moment, plomber le présent et lavenir à cause du passé ne peut nuire quà
nous -mêmes.
Cette halte faite, nous pouvons revenir sur le cours du
sujet lancé il y a dix jours dans notre article précédent.
maladie des
Si aucun fondateur
na encore réagi au débat qui les montre
du doigt, dautres, plus nombreux, étaient curieux de savoir par « quelle
magie un tel rêve pouvait devenir réalité ». Notamment, comment se libérer
effectivement, et pas seulement en paroles, de la tyrannie des
fondateurs ? Je leur répondrai par une autre question : comment se fait-il
que des gens intelligents, qui reconnaissent effectivement cette tyrannie, ne
mettent pas en œuvre leur intelligence pour se sortir et sortir la société de ces
conditions misérables ? Je crois quil est plus urgent de répondre à ma
question, car, si on pouvait comprendre ce qui empêche des gens si intelligents
dêtre pragmatiques et efficaces, on aura, du coup, résolu une multitude
dautres problèmes qui ont le même obstacle à la base.
En effet, sil est bon de poser des questions, il est aussi
sage de sinterdire de répondre à toutes, quand bien même on en aurait la
réponse. Les principes de la pédagogie enseignent que le savoir conquis est
plus productif que le savoir acquis. Le savoir conquis est obtenu de haute
lutte, souvent puisé dans lhomme intérieur par lhomme lui-même, par la
réflexion personnelle et la méditation. Cest ce savoir que Socrate poursuivait
par la maïeutique, cet art de poser à lhomme questions sur questions, pour
détruire ses savoirs superficiels et lamener à découvrir le savoir véritable
qui dort dans le plus profond de chacun de nous, dans notre inconscient ou
notre subconscient. Quand ce savoir latent, prisonnier des profondeurs de lâme,
remonte à la surface de notre conscience, nous avons le phénomène popularisé
sous le jargon de « prise de conscience », un phénomène qui
saccompagne toujours dune forte libération dénergie emprisonnée dans les
gangues de lignorance.
Ce détour par la psychologie et la philosophie, je le fais
pour fustiger une attitude négative que tout le monde peut constater dans nos
intellectuels, la maladie des questions oiseuses. Il semble, à nous observer
attentivement, nous les intellectuels congolais, que nous trouvons une sorte de
morbide délectation à poser des questions dont la finalité semble être de
démontrer limpossibilité de sortir le Congo de sa situation. Cette attitude peut
être un symptôme dune pathologie psychique. Nous sommes malades, sans le savoir,
dans notre être, car un être sain ne peut pas se délecter de son impuissance,
il ne peut pas se sentir fier et triomphateur après avoir raconté pendant une
heure les malheurs du Congo. LAbbé A.L. de mes connaissances appellerait cela
le « complexe dAdam », une attitude qui nous conditionne de sorte à
rejeter toujours la faute sur les autres, autrement dit, à projeter notre
propre ombre intérieure sur un bouc émissaire : « lEtat atalela biso
likambo oyo. »
Lintellectuel nest pas là pour poser des questions à
longueur de journée, mais de produire des réponses. Sinon, à quoi sert-il
davoir fait autant dannées détudes primaires, secondaires, universitaires et
même post universitaires ? La vérité est que, faute de produire ces
grandes lumières qui sont la marque des penseurs mûrs, les intellectuels
congolais recherchent plus ladmiration des auditeurs et des téléspectateurs de
la même manière que les catcheurs et les musiciens, de préférence en critiquant
les autres. Finalement, cest à des débats-spectacles et des pugilats quon a
droit dans les médias traditionnels et linternet, plutôt quà de vrais débats
dintellectuels. Si ce sont les dirigeants politiques qui sont défaillants, il
faut réfléchir aux moyens de les remplacer. Si cest le système qui ne répond
plus, il faut penser la révolution. Geindre namène que pitié ou mépris. Obama et
le peuple américain ont réussi leur dernière révolution au rythme de « Yes,
We can », et il a dit aux Africains : « Yes, you can ».
Changer lhomme, construire lhomme
A ceux qui nous demandent ce quil faut faire pour se
libérer de la tyrannie des fondateurs, nous disons ceci : quoi que lon
fasse, si au départ, on na pas compris que la fondation sur laquelle tout doit
sériger est lhomme, on construit sur le sable. Il y a des lois avec
lesquelles on ne triche pas : la profondeur et la solidité de la fondation
déterminent la hauteur de lédifice. Lu à lenvers, ce que je dis cest que
lédifice de la liberté et de la démocratie ne sest élevé que jusquà la limite
de notre mentalité. Aussi longtemps que nous serons cet homme daujourdhui, résigné,
attentiste, craintif, rien ny personne ne pourra quoi que ce soit pour nous. Aide-toi et le ciel taidera ; pleure-toi,
et le ciel te pleurera. Tout réside dans le changement de notre attitude,
et cela, nous seuls pouvons limpulser.
Je devine que cette réflexion suscite un certain malaise
parmi beaucoup de nos amis combattants pour un Congo nouveau. Plutôt que de
réagir à chaud en se défendant, réfléchissons plutôt à ceci : quand
lanimal intérieur tapi dans notre subconscient se sent découvert, il manifeste
une résistance qui va parfois jusquà la violence. Ce nest pas toujours de
cœur joie que lhomme se regarde dans un miroir. Mais jeter un voile pudique
sur notre boue intérieure ne nous guérit de rien au contraire, le mal
continuera son œuvre. Souvenons-nous de ce récit de la bible où la foule venue
accusée la femme auprès de Jésus pour adultère sest retirée, du plus jeune au
plus vieux, quand, fin psychologue, celui-ci les a renvoyés à contempler dans
leur propre cœur tout le mal quils projetaient sur la
« pécheresse. » La fureur que lon met à peindre le mal chez lautre
est souvent la révélation inconsciente du mal caché dans notre homme intérieur ;
tout psychologue ou psychanalyste avisé confirmera ces dires. Mandela est lun
de ces hommes qui ont su regarder le mal dans lautre sans verser dans la
haine, les injures et la rage aussi vengeresse quimpuissante.
En conclusion, nous réitérons notre appel à tous les hommes
de bonne volonté, qui comprennent quil nous faut un changement de système plus
que dhommes, à se mobiliser pour quune nouvelle manière de faire la politique
et de vivre la démocratie simpose à lactuelle. Nous prônons une démarche qui
consistera à commencer par le commencement. Lhomme doit se préoccuper dôter
dabord la poutre de son œil, alors il verra comment enlever la paille de lœil
du voisin. Ce disant, nous ne signons pas un chèque en blanc aux prédateurs
actuels. Tel doit être, croyons-nous, le premier chantier de tous les partis
politiques : lhomme. Tel est aussi, nous en sommes convaincus, le message
de Barak Obama aux Africains.
Serge Gontcho (g1000rdc@yahoo.fr)