20.08.09 Solidaire : « Si les Congolais n’avaient pas résisté, le Congo aurait déjà été démembré depuis longtemps » Interview de Colette Braeckman

Depuis de nombreuses années, Colette Braeckman suit de très près la situation au Congo pour le quotidien Le Soir. Elle écrit également dans des publications comme Le Monde Diplomatique. Colette
est une journaliste engagée. L’an dernier, quand l’ancien ministre des
Affaires étrangères Karel De Gucht s’est dirigé vers une rupture
diplomatique avec le Congo, il s’est heurté à la journaliste du Soir. À
deux reprises, il a estimé nécessaire de devoir réagir à ses articles
par des billets d’humeur. Plus tôt, il avait déjà déclaré qu’elle ne
pourrait plus jamais l’accompagner lors de ses voyages à l’étranger.
Cela n’a guère fait impression. C’est une dame très aimable mais bien
décidée que je rencontre et, manifestement, elle a choisi le camp du
peuple congolais.

Quand on lit la presse belge (en dehors du Soir),
on a l'impression que le Congo est un pays où se passent depuis de
longues années des événements horribles et, surtout, où tout reste
bloqué. Votre dernier livre a pourtant comme titre « Vers la deuxième
indépendance » ?  D'où vient votre optimisme ?

Colette Braeckman. Il découle de la réalité.
Je voyage plusieurs fois par an au Congo et je vois les choses que l'on
y construit. Lors de mes derniers passages, j'ai vu les chantiers des
boulevards à Kinshasa. La semaine passée, le chantier de la route de
Beni à Kisangani a démarré. On a commencé à installer la fibre optique
à partir de Matadi vers Kinshasa, c'est un bond formidable pour le
développement dans le secteur de la télécommunication… Quand on pense à
la situation au début de la guerre en 1998, en 1999 en 2001… Si j'avais
par exemple osé dire en 2001 que dans dix ans on verrait le retrait des
troupes étrangères, des élections, le début de la reconstruction des
routes et infrastructures, etc., les gens m'auraient déclarée folle. Le
Congo a connu et connaît toujours des problèmes et des injustices
énormes, mais c'est un pays qui peut très vite remonter, qui peut
surprendre par sa capacité à récupérer. Le pire a été possible, mais le
meilleur l'est aussi. Il n’y a pour le moment pas une rue à Kinshasa
sans immeuble en construction. Si les Congolais riches et vivant à
l’étranger commencent à ramener leur argent dans leur pays, c'est un
signe important. Il est vrai qu'il reste beaucoup d'inégalités, une
grande misère pour le plus grand nombre, mais le progrès est
indéniable.

Le 7 août, il y a eu une rencontre entre Kabila
et Kagame à Goma. Au début de cette année, il y a eu l'opération Umoja
Wetu, quand les armées rwandaise et congolaise ont collaboré pour
neutraliser des rebelles à l'Est du Congo. Nkunda, l'ancien dirigeant
des rebelles pro-Kagame, a été arrêté au Rwanda. Ensuite, on a vécu
l'échange des ambassadeurs entre le Rwanda et la RDC (République
démocratique du Congo). C'est un revirement spectaculaire quand on
compare avec la guerre et les tensions entre les deux pays dans la
période 1998-2008. Selon vous, d'où vient ce revirement ?

Colette Braeckman. La déstabilisation de la
RDC par le Rwanda et l'Ouganda a été rendue possible grâce à l'aval des
gouvernements américains dans cette période 1998-2008. Mais il faut
dire que les Américains d'aujourd'hui ne sont plus les Américains de
1998-2008. Depuis lors, il y a eu la crise économique suivie par la
victoire d'Obama. Les Américains réalisent en outre aujourd'hui que la
Chine devient de plus en plus active en Afrique et que cela change la
donne stratégique. Il faut aussi dire que d'importants pays africains
comme l'Angola et l'Afrique du Sud ont réalisé que, si le démembrement
du Congo avait lieu, le continent n'aurait aucune chance de se
développer. Apparemment, les Américains savent aujourd’hui que s’ils
continuent à cautionner le pillage du Congo par le Rwanda et l'Ouganda,
cela nuira à leurs intérêts en Afrique.

Lors de la conférence de presse à Goma de Kabila
et de Kagame, ce dernier a dit : « Je ne suis pas ici pour parler du
passé, mais pour parler du futur ». Cela a choqué beaucoup de
Congolais, victimes de l'agression. Il existe un grand scepticisme chez
les Congolais quant à la volonté de paix de Kagame. Que leur
répondez-vous ?

Colette Braeckman. Qu'ils ont raison d'être
vigilants sinon sceptiques… On a vu tout ce que le Rwanda et l'Ouganda
ont fait au Congo pendant toutes ces années. Mais il faut faire une
distinction entre un accord politique réaliste qui apporte la paix,
d'un côté, et les crimes contre l'humanité et les crimes de génocide,
de l'autre. De tels crimes ont été commis, ils sont imprescriptibles et
aucun accord politique ne peut les effacer. On l'a vu avec Bemba, qui a
commis des crimes et avec lequel Kabila a conclu un accord politique.
On a vu Bemba participer au gouvernement 1+4 et on l'a vu rivaliser
avec Kabila lors des élections. Or, après tout cela, il se trouve
aujourd'hui en prison à La Haye. Si un accord politique peut amener la
paix et rendre la reprise de l'agression plus difficile, tant mieux,
mais aucun accord politique ne pourra jamais effacer les crimes qui ont
été commis. Un autre exemple, c'est Bosco Ntanganda : Kabila a expliqué
que pour lui, aujourd’hui, la paix est plus importante que la justice.
Mais c’est une position à court terme, dictée par le réalisme
politique, cela n’efface rien de ce qui a été commis. Il y aura
toujours des gens qui vont se souvenir de ces crimes et tôt ou tard
vont traîner les criminels devant la justice.

On aurait pensé que la rencontre aurait lieu
sous le patronage de Hillary Clinton à l'exemple de son mari qui avait
réconcilié Arafat et Barak à Camp David. Mais les deux présidents ont
tenu à se voir avant l'arrivée de la secrétaire d'État américaine.
Comment peut-on interpréter cela ?

Colette Braeckman. Je crois qu’aussi bien
Kabila que Kagame sont jaloux de leur indépendance et leur autonomie.
Ils ont des racines communes. Tous les deux ont été influencés par la
Tanzanie de Nyerere. Kabila a connu l'exemple de son père qui était un
anticolonialiste convaincu et qui s'est battu toute sa vie pour
l'indépendance du Congo. Mais peu de gens se rendent compte que Kagame
a aussi été influencé dans sa jeunesse par ce courant nationaliste
africain. Quand il avait 18 ans, il est allé se battre avec le Frelimo
au Mozambique et a reçu une formation à Cuba. Malgré le fait qu'après,
il est devenu un grand ami des Américains et malgré tout ce qu'il a
fait au Congo, il y a toujours quelque chose de cette période qui est
resté chez lui. Ce type de dirigeant africain accepte de moins en moins
le patronage des soi-disant faiseurs de paix occidentaux. Même l'ancien
président nigerian, Obasandjo, l'envoyé spécial du secrétaire général
de l'ONU Ban Ki Moon, n'était pas au courant de la rencontre et s'est
vu obligé de se précipiter à Goma pour apprendre ce qui s'est passé.

Souvent on a l'impression que le peuple
congolais est une victime passive et aucunement acteur, les vrais
acteurs étant les dirigeants congolais, rwandais et occidentaux. Est-ce
vrai?

Colette Braeckman. Non, pas du tout. Si les
Congolais ont survécu à la guerre, aux violences sexuelles, aux
pillages, c'est qu'ils se sont organisés entre eux. Le problème est que
ceux qui captent la parole, ce sont souvent des ONG occidentales qui
disent défendre les intérêts du peuple et qui parlent au nom de leurs
partenaires. Mais il existe des milliers d'associations qui font que le
peuple congolais continue à vivre et dont on n'entend jamais parler.
Les élections, par exemple, n'auraient jamais pu avoir lieu s'il n'y
avait pas eu des dizaines de milliers de Congolais qui ont transporté
les urnes, parfois sur leur tête ou avec des pirogues, et qui ont été
observateurs dans les locaux de vote. Durant la guerre, alors que
l'armée rwandaise voulait occuper le Katanga, ce sont les Mai Mai,
milices locales autour de Kabinda et personne d'autre qui les ont
empêchés. Les femmes aussi réussissent à survivre à la violence
sexuelle en s'entraidant. Si les Congolais n’avaient pas résisté, le
Congo aurait déjà depuis longtemps été démembré.

L'année prochaine aura lieu le 50e
anniversaire de l'indépendance. Dans votre dernier livre, vous décrivez
comment la Belgique s'est de plus en plus détournée du Congo. On a
connu l'année passée les ruptures des relations diplomatiques.
Existe-t-il encore un futur pour les relations entre la Belgique et le
Congo?

Colette Braeckman. Dans le passé, l'intérêt
de la Belgique pour le Congo a toujours été inspiré par des motifs
économiques. Or, le patronat belge ne semble plus aujourd’hui vraiment
intéressé par le Congo. Thomas Leysen, le patron de la FEB, assure
carrément que le patronat belge a tourné cette page. On le voit
aujourd'hui encore quand, après la rencontre entre Kabila et Kagame, le
gouvernement belge ne trouve même pas nécessaire de publier un
communiqué ou de donner un commentaire. C'est comme si quand ce n’était
pas une paix dans laquelle les Belges ont joué un rôle important, alors
cette paix n'existe pas.

Il est vrai que dans certains milieux religieux et
culturels belges, on est resté concerné par ce qui se passe au Congo.
Aussi dans les milieux politiques, il y a une minorité de personnalités
qui est convaincue que la Belgique garde des atouts à cause de son
passé colonial en Afrique centrale. Atouts qui lui permettraient de
jouer un rôle de premier plan au niveau international. Je reste
convaincue que Louis Michel, par exemple, a joué un rôle positif au
Congo pour aider à mettre fin à la guerre. Les Congolais eux-mêmes
rêvent toujours que les Belges vont revenir pour reconstruire ensemble
avec eux le pays. Mais je crois qu'ils se font des illusions. De
l'autre côté, il existe une diaspora congolaise importante en Belgique.
On estime jusqu'à 125 000 les congolais vivant en Belgique. C'est plus
qu'il n’y a jamais eu de Belges au Congo sous la colonisation. Ils
s'intègrent dans la vie sociale, culturelle et aussi politique. Chaque
parti politique a des Congolais sur ses listes. C'est parce que cela
rapporte des voix. Or ces gens restent toujours attachés à leur pays.

Mais je pense qu'au fur et à mesure que le Congo va
renaître, la Belgique va  perdre de l’importance et c'est peut-être
mieux comme ça, vu ce que la Belgique a fait dans le passé dans ce
pays.

Vous êtes connue pour vos analyses critiques et
indépendantes vis-à-vis des autorités, surtout vis-à-vis de la
diplomatie belge. Comment réussissez-vous à rester comme ça et à
survivre aux pressions ?

Colette Braeckman. C'est grâce à mon journal
qui me publie et qui respecte l'indépendance du journaliste. En ce qui
concerne la pression et des réactions parfois colériques, je pense
souvent que « l'actualité reste et les ministres passent ». La
situation en Belgique est aussi différente qu’en France ou en Grande
Bretagne. Quand on voit comment la presse française est resté docile
lors du génocide au Rwanda, ou comment le presse britannique manque
souvent de crédibilité lorsqu'elle parle du Zimbabwe ou de l'Afrique du
Sud, alors je pense qu'en Belgique les autorités ne sont pas si fortes
que dans ces pays-là.

Colette
Braeckman est l’auteur de divers ouvrages sur l’Afrique centrale,
Colette Braeckman a publié trois livres cette année : « Les nouveaux
prédateurs » (une seconde édition complétée), « Lumumba, un crime
d’État », tous deux chez Aden, et « Vers la deuxième indépendance du
Congo » aux éditions Le Cri–Afrique.

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