28.08.09 Anneet: Interview du RP de Saint Moulin sur la ville de Kinshasa
En
1945, la ville de Kinshasa sarrêtait sur lavenue Kabinda. Un
cimetière se trouvait à lemplacement actuel de la Radio télévision
nationale congolaise (RTNC). Laéroport de Ndolo était à lextrémité
de la ville. Au début des années 50, on a loti Mboka ya Sika, (Ndlr :
la nouvelle cité), aujourdhui, les communes de Kasa-Vubu et de
Ngiri-Ngiri. En 1962, les communes de Ngaliema et de Mont-ngafula
appartenaient à la province du Kongo central. Comment se présentait la
superficie de la ville de Kinshasa en 1959 ?
Justement,
en 1959, jai acheté un plan de Kinshasa qui représentait donc la ville
à cette époque. La première chose qui frappe, cest la quantité
despace libre. Les Barumbu, Kinshasa, St Jean, devenu Lingwala,
Bandalungwa qui sétendait jusquà Ngiri-Ngiri, Kasa-Vubu et Kintambo
constituent des anciennes cités. Alors, un plan beaucoup plus élaboré
était conçu pour tout ce quon a appelé les cités planifiées. Ce fut
dabord la cité de Renkin, devenu Matongé, où les rues ne sont plus
perpendiculaires les unes aux autres mais des grandes obliques et des
espaces beaucoup plus larges réservés aux équipements collectifs. Donc,
Matongé était déjà quelque chose de tout à fait neuf qui date, en
effet, du début des années 50. Les nouvelles cités, «Mboka ya Sika»,
Kasa-Vubu et Ngiri-Ngiri, étaient complètement lotis en 1950.
Il
est exact quen 1945, la ville sarrêtait aux anciennes cités sur
lavenue Kabinda. Mais cest entre 1945 et 1950 que toutes les
nouvelles cités avaient été construites. Et on peut le constater aux
noms attribués aux rues de ces communes. Cela ma frappé déjà à
lépoque. Saïo, Assossa, Gambela et Birmanie sont toutes les villes où
la Force publique avait remporté les grandes victoires pendant la
guerre. Lavenue de la Victoire porte ce nom en souvenir de la victoire
de 1945. Je lai vécu dans ma jeunesse. Jétais en Belgique en ce
moment-là. Il y a encore la maison des Anciens combattants dans la
commune de Kasa-vubu et une série davenues, dans la même municipalité,
notamment Force publique. Tout cela prouve à suffisance que les
nouvelles cités ont été construites entre 1945 et 1950. Ensuite, on va
construire des cités avec un plan beaucoup plus élaboré. Il sagit de
Kauka, de lancien quartier Immocongo, devenu quartier du 20 mai, de
Yolo-Sud, Yolo-Nord et Bandalungwa. Quand je suis arrivé en 1959, ce
qui ma frappé et quon ma fait remarquer, cest quil y avait
beaucoup de maisons inoccupées même si on les avait mises en location
ou en vente à des conditions extrêmement intéressantes. Les salaires ne
permettaient pas à beaucoup dhabitants de signer ce genre de contrat.
Les Congolais ou ceux qui vivaient à Kinshasa navaient-ils pas obtenu facilement des crédits ?
Ils
nobtenaient certainement pas de crédits. En plus, la cause profonde
est que le niveau des salaires était extrêmement modeste. Il ny avait
pas beaucoup de Congolais qui gagnaient gros à Kinshasa. Pour Kintambo,
tout le monde sait que le nom de camp Babylone, construit sur lavenue
Kasa-Vubu,vient de lun des administrateurs de cette commune. Et cela a
formé la ville à lOuest. Et à lEst, on avait créé Ndjili en 1954 et
Matete en 1955. Il faut mettre cela dans le climat urbanistique de
lépoque. Et je crois quil faut, à tout prix, se rendre compte quen
1959, il y a 50 ans aujourdhui, le contexte était très différent de
celui actuel. Nous connaissons beaucoup de points de vues, notamment
celui de limage de la ville. Dans le monde entier, en effet, on
parlait des cités satellites. Les urbanistes se sont plu à croire quon
ne réussit à construire un quartier relativement à taille humaine
quavec des gens qui pouvaient faire des champs autour. Les paysans de
la vallée de Ndjili datent de la même époque. Et cela fut un succès
puisquon continue jusquaujourdhui à cultiver dans cette vallée.
Matete était conçue de la même manière pour pouvoir donner aux
habitants la possibilité de cultiver autour. Lemba est la dernière des
cités mises en chantier. Il ny avait absolument aucune voirie revêtue.
Et cette cité nétait pas absolument achevée en 1960.
Donc, on avait commencé dabord par NDjili, puis Matete et enfin Lemba ?
Comme
je vous lai dit, les anciennes cités étaient saturées pendant la
guerre de 40-45. La population de Kinshasa a doublé, passant de 50 à
100.000 habitants. Alors, sous la pression et dans leuphorie de la
victoire, on a pu lotir rapidement. Or, comme vous lavez dit, il y
avait un cimetière, des marécages mal drainés, laéroport de Ndolo et
le camp Kokolo, etc. Tout cela a fait que ce nétait pas une zone
neutre voulue mais était occupé. Et lon a préféré lotir de nouvelles
cités. En 1950, on a loti Matongé. De 1950 à 1953, on est allé lotir
les nouvelles cités planifiées de Yolo. En 1954, on a commencé avec
Ndjili ; en 1955, Matete ; en 1956, Bandalungwa achevé mais pas encore
occupée. De 1958 à 1959, on a commencé à lotir et bâtir Lemba qui
nétait pas achevée et qui nétait pas encore entièrement occupée au
moment de lindépendance.
Mais dans cette ville de
Kinshasa en 1959, existait-il un dualisme où il y avait la ville
européenne séparée de ce quon avait appelé la cité belge ?
Il
y a des endroits où cétait très visible parce quon a voulu une zone
neutre entre les anciennes cités et toute la rive du fleuve qui était
lotie au profit des Européens. Il est évident quon a voulu quil y ait
des terrains neutres comme le Golf, lHôpital général, le Parc de
Boeck, devenu Parc botanique, et le Jardin zoologique créés en 1959.
Tout cela a été voulu comme une coupure. Même la pépinière de la Gombe
et la tranchée de la rivière de la Gombe était destinée depuis un
certain temps à servir de barrière de séparation.
Donc, il y
avait jusquà un certain point, une dualité. Et, il est évident que les
prix des parcelles et le loyer nétaient pas les mêmes. Donc, il y
avait des livrets de logeur et des parcelles cadastrées. Celles-ci
appartenaient à lEtat, les gens nétaient que locataires ou logés par
lemployeur. Mais il ne faut pas oublier que les villages congolais de
Kinshasa se trouvaient au beach Ngobila et ceux de Kintambo étaient
justement à lemplacement de ABMS (American Baptist Mission Society),
aujourdhui CBCO. Et les Européens ont commencé petit à petit par
cohabiter avec les centres urbains pré-coloniaux existants quils ont
trouvés. Ils y ont pris place et ont repoussé les autochtones. Un
exemple type : cest Kingabwa qui était en amont de Kinshasa. Mais on a
dit : Pusa muke (Ndlr : pousse un peu). Pusa muke créait de différentes
parcelles et divers lotissements industriels qui sont ici à Kingabwa.
Maintenant, ce quartier se trouve juste à lOffice national du café
quand vous arrivez au niveau de rails à Matete, alors quil était situé
tout près de Ndolo.
Quel était le paysage de la ville à votre arrivée ?
Aujourdhui,
on est frappé par les barbelés, par les murs, etc. La première chose
qui ma marqué, cétait la quantité despace. Le paysage était tout à
fait ouvert. Quelques vues étaient aérées entre lavenue du 24 novembre
ou lavenue de la Libération et lavenue Saïo quand vous prenez la
première rue à droite en entrant sur Victoire à partir de Libération.
Sur lavenue Saïo, il ny avait que quelques ouvertures. Il faut se
rendre compte de tous les espaces quil y avait là. Si vous regardez la
carte de lépoque, la quantité de lespace non loti partait de
Ngiri-Ngiri à Yolo. Le paysage de cette époque-là était extrêmement
ouvert.
Pour aller à luniversité, il fallait franchir des zones
absolument inoccupées pour y arriver. Il ny avait pratiquement pas de
routes qui prolongent lavenue qui longe Yolo jusquau rond-point
Ngaba. Cela a été fait en 1969. Donc, on a relevé que cétait une ville
beaucoup plus aérée où on essayait de garder aux quartiers les
dimensions presque inter urbaines avec cette idée que ces cités sont
coloniales. Lidée de cité satellite est que tous les espaces
interstitiels de construction qui ont initié les lotissements sont
aujourdhui occupés. On est donc dans une ville où il y a trépidation
qui nest pas comparable et pensable, absolument différente de tout ce
quon a connu.
Moi, jai été avec Tesco dans le domaine que
larchidiocèse a maintenant obtenu à nouveau pour y construire la
cathédrale en face du stade Tata Raphaël. Jy ai été joué avec les
scouts. On était en plein air comme en campagne.
Et maintenant ?
La ville est beaucoup plus fragmentée. Elle navait rien qui pouvait faire songer à la vitalité quon lui reconnaît aujourdhui.
La
ville est saturée. On voit que les gens essayent de construire ici et
là. Pensez-vous que Kinshasa va sétendre du côté de Mitendi, Maluku et
Nsele ? Comment voyez-vous la chose ?
La ville est dans
un site qui définit son armure jusquà un certain point. Il est évident
quelle ne peut savancer sur le fleuve, sur des constructions de grand
luxe très limité. Elle est très illimitée vers le sud-ouest pour
descendre dans le Bas-Congo ou vers lEst en montant vers la route de
Kikwit et celle de Maluku. Il y a des grands espaces. Et la pression ou
le dynamisme de la ville est tel quil est absolument certain que cela
va se remplir de deux côtés. Il y en a qui disent quil faut toujours
reporter la limite de la ville. Ce nest pas sérieux. En Europe, les
capitales se sont étendues et il ny a plus de rupture avant daller
vers une autre ville. Bruxelles et Louvain sont habitées dun bout à
lautre. A un moment donné, il y a une pancarte qui indiquait la sortie
de la ville de Kinshasa. Et il ny avait aucun doute, jusqu à un
certain point, que Kisantu allait être intégré dans lagglomération de
Kinshasa parce que cela va devenir une bande occupée le long des axes
de communication de lOuest.
Vous parlez de Kasangulu ou de Kisantu ?
De
Kisantu. Cest à 120 km à lheure mais à léchelle de 10.000.000
dhabitants à peu près à Kinshasa et 70.000.000 dhabitants pour
lensemble du pays. 120 km nest plus une distance qui va arrêter
lextension de Kinshasa.
Comment était la circulation ?
Pendant
la guerre, on est passé de 50.000 à 100.000 habitants. Durant les cinq
années suivantes, les nouvelles cités ont été saturées tout de suite
parce quon est passé de 100.000 à 200.000 habitants en 1950. Et puis,
on a commencé à voir des menaces de chômage, les difficultés sociales
apparaîssent. Et ladministration a freiné limmigration vers la ville.
A ce moment-là, il a fallu dix ans pour voir le nombre dhabitants
doubler : on est passé à 400.000 habitants avant même 1960. Les gens,
avec les mêmes pressentiments, vont construire un boulevard comme le
boulevard Lumumba avec une emprise de 170 m. Cela est exceptionnel avec
le petit boulevard et les espaces qui étaient là réservés où lon a
laissé construire des stations dessences qui, malheureusement doivent
être complètement repensées. Mais ce boulevard avait été pensé à une
dimension incroyable parce que, par dautres aspects, on a limpression
que les administrateurs de lépoque ne réalisaient absolument pas où
lon allait. Je peux même dire encore quen 1967, il y a un plan
durbanisme ou un schéma daménagement élaboré qui prévoit de limiter
la population de la ville à deux millions et demi dhabitants. Il
navait pas de dynamisme. Maintenant, nous sommes engagés dans un
mouvement quon ne peut pas arrêter à moins dune génération. Cela veut
dire que nous allons atteindre 25 millions dhabitants, avec la
majorité de ceux qui seront encore en vie.
Quelle était lorganisation politique et administrative de la ville en 1959 ?
Je
viens de faire remarquer quil y a des fractionnements qui sont bien
visibles dans le découpage. En 1957, on créé les communes et lon
prévoit quelque chose quon na même pas osé appeler élections, mais
consultations électorales. Parce que le gouvernement ne voulait pas
sengager à nommer doffice celui qui aurait eu le plus des voix.
En
pratique, les élus avaient été nommés. Et donc, la première élection
des bourgmestres date du mois de décembre 1957. Une était publiée par
le Courrier dAfrique de Kinshasa en 1957 pour montrer aux électeurs
comment cela était organisé. Nous avons trois communes qui vont avoir
des bourgmestres blancs et où il y a la population blanche notamment
celles de Limete, de Kalina devenue Gombe et de Ngaliema. Vous
remarquerez quon donne à peu près le maximum possible de ce qui est
alors la ville. On sarrête-là. On ne va pas très loin. On donne le
maximum dextension aux communes gérées par les Européens et les
communes africaines sont strictement limitées. Pour la partie habitée,
les trois communes divisent les anciennes cités Barumbu, Kinshasa, St
Jean, Bandalungwa limitée à la partie quon a bâtie, Kintambo,
Ngiri-Ngiri étant dans Kasa-Vubu, et Kalamu. On aura ainsi onze
communes. Quand on va étendre les limites de la ville, on va y
intégrer, en 1958, Ndjili qui, au moment de sa création, se trouvait
dans le territoire de Kasangulu et Matete. Et ces deux cités érigées
administrativement comme des centres extra-coutumiers, vont devenir des
communes. Et cela fera treize communes en 1958 pour les élections de
1959-60. Et Lemba sera la 14ème commune érigée depuis 1966. Cest en
1968 quon va passer à 24 communes.
En 1959, Kinshasa
était appelé Poto moyindo (Ndlr : lEurope des Noirs) ou Kin la belle.
Quest-ce qui justifie ces appellations ?
En 1959,
Kinshasa avait une taille qui était déjà très respectable. Si vous
prenez Lagos, Nairobi de lépoque, vous naurez pas une population plus
importante que celle que vous aviez ici à Kinshasa. La ville était
comparable, je crois, à Johannesburg, au Caire qui avaient une
concentration des populations. Mais, en Afrique centrale, Kinshasa
était lune des plus grandes villes. Cest dire quil y a eu quand même
une vision presque impériale de construire même le boulevard du 30 juin
dont la première partie entre la Gare et le Parc de Boeck na été
bétonnée quen 1955. On ne réalise pas comment Kinshasa sest construit
après lindépendance. Pour la route de Matadi construite aussi en 1955,
qui est à la sortie de la ville vers le Bas-Congo, lasphalte ne
dépassait pas Kasangulu. Donc, dire que tout a été fait du temps
colonial, cest vraiment un contre-sens historique.
Comment alors cette population était-elle attirée et Kinshasa grandissait ?
Kinshasa,
avec sa position comme point de départ de navigation sur tout le
fleuve, est aussi le point darrivée de beaucoup de choses qui sont
parties par rail. Cala à partir de Kimwenza, Yolo, Ngaba et Lemba qui
était une gare. Le rail remontait la vallée de la Funa, par
Masanga-Mbila, et redescendait par la paroisse de Kimwenza. Ça, cétait
le premier tracé. En 1932, on a inauguré le nouveau tracé par la vallée
de Lukaya. Et en ville, le rail passait par le boulevard du 30 juin,
les avenues Lukusa et de la Justice ayant été la grande route de
Kinshasa. Ce sont les premières artères qui ont été bétonnées, revêtues
en dur pour la circulation des premières voitures automobiles. Le rail
était devenu un point dactivités extrêmement intenses. Et tout ce qui
venait à Kinshasa était amené vers les provinces. Kinshasa était un
centre commercial avant la colonisation, cela ne fait aucun doute. Avec
la colonisation, on lui a donné comme hinterland, non plus seulement
les bassins du fleuve, mais la frontière qui a été reportée jusquen
Ituri, aux Grands lacs et au Katanga. Donc, Kinshasa est devenue la
capitale dun pays beaucoup plus vaste. Il y avait une activité telle
que lautorité coloniale a dû recourir à la demande de la main dœuvre
jusquen 1955. Il y a eu un temps où il était interdit à un Blanc
dengager deux noirs à son service.
Comme domestiques….
Oui.
On manquait la main dœuvre au point de dire que vous navez pas le
droit dengager deux boys. Cest tout le contraire de ce qui se passe
depuis 1957 à 1958 quand on a pris conscience du problème davoir des
gens sans travail ? Et que cela risquerait de devenir lune des causes
dinstabilité sociale. Il faut bien réaliser que Kinshasa de 1959 était
une ville à la fois embryonnaire et extrêmement dynamique. Je peux
encore donner un exemple de difficultés que les gens ont eu à réaliser
ce quils vivaient ensemble. On avait construit le palais de la Nation
sur lavenue Virunga et le palais de Justice. Il y a là, une cour qui
conduit vers lAthénée de la Gombe dun côté, et vers les Affaires
étrangères de lautre. On se demande pourquoi Sa majesté a adopté ce
style ? Sur lavenue de la Justice, il avait été prévu, en 1950, deux
grandes routes qui viendraient du palais de la Nation pour passer à
côté du Palais de justice comme celui du cinquantenaire à Bruxelles et
qui allait déboucher en ligne droite jusquau début de lavenue de la
Victoire.
Et, sur le plan durbanisme publié par un certain
Riquier, il serait lui-même plus large et plus étendu que les champs
Elysées à Paris. Il voyait vraiment grand. Ce quon appelait Sinalco
dans la commune de Bumbu avait été loti pour des Européens. En 1959,
jai connu un professeur du collège Boboto qui habitait près de
léglise St Jean-Baptiste. On voyait bien que la ville avait un
dynamisme extraordinaire. On prévoyait des artères comme le boulevard
Lumumba et on imaginait quon pouvait encore réserver aux Européens des
zones entières aux pieds de la commune. A noter que le Sanatorium, au
départ, nétait pas réservé aux Noirs. Donc, on ne réalisait pas à
quelle rapidité tout ce quon avait pensé allait être totalement envahi
dans tous les espaces intertitiels. Et la population allait même monter
sur la commune jusquà luniversité, bien au-delà en redescendant
jusquà Kinsuka où lespace du fleuve est en train de se remplir. Et, à
lEst, il y avait deux foyers au-delà de la cité de Ndjili puisque
quand on a loti il ny avait pas de gens qui voulaient aller habiter
là-bas. Six mille parcelles ont été vendues, en six mois, en 1954. En
dehors de Ndjili, il ny avait pratiquement rien à lEst. Mais cet
espace est rempli jusque, non seulement à Kinkole mais jusquà Maluku.
Tout est en train de se densifier quand tout le monde se rend compte
que le terrain est important. La population en 1964 était de 100.000
habitants, on aura doublé en 1968, doublé de nouveau en 1975 et la même
chose en 1986.
Mais, aujourdhui, peut-on estimer la population à 6.000.000 dhabitants ?
Je crois que si on ne dit pas 9 millions, on est en deçà de la réalité.
Y a-t-il le recensement ?
On espère quil va en avoir.
Quelles
sont les activités économiques, en 1959 ? La classe moyenne congolaise
sest organisée en 1954 et en 1959. Je pense à certaines personnalités
comme les Nendaka, Talangai, etc. Avez-vous un commentaire à ce sujet ?
La
première chose à dire est que la population de Kinshasa a dabord été
une population des travailleurs. On a fait venir des travailleurs pour
assurer ce quil fallait faire comme travail de main dœuvre dans les
entreprises européennes. On ne sait pas que la conférence de Berlin na
pas tracé les frontières du pays, mais avait, par contre, décidé que le
bassin du Congo devrait être une zone sans réserve nationaliste, si je
puis dire ainsi.
Cest la porte ouverte…
Oui.
La Belgique ne pouvait pas mettre des tarifs préférentiels pour les
produits qui venaient de la Belgique. Alors, pour assurer leurs
activités et intérêts économiques, les Belges ont appliqué une
politique exceptionnelle pendant la colonisation. A savoir celle
dinvestir dans les industries locales (brasserie, Utexco…). Tout cela
sont des choses des années 20. Le besoin de la main dœuvre qui se
présentait était activé pendant la guerre. Le Congo a équipé les
colonnes du général Leclerc qui sont partis de Brazzaville pour prendre
les troupes allemandes au Sud de la méditerranée par le dos. Elles sont
montées avec des équipements, du matériel réalisés dans les ateliers de
Chanic et habillés par des tissus produits à Kinshasa. Donc, il y a eu
ici une activité extrêmement intense. Encore quen 1960, dans la
population, il y avait un fort déséquilibre des sexes. Beaucoup de
jeunes qui venaient pour travailler navaient pas de femmes et enfants
avec eux. Ils étaient des jeunes mariés et navaient pas encore
beaucoup denfants. Donc, on a là une structure des populations qui
montre bien quen ce temps là, il y avait du travail à peu près du
travail pour tout le monde. En 1967 encore, quand on a fait des études
socio-démographiques à Kinshasa, il ny avait pas 10% des adultes
masculins qui navaient pas de travail. Kinshasa a été un centre
demplois et un foyer de rayonnement parce que la culture, toutes les
activités de formation se déroulaient à Kinshasa et attiraient le
monde. Il y avait un personnel relativement qualifié même si cela a
augmenté depuis. LOffice national des transports (Onatra) avait 20.000
salariés en 1960. A lépoque, cétait lOffice des transports coloniaux
(Otraco). Les transports en commun, qui se sont développés tardivement,
véhiculaient par jour un nombre important de gens. Dont beaucoup, qui
logeaient, par exemple à lEst, travaillaient au centre et faisaient ce
trajet.
Peut-on dire que Léopoldville était une ville culturelle ?
Incontestablement.
Les Wendo Kolosoy, Tabu-Ley et autres y sont natifs et se sont formés
ou ont commencé à émerger à Kinshasa. Lindépendance Cha-Cha de
Kabasele se jouait dans des bars à Victoire, Lemba qui sest
développée, à Yolo que jai connu dans sa splendeur. A Yolo, les
avenues étaient en bon état et propres. Il y avait un boulevard vers
Maître Taureau…
Connaissez-vous Me Taureau ?
Mais qui le connaît pas à Kinshasa ?
Vous êtes à Kinshasa depuis 50 ans. Y a-t-il des évènements heureux ou malheureux qui vous ont particulièrement frappé ?
Je
ne suis pas à Kinshasa depuis 50 ans puisque jai été à Bukavu à
Lubumbashi pendant huit ans. Jai eu la chance daller dans beaucoup
dendroits. Dans les évènements de Kinshasa, je crois que les personnes
frappent encore plus que les évènements. Sauf, évidemment,
lindépendance et même quelques évènements. A lindépendance, jétais à
Kinshasa. Cétait une grande victoire. Une journée inoubliable mais il
y a aussi un certain nombre dévènements.
Notamment la visite du Pape ?
Cest
beaucoup plus loin en 1985. Mais les événements sont une chose et les
personnes en sont une autre. Il y a des personnes à Kinshasa dont je
garde des souvenirs extrêmement forts comme le Cardinal Malula. Jai eu
la chance de le connaître quand il était encore abbé.
Cest la raison pour laquelle vous avez édité ses œuvres complètes ?
Certainement
que cela a contribué à aboutir à ce résultat-là. Mais, en 1959, quand
jarrivais, il était nommé évêque mais pas encore sacré puisque son
sacre auquel jai assisté est intervenu le 20 septembre 1959 au stade
Tata Raphaël. Je lai vu pour la première fois lors dune conférence
animée par le sociologue belge, abbé Houtard. A cause dune question
que jai posée, il a senti ma sympathie et nous avons donc
sympathisé. Et en 1967, quand je suis revenu après lachèvement de ma
formation, jai été tout de suite dans tous ces problèmes de réflexion
sur lurbanisme, la ville, etc. Il comprenait très bien et il était
extrêmement attentif à tous ces problèmes. Et comme jétais au campus,
il était certainement lune des personnes avec qui jai tout parlé le
plus profondément, brassé comme problèmes de vie et réflexions. Donc,
il y a des personnes qui mont marqué profondément. Comme Papa Joseph
Iléo qui a également une grande estime de ma part. Je lai très bien
connu. Quand nous avions fait lenquête socio-démographique en 1967, il
était le président de lOffice national de la recherche et du
développement (ONRD) et il a eu le courage de publier les résultats
quand bien même que nous lui avons expliqué que cela allait faire un
problème. Parce que, selon les résultats, nous étions à 1.520.000
habitants, alors quon disait que nous nétions même pas à 1.000.000
dhabitants.
A une époque, on a même parlé de 2 millions de femmes …
Cétait
avant le recensement. Donc, il y a des personnes à Kinshasa dont jai
un souvenir extrêmement fort certainement très émotif et très
chaleureux. Et, je rends grâce à Dieu et aux Kinois pour mavoir permis
de vivre parmi eux.
50 ans plus tard, on déplore de
multiples problèmes qui se posent dans cette mégalopole de 10.000.000
habitants. Il est question du délestage, de la rupture de la
distribution deau, des érosions, du curage des égouts, de la jeunesse
désœuvrée, de tapages nocturnes et diurnes, du manque dhygiène, etc.
En 1959, quels sont les problèmes qui se posaient?
Je
suis resté à Kinshasa pendant deux ans jusquen 1961, puis je suis
parti aux études pour revenir en 1967. Les problèmes qui se posaient
étaient ceux de lindépendance et il y en a encore aujourdhui. A
lépoque, on ne réalisait pas la rapidité de transformation dans les
domaines non seulement de lurbanisme, de la démographie mais aussi
politique. Donc, certainement que cela a été une lutte, comme la dit
Lumumba, combattant victorieux de lindépendance, dans une phrase qui
avait donné aussi dans mes oreilles un son de vérités. Cest évident
que ce nest pas sans résistance que lindépendance a été accordée même
si, finalement, elle est arrivée très vite.
Lors de
linauguration de sa commune, Kasa-Vubu a-t-il fait un discours dans
lequel il sest attaqué à lautorité coloniale disant quil y avait des
enfants qui étaient renvoyés de lécole et il y avait les problèmes de
«Bill». On pourrait croire que le phénomène Shegué ne date pas
daujourdhui. A cette époque-là, y avait-il certains soucis ?
On
ne peut pas transposer aussi simplement les réalités daujourdhui à
cette époque là. Le nombre de jeunes était très limité et on na pas
connu des jeunes abandonnés. Des jeunes indisciplinés ont toujours
existé mais même les enfants européens connaissent toujours ces
situations, difficiles à gérer. Donc, il est loin dimaginer que
Kinshasa de lépoque était Kinshasa daujourdhui. Cétait un autre
monde avec dautres problèmes et on peut rendre grâce à Dieu de tous
les progrès réalisés aujourdhui. Par linformation, jai un confrère
en 1960, dont la maman était morte juste au lendemain de
lindépendance. Il na eu linformation que quatre semaines plus tard.
Elle était à lintérieur du pays mais on na pas su le lui faire
savoir. Cela nest plus pensable aujourdhui avec les
télécommunications, les portables et linternet. Et, surtout la TV et
la Radio de cette époque ne sont plus comme celles daujourdhui. Et
donc, il y a des points de progrès incontestables même au niveau
culturel et celui de maturité. Aujourdhui, le dialogue avec les
personnes est beaucoup plus mûr que ne pouvait lêtre à lépoque. Ce
qui est vrai est quà lépoque, la gestion était efficace et la ville
était lune de plus prospères dAfrique centrale. On a quand même
dénoncé le fait que le Congo était sur le même pied dégalité que
lAfrique du Sud et beaucoup dautres pays dExtrême Orient à la même
époque.
En 1959, des malades venaient de lextérieur pour se faire soigner aux Cliniques universitaires de Kinshasa (CUK)…
Il
est incontestable quil y a eu ici, une attirance des gens de beaucoup
de pays. On était parmi les premiers à ouvrir luniversité. Donc, il y
a des éléments importants de progrès. Je voudrais même souligner que la
distribution deau est certainement multipliée par dix par rapport à ce
qui existait en 1960. Mais comme la population est passée de 400.000
habitants, non pas à 4.000.000, mais à plus de 8.000.000, il faut donc
multiplier par 20. On a le sentiment que la distribution deau est en
recul et il en est de même pour beaucoup dautres choses. Il y a des
difficultés dans beaucoup de domaines, notamment la distribution de
lélectricité. On souffre du délestage même dans des quartiers nantis.
Donc, il y a des éléments importants qui nous montrent que le Kinois a
raison de garder lespérance.
PROPOS RECUEILLIS PAR MUTAMBA MAKOMBO