Et si lAfrique nous venait en aide, au moment où une crise majeure sabat sur le monde ? Ce scénario est loin dêtre impossible. Réserve incroyable de matières premières, lAfrique pourrait bien, à lavenir, nous donner des leçons sur lemploi, lendettement public et lenvironnement.
De la fin de la seconde guerre mondiale au début des années 1970, les pays industrialisé s, particulièrement ceux membres de lOCDE, ont connu une période de très forte croissance économique. Cette création de richesse a été financée par des crédits accordés selon les conditions et modalités définies dans les accords de Bretton Woods signés en juillet 1944. Avec le dollar élevé au statut de monnaie de réserve mondiale, les États-Unis sendettèrent massivement pour financer leurs différentes activités. Il sest ensuivi une explosion de la masse monétaire américaine et lincapacité des États-Unis dhonorer la parité or-dollar. Deux options leur étaient offertes : dévaluer le dollar ou abolir létalon or. Le président Richard Nixon opta pour labolition en 1972. Cela a consacré lère dune économie dendettement et dune création monétaire totalement assujettie au volume des crédits levés par les banques, les États, les entreprises et les particuliers. Les pays se sont dotés de réserves internationales de devises pour se prémunir contre les chocs macroéconomiques et les désordres monétaires inhérents à cet usage généralisé de « monnaie papier ». Toutefois, le fait que ces réserves soient dénommées à 62% en dollars, et que les autres devises internationales (euro, yen, livre sterling, et autres) obéissent aux mêmes règles démission que le dollar, limite leur portée.
La levée de toutes les mesures de régulation et de sécurisation des transactions financières lors du big-bang des années 1980 a fini de parachever le processus de dérégulation des marchés des capitaux. Cela a donné naissance à la financiarisation accélérée des économies des pays industrialisé s, principalement celles des États-Unis et des pays européens. Les investissements productifs ont cédé le pas aux opérations spéculatives : « produits dérivés », « titrisation », « ventes à découvert de titres », etc. Les spéculations portent sur le niveau des taux dintérêt, le prix du baril de pétrole, les prix agricoles, les cours des devises, des matières premières, des actions, etc.
Dans un tel système, les crédits sont adossés à dautres crédits qui leur servent de garantie et non à des actifs réels comme de coutume. En matière de « titrisation » par exemple, les banques transforment leurs portefeuilles de crédits immobiliers en titres financiers quelles revendent aux investisseurs. Les risques inhérents à ces produits financiers sont énormes. Les banquiers nen ont cure, dès linstant que les bénéfices astronomiques quils engrangent servent de base de calcul aux bonus reversés qui représentent 60% de leurs émoluments. Ces pratiques spéculatives, non seulement privent léconomie réelle dinvestissements productifs et de créations demplois, mais elles contribuent, de surcroît, à linstabilité du système monétaire international et à la fragilisation de lordre économique et des pouvoirs publics.
La crise des « subprimes »
Lédifice sest donc tout naturellement effondré lorsque des millions de ménages américains ont été incapables de rembourser leurs crédits immobiliers. Les banques ont enregistré des pertes énormes. Pire, létendue des créances douteuses et la valeur réelle des « titres toxiques » adossés à ces crédits immobiliers rebaptisés « subprimes » ne sont pas quantifiables. Confrontées à une telle situation, les banques ont réduit leurs opérations. Une contraction de crédits qui alimente à son tour le déclin de linvestissement et de la demande de biens de consommation, une baisse de la production, lérosion de la rentabilité des entreprises, la sous utilisation de leurs capacités productives, les faillites, et les licenciements. Les États occidentaux sont intervenus pour renflouer les banques avec des plans de sauvetage estimés à des centaines de milliards de dollars afin déviter leur déconfiture et pour les inciter à reprendre leurs activités. Pour se faire, ils recourent à lendettement et à lutilisation de la planche à billets comme en Angleterre et aux États-Unis au risque de créer de linflation qui frappera dabord les couches les plus fragiles de la population : ceux qui sont sans revenus réguliers ou ont des revenus non indexés, et les chômeurs qui seront légions. Quelle que soit la portée de telles mesures, larchitecture du nouveau système monétaire qui va émerger de cette crise devra, pour être viable, assujettir lémission monétaire à un étalon, restaurer la fixité des taux dintérêt, des taux de changes, des commissions et des prix, sécuriser et réguler les activités du marché des capitaux et des paradis fiscaux. La restauration de la compétence socio-économique des États, laminée par les politiques néolibérales de la mondialisation, est un préalable à la prise et à la mise en place de telles mesures.
Les États-Unis et la Grande Bretagne ont été les principaux protagonistes de la conférence de Bretton Woods durant laquelle ont été élaborées les grandes lignes du système financier international qui vit le jour en 1944. Dans la géopolitique mondiale actuelle, les États-Unis et la Chine seront les acteurs majeurs du nouvel ordre qui est en négociation au sein du G20 élargi à lUnion africaine. Le monde aura toujours besoin de foyers de développement pour servir de « locomotives » de croissance à ses activités économiques. Les pays du BRIC : Brésil, Russie, Inde, et plus particulièrement la Chine ont joué ce rôle ces dernières décennies. Mais, leurs appareils productifs alimentés par un usage inconsidéré dénergies polluantes nont, en rien, différé de ceux des pays occidentaux. Dans la nouvelle division internationale du travail qui va naître de la crise actuelle, il est probable que pour limiter les dégâts environnementaux inhérents à leurs modèles de développement, ces pays vont remodeler leurs appareils productifs. La formation première de leur richesse devrait provenir, davantage de leurs industries de service, de haute technologie et de production de produits de substitution à leurs importations, que de leurs exportations de produits manufacturés. Dans une telle configuration, il restera lAfrique comme candidate potentielle pour servir d « usine » et de moteur à la reprise mondiale.
Appelé lAfrique à laide ?
En ce qui concerne le continent africain, les médias font état des famines, des guerres, de la corruption, du sida et des dettes qui le minent. Il est toutefois bon de rappeler que pour financer leur développement, les pays dAfrique sub-saharienne, à lexclusion de lAfrique du sud, nont pas eu accès aux marchés des capitaux. À leur accession à lindépendance, ils ont hérité des dettes que leurs colonisateurs anglais et français avaient contractées pour les exploiter. Ceci les plaçait dans une position dinsolvabilité selon les agences de notation qui détiennent le sésame daccès aux marchés des capitaux. Ils ont donc été contraints de recourir à laide pour financer leur développement. Les prêts et les dons alloués au titre de lAide publique au développement (APD) par les Institutions financières internationales (IFI), essentiellement la Banque mondiale et le FMI, et par les pays occidentaux sont utilisés pour rémunérer les biens et services liés à lexécution de projets et de programmes qui répondent davantage aux impératifs dexportation des pays développés quaux besoins réels des pays emprunteurs. Les sommes accordées peuvent aussi servir à rembourser des arriérés de paiement. L« aide » sert également à financer des opérations humanitaires, des projets dassistance technique et des annulations de dettes publiques. Les budgets de lAPD incluent aussi une enveloppe « sécurité » qui sert à financer des achats darmes et des opérations militaires. Les centaines de millions de dollars dépensés par les États-Unis dans sa croisade contre Al-Qaïda en Afrique sont prélevés sur le budget de lUSAID . De même, le Fonds européen de développement (FED) finance une partie du budget annuel de plus de 400 millions deuros alloué aux forces européennes de maintien de la paix en Afrique. Les prêts de lAPD sont également assujettis aux conditions du consensus de Washington : libéralisation du commerce, dérégulation des circuits financiers, privatisation des actifs publics et austérité budgétaire.
La construction de lAfrique comme nouveau moteur économique peut donner naissance à la création des millions demplois dont le monde a besoin dans les décennies à venir pour restaurer ses équilibres. Cet objectif doit constituer les fondations dun nouveau partenariat entre lUnion africaine, ses États membres et la communauté internationale. Lenvironnement économique dans la région est favorable à cette révision radicale. Les conditions requises pour une industrialisation florissante et un décollage économique sont remplies, à savoir : une croissance continue du PIB, un niveau faible dendettement, la solvabilité, des taux de profits élevés, une sécurité des investissements, une main-dœuvre qualifiée et une abondance de sources dénergies renouvelables. En matière de croissance, en dépit du piège des IFI et de lAPD combiné à la modicité des Investissements directs à létranger (IDE), lAfrique sub-saharienne na quasiment pas connu de récession depuis un demi-siècle si on sen tient au PIB hors démographie. En revanche, le PIB par habitant a été faible, voir négatif sur certaines périodes
LAfrique, nouvel El Dorado ?
Plusieurs facteurs ont contribué à alimenter cette croissance ces dernières années. Il y a eu, dabord, la remontée des cours des matières premières. Alors que les prix de ces dernières avaient fait lobjet de spéculation à la baisse de la part des pays occidentaux pendant des décennies, la forte demande en provenance de la Chine et dautres pays émergents a impulsé un mouvement de hausse à ces prix. Une autre source de croissance économique africaine est liée à lexode rural et à lurbanisation qui en a résulté. Cela a renforcé un secteur informel dynamique qui contribue à la création de 90% des emplois contre 5% pour le secteur public et 5% pour le secteur privé. Laugmentation de la production vivrière et du commerce intra-régional, un accroissement des investissements américains et chinois dans lexploitation pétrolière, un volume déchanges en perpétuelle croissance avec la Chine, les transferts des migrants dont on estime le montant supérieur à celui de laide, constituent les autres facteurs de croissance des économies africaines.
Sagissant de la dette publique africaine qui soulève tant de débats, il serait opportun de rappeler quelle se monte à 300 milliards de dollars, soit seulement 0,6% de lendettement public mondial comparée à 90% pour les pays occidentaux et 8% pour lAsie. Cest dire, létendue de la marge de manœuvre dont disposent les pays africains pour sécarter de lindustrie de laide et privilégier la mobilisation de lépargne intérieure et nationale dans les bourses nationales et régionales. Des dizaines de ces dernières sont opérationnelles sur le continent. Elles ont servi à des établissements comme la Banque Européenne dInvestissement (BEI) et la Sonatel pour émettre des emprunts en monnaies locales africaines. Ces opérations de mobilisation de lépargne interne ont été largement couronnées de succès. De surcroît, pour leur accès aux marchés des capitaux, plusieurs pays ont désormais reçu des notations financières qui se sont révélées supérieures ou égales à celles de nations aussi industrialisé es que la Turquie, le Brésil ou lArgentine. En septembre 2007, le Gabon et le Ghana ont levé respectivement 1 milliard et 750 millions de dollars sur le marché des capitaux. La tendance devrait se poursuivre et samplifier, surtout si lon considère la solvabilité des pays de la région. La valeur financière des gisements africains de matières premières, connus à ce jour, sélève à 46 200 milliards de dollars. Ce patrimoine gigantesque de ressources naturelles est capable dassurer la solvabilité des pays africains bien au-delà de leurs besoins pour peu que leurs dirigeants fassent preuve dune bonne gestion politique et économique dans leur valorisation .
LAfrique, continent dun nouveau développement
Sagissant de la profitabilité des investissements cest en Afrique, selon le Bureau danalyse économique du département détat des États-Unis, où lon réalise, en règle générale, les profits les plus élevés. Le taux de rentabilité interne sur les investissements directs étrangers a été en moyenne en 2000, de 19,4% en Afrique, comparés à 18,9% au Moyen-Orient, 15,1% en Asie-Pacifique, 8,3% en Amérique Latine et 10,9% en Europe. Mais, en dépit de la supériorité de ses marges bénéficiaires, lAfrique na attiré que 1,1 milliards de dollars dinvestissements directs étrangers en 2000, contre 1,9 milliards de dollars au Proche-Orient, 21 milliards de dollars à lAsie-Pacifique, 19,9 milliards de dollars à lAmérique Latine et 76,9 milliards de dollars à lEurope .
La part des investissements réservée à lAfrique est non seulement modique, mais elle est également restreinte au secteur primaire et aux hydrocarbures. Cette situation perpétue lasservissement de la région et à son appauvrissement dus à lexploitation systématique de ses ressources sans contrepartie dinvestissements productifs, de créations demplois et dexportations de biens manufacturés. Autre facteur qui incite à investir en Afrique : lexistence avérée dune main-dœuvre qualifiée. Selon la Commission économique des nations unies pour lAfrique (CEA) et lOrganisation internationale pour les migrations (OIM) 23 000 universitaires et 50 000 cadres supérieurs et intermédiaires quittent chaque année le continent africain tandis que 40 000 africains titulaires dun doctorat vivent déjà hors du continent.
Les deux tiers des étudiants restent dans les pays daccueil après leur formation, faute de perspectives dans leurs pays dorigine. En ce qui concerne lenvironnement, les émissions de gaz carbonique qui sont à lorigine du réchauffement climatique résultent, en grande partie, du modèle de développement de lOccident basé sur lexploitation démesurée des ressources naturelles du patrimoine mondial. La crise financière qui affecte le monde se double dune crise écologique. Sa résolution passera par la restauration dun environnement écologique mondiale viable. Doù lurgence de substituer aux énergies fossiles des énergies propres. Sur ce chapitre, il convient de noter la richesse de lAfrique noire en énergie hydraulique avec des réserves estimées à des milliers de milliards de kilowatts/heure, représentent environ la moitié des réserves mondiales.
Les pertes importantes qui étaient liées au transport de lélectricité sur un réseau de courant alternatif étant désormais maîtrisées grâce aux percées technologiques réalisées en matière de courant continu à haute tension, lexploitation de lénergie hydroélectrique du seul fleuve Congo avec laménagement des barrages dInga et de Kisangani pourrait suffire à satisfaire les besoins en électricité du continent noir, et même ceux des pays dEurope du sud. Mieux encore, quelle que soit lampleur des ressources hydroélectriques que recèle lAfrique, elles sont négligeables comparées à celles quoffre lénergie solaire. Le soleil déverse sur la terre tous les ans léquivalent de 1,5 millions de barils dénergie pétrolière au kilomètre carré. Grâce à la technologie d« énergie solaire concentrée », il suffirait de concentrer lénergie solaire sur une superficie équivalente à 0,5% des déserts chauds, en loccurrence celui du Sahara pour couvrir les besoins du monde en énergie.
Comme on le voit lAfrique serait prête à chausser les bottes de la Chine comme « atelier » du monde. Cela nécessiterait, toutefois, une véritable révolution sociale, culturelle, et éducationnelle. En effet, des traumatismes engendrés par les pesanteurs de lhistoire quont été lesclavage et la colonisation ont résulté en la déstructuration de la personnalité des Noirs. Les complexes dinfériorité, labsence de conscience historique, le manque de confiance et de foi en soi, ont conduit à un comportement empreint de mimétisme, de soumission et de dépendance. Le système de domination institué par lOccident se perpétue en se métamorphosant en « forces internes », à travers les pratiques sociales des dirigeants, des élites, des groupes et des classes locales qui servent les intérêts étrangers. Sil ne fait pas de doute que lAfrique constituerait un des foyers de croissance de lère post-crise, il faudrait cependant deux préalables pour que cela profite à ses populations.
Tout dabord, il faut que lOccident cesse de piller les ressources du continent, dy fomenter des désordres et de sen servir comme prétexte pour y justifier le déploiement de ses forces militaires afin de perpétuer, en toute impunité, une politique doccupation qui date de plusieurs siècles. En parallèle, le continent doit sembarquer dans un vaste programme déducation afin de susciter lémergence dune culture de solidarité et dindépendance, une transformation radicale des mentalités, une restructuration de la personnalité de lhomme noir, une modernisation des sociétés africaines et une révision de la culture prédatrice de lexercice du pouvoir des dirigeants et des élites.
Sanou MBAYE
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