Rencontre Kabila-Kagame à Goma : nécessité d’un « Nuremberg Congolais » (JP Mbelu)

Tourner la page du passé ?

 

A
la rencontre de Goma du 6 août 2009, Paul Kagame a soutenu que la page
du passé devrait être tournée pour que le Rwanda et le Congo regardent
ensemble vers l’avenir. Cet appel de Paul Kagame est suspect. A
plusieurs titres. La page qu’il demande de tourner est celle des crimes
de guerre, des crimes contre la paix, des crimes contre l’humanité et
beaucoup d’autres crimes imprescriptibles, aujourd’hui très bien
documentés. Ces crimes commis au nom du « génocide rwandais » ont fini
par révéler tous leurs secrets. Utilisant « le génocide » comme
prétexte, Kagame, ses escadrons de la mort, ses parrains anglo-saxons
et ses collabos Congolais ont « planifié » une guerre d’agression
visant le pillage des ressources du sous-sol du Congo dit démocratique.
Les preuves de cette guerre d’agression et du soutien constant offert
par Kagame aux différentes rébellions sur le sol congolais existent.
Elles ont poussé certains pays comme la Suède, la Norvège, les Pays-Bas
et le Canada à couper leur aide bilatérale au pays de Paul Kagame
(-sans rompre avec ses parrains). Les dernières déclarations de Lambert
Mende, Ministre la  Communication et des Médias après la publication du rapport
de Global Witness ont été on ne peut plus claires. Pour Mende, ce
rapport venait confirmer les thèses du gouvernement congolais : la
guerre d’agression n’a été et n’est rien d’autre qu’une guerre
économique.

Décider
que cette page de l’agression de nos population, du viol, du vol, des
massacres des masses, etc. soit tournée au nom d’un avenir que Kagame
et Kabila veulent construire ensemble, c’est cracher sur la mémoire de
nos victimes. Et puis, il semble que ce n’est pas à Kagame et à Kabila
qu’il appartient de décréter unilatéralement que cette page soit
tournée. Non. Les voix étouffées de nos millions de victimes doivent se
faire entendre. (Dernièrement, elles se sont fait entendre à Kisangani
en refusant que le Congrès (du RCD) des bourreaux de nos populations se
tienne dans cette ville.)

Souvent,
sur cette question de l’exigence d’une justice juste sur la tragédie
congolaise, nous nous trompons de débat. Des compatriotes mettant
l’histoire tragique de nos populations entre parenthèse estiment que le
Rwanda étant notre voisin naturel, nous ne pouvons pas ne
pas avoir de bons rapports avec lui. Et que toute démarche allant dans
ce sens devrait être encouragée. Ces compatriotes font comme si, avoir
de bons rapports avec notre voisin Rwandais devrait se passer d’une
justice juste rendue à nos millions de morts.

A notre avis, la question essentielle est celle de la recherche de bons rapports dans la justice juste. Les
bases de cette justice juste sont déjà lancées par la décision de la
justice espagnole de poursuivre Paul Kagame et ses escadrons de la mort
devant les cours et tribunaux. Les critiques de Florence Hartmann
contre le fonctionnement du Tribunal Pénal pour le Rwanda à Arusha
(dans Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales,
Paris, Flammarion, 2007), les témoignages de l’ex-congressiste
américaine Cynthia McKinney, la récolte des données faites par Charles
Onana à travers ses différents livres, etc. sont autant d’éléments qui
appellent à la mise sur pied d’un « Nuremberg Congolais ».

Au
fur et à mesure que les années passent (après 1996), la tentation de
l’amnésie devient grande dans le chef de certains de nos compatriotes.
L’attrait de petites solutions faciles et rapides gagne du terrain.
Cela pousse plusieurs d’entre nous à croire que les pyromanes
pourraient devenir des pompiers sans qu’ils ne disent pourquoi ils ont
mis le feu aux poudres ; sans qu’ils assument leur part de
responsabilité dans la tragédie congolaise.

 

Un Nuremberg Congolais

 

L’attrait pour de petites solutions faciles
et rapides peut se justifier dans la mesure où les puissances qui ont
facilité la documentation sur le cas des nazis à Nuremberg en Allemagne
sont celles-là qui ont armé « les tueurs tutsi » contre les Congolais :
la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Cet attrait peut aussi se
justifier par un manque criant de culture générale, de formation et
d’information. De toutes les façons, ces pays téléguidés par les
multinationales nous ont fait la guerre par « les tueurs tutsi »
interposés. Attendre d’eux qu’ils contribuent au rétablissement de la
justice internationale dans les pays des Grands Lacs est une peine
perdue : ils scieraient la branche sur laquelle ils sont assis. Violer
les lois de la justice internationale permet à leurs entreprises de
tourner.

Mais
dans un monde devenu multipolaire, il est toujours possible de recréer
un autre partenariat qui fasse sortir le Congo des sentiers battus. (A
ce point nommé, il y a une révolution qui doit se faire dans les têtes
de la plupart de nos compatriotes ayant une image déphasée des U.S.A en
tant grande puissance. Economiquement, les U.S.A. ont sérieusement
décliné et ont opté pour la prédation. Politiquement, ils ont perdu
toute caution morale et sont devenus inutiles. Géostratégiquement, l’Organisation de Coopération de Shanghai constituée en 2001 est un contrepoids freinant leurs élans impérialistes.  La Russie et la Chine jouent un rôle majeur dans
cette Organisation. L’alternative bolivarienne pour les Amériques
(ALBA) constitue aussi un contrepoids naissant en Amérique Latine. Les
guerres que les U.S.A. ont menées contre les petits pays faibles ou
affaiblis tels que l’Irak et l’Afghanistan en appliquant « la théorie
du fou » suite une recherche nostalgique d’une caution de puissance
militaire déclinante. Lire à ce sujet B. BADIE, L’impuissance de la puissance, N. COMSKY, Les Etats manqués. Abus de puissance et déficit démocratique et E.TODD, Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain.)

Disons
qu’il y a lieu d’aller voir ailleurs qu’aux U.S.A. avec son allié
traditionnel : l’Europe occidentale. Et la grande puissance sur
laquelle les Congolais(es) devraient compter pour un futur « Nuremberg
Congolais » est représentée les masses populaires. Prenons quelques
deux exemples. Elles ont soutenu (et soutiennent) Hugo Chavez contre
« les tout-puissants » U.S.A., leurs multinationales et leurs collabos
vénézueliens. Elles soutiennent le président hondurien Manuel Zelaya
contre les putschistes. A notre avis, le défit éternel du Congo sera
celui d’avoir un leadership responsable, capable de formater et d’être
formaté par les masses populaires souveraines. Il y a encore
suffisamment de travail à abattre dans ce sens à partir d’une éducation
civique suivie et d’une alphabétisation conséquente. Les solutions
classiques d’une élite compradore portée par  les puissances
matérialistes du Nord ont marqué leurs limites : elles favorisent la
répression des masses populaires et la prédation. Elles permettent à
cette élite d’escamoter les lieux de reddition des comptes
indispensables à tout pouvoir pour le peuple.

 

J.-P. Mbelu

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