Une phase cynique ? (JP Mbelu)

 

 

Cette phrase prononcée par Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat Américain, à Kinshasa
hier lundi (10 août 2009). Comme Paul Kagame rencontrant Joseph Kabila
à Goma (le 06 août 2009), Hillary Clinton a demandé aux Congolais de
tourner la page de leur passé de guerre d’agression menée à partir de
l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi, avec le soutien de la
Grande-Bretagne et des U.S.A. (sous l’administration de Bill Clinton,
l’époux d’Hillary).

Le journal Le Potentiel
a publié un article où cette phrase est reprise sous un titre « mal
indiqué » (à mon humble avis) : « Premières déclarations
encourageantes. Hillary Clinton demande aux Congolais de tourner la page ».

Je
défie le Ministre des Affaires Etrangères du Congo, Alexis Tambwe
Mwamba, de se rendre à New York ou à Washington et de tenir le même
discours ; de demander aux Américains de tourner la page du 11
septembre 2001.Cette page pour laquelle « la guerre contre le
terrorisme » a été déclenchée… Je défie Alexis Tambwe Mwamba de se
rendre à Washington ou en Israël et de tenir le même discours en
demandant aux juifs de tourner la page de la Shoa. Qu’il aille à Kigali
demander aux Rwandais de tourner la page du « génocide » de 1994.

Pourquoi
de telles phrases prononcées au Congo peuvent-elles être classifiées
parmi « les déclarations encourageantes » et applaudies ? Pourquoi
applaudissons-nous si facilement ? Qu’y a-t-il d’encourageant dans
cette phrase ? L’appel à gommer de nos vies la référence à un passé de
guerre d’agression menée sur notre sol pour piller nos matières
premières stratégiques par les champions de la défense de l’imposture
démocratique et des droits de l’homme ? Ou plutôt la volonté des U.S.A.
de travailler avec des populations congolaises amnésiques ?

 

Aujourd’hui, plus de 50 ans après les crimes nazis, en Allemagne, un ancien officier nazi vient d’être condamné à perpétuité. « Une
cour d'assises allemande a condamné mardi à perpétuité, pour un
massacre qui avait fait 14 morts en 1944 en Toscane (centre de
l'Italie),
Josef Scheungraber, un ancien officier nazi qui menait depuis une vie paisible en Bavière, dans le sud de l'Allemagne. Josef Scheungraber,
90 ans, était "le seul officier de la compagnie" de l'armée allemande,
qui a tué 14 civils le 26 juin 1944 à Folzano di Cortona en
représailles d'une attaque de partisans, a souligné le président de la
cour d'assises de Munich. Selon le magistrat, il a été reconnu
responsable de la mort de dix d'entre eux dans ce village situé entre
les villes d'Arezzo et Pérouse ». 

Chez
nous, Madame Clinton nous demande de tourner la page d’un passé de plus
de 5000.000 de morts ! Elle nous dit : « Nous voulons travailler avec
des gens pour un meilleur avenir et non avec des gens qui se réfèrent
au passé ». Et puis, notre passé est-il passé ? Les incendies de nos
villages, les massacres de nos populations se poursuivent. Les
humiliations se poursuivent. Après nos filles, nos femmes, nos mères et
nos grand-mères, les démobilisés de l’armée de Kagame et les autres
faux FDLR nous violent, nous les hommes. Et si nous nous référons à ce
passé-présent, les U.S.A. menacent de ne pas travailler avec nous !
Finalement, qui veut travailler avec qui ? Que signifie travailler avec
nous ? Piller nos matières premières stratégiques en armant des bandits
de grand chemin (formés aux U.S.A.), les transformer, les vendre,
mettre cet argent dans les banques où les bandits armés chez nous
déposent le leur. Prendre quelques miettes de cet argent, nous les
prêter pour payer les militaires où les experts américains et
Britanniques qui les instruisent. Puis, réclamer cet argent après avec
des intérêts mirobolants, est-cela travailler avec nous ou du vol
organisé ? Mettre le feu aux poudres et revenir sur le lieu du crime en
versant les larmes de crocodile sans regretter le passé, est-cela
travailler avec nous ? Exiger que les violeurs des femmes armés par les U.S.A. et leurs alliés soient traduits en justice sans que les différentes administrations
américaines et les multinationales impliquées dans la guerre
d’agression faite au Congo le soient aussi, est-cela travailler avec
nous ? Est-il indispensable que le Congo travaille avec les U.S.A. ?
Est-il exclu qu’un autre leadership congolais décide, demain,
d’emboîter le pas à l’alternative bolivarienne pour les Amériques,
noue des alliances stratégiques avec l’Organisation de la Coopération
du Shanghai et remette en question, de manière assez profonde, un
partenariat classique qui n’a causé que des misères aux Congolais
depuis la nuit des temps ?

 

Sur la page Internet où le journal Le Potentiel
publie « les premières déclarations encourageantes » d’Hillary Clinton,
il y a un autre titre : « Réponse à Hillary Clinton. Zimbabwe : Mugabe
accuse les Etats occidentaux de racisme et de division ». Cet article
reproduit quelques déclarations de Mugabe  dont celle-ci :

« L’Occident
cherche à nous diviser et à perturber notre paix. S’il ne veut pas
traiter avec nous, est-ce que nous devrions continuer à vouloir son
aide » ? Robert Mugabe ajoute : « Le Zimbabwe n’a besoin d’être
dépendant d’aucun endroit sur la planète, et encore moins d’anciens
colonisateurs impérialistes et racistes ». Il a encore
ajouté : « Nous ne faisons pas partie de l’Europe occidentale et des
Etats-Unis » (…) en estimant que « les grandes nations » étaient bâties
sur leur propre talent et non pas sur l’aide étrangère » (qui n’est qu’un bluff).

En lisant cet autre article, je me suis dit : « Voilà le courage qui manque
à plusieurs d’entre nous ». Celui d’appeler chat chat. Formatés dans un
esprit de dépendance spirituelle, culturelle, intellectuelle et
matérielle, nous sommes plusieurs à croire dans le miracle d’un
Occident à la fois capitaliste et philanthrope. Bêtise ! L’accumulation
des richesses au Nord marche de pair avec la dépossession des pays du
Sud et le crime. Le discours sur le respect des droits de l’homme et
l’arrestation des criminels des viols de femmes fait souvent partie de
« la doctrine des bonnes intentions » chère aux U.S.A.
(Lire à ce sujet N. CHOMSKY, La doctrine des bonnes intentions,
Paris, Fayard, 2006) Elle est plus forte que les idéologies de
différentes administrations. Elle les traverse. Elle fait partie de
« la voie de l’Amérique ».

Les
pays qui la connaissent et l’ont approfondie ne croient plus dans « les
beaux discours » des Yankee. Ils s’organisent en des grands ensembles
et rompent avec tous les instruments de l’impérialisme moribond des
U.S.A. Castro confiait à la presse il y a quelques jours qu’il est
possible que les Etats-Unis attaquent le Vénézuela à partir de la
Colombie pour « lutter contre la drogue ». C’est-à-dire pour punir le
pays du chef de file de l’alternative bolivarienne pour les Amériques
d’avoir coupé le cordon ombilical en entraînant plusieurs autres pays
de l’Amérique Latine sur la voie de l’autonomie spirituelle,
matérielle, culturelle et intellectuelle.

 

« Nous voulons
travailler avec des gens pour un meilleur avenir et non avec des gens
qui se réfèrent au passé » ! Cette phase de Madame Clinton est pleine
de cynisme ! Parler aux Congolais en ces termes est une façon de leur
nier toute mémoire. Or, un peuple sans mémoire est un peuple sans
histoire et un peuple sans histoire est voué à sa perte. Voilà jusqu’où
pourrait nous mener notre aventure avec nos bourreaux d’hier qui nous
exigent de renoncer à notre passé : à notre perte, à la négation de  notre humanité.

Non.
Non. Nous écrirons notre histoire en conservant toutes ses pages afin
que les générations futures de notre cher et grand pays ne puissent pas
répéter notre passé de guerre perpétrée par « les nations qui se disent
civilisées ». Mais cette histoire qui s’écrit déjà est écrite avec des
larmes de sang à Rutshuru, à Goma, à Minembwe, à Kananga, à Mbuji-Mayi,
à Kisangani, à Shinkolobwe, à Likasi, à Masina, à Luozi, à Kikwit, à
Maniema, à Mbandaka, etc. Elle ne sera pas celle que Washington, Paris,
Londres, Bruxelles, Berlin nous ont toujours dictée ou veulent nous
dicter. Les veilleurs-protecteurs de la mémoire collective de nos
populations sont prêts à donner de leur sang pour que l’écriture de
cette histoire soit nôtre. Sans falsification.

Non.
Personne, mais personne ne nous séparera de notre histoire et de ses
exigences d’une justice juste. Si ces dernières ne sont pas satisfaites
de notre vivant, les générations futures s’en occuperont. L’Allemagne
vient de condamné un nazi plus de 50 ans après son forfait. Pourquoi
pas le Congo ?

 

J.-P. Mbelu

 

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