« ON VA VOUS ECRASER » La Chasse aux Défenseurs des Droits Humains au Congo? (J. Yav Katshung)

En
effet, le 1er décembre 2008, le Président de la République avait reçu
les bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Au sortir de l’audience, le
président de l’Assemblée Nationale de l’époque –Vital Kamerhe- avait reconnu
avoir reçu le rapport et entrevoyait la possibilité d’une mission d’enquête
parlementaire.
Quant au porte-parole du Gouvernement, le Ministre
Lambert Mende, il avait qualifié ces « accusations d'exagérées et de sans
fondement ». Tout en affirmant néanmoins que la justice congolaise
était prête à condamner les auteurs de ce genre d'acte si des preuves étaient
établies. Une année après, peut-on connaître la suite réservée
à ce rapport ? La situation a -t –elle
évolué dans l’entre-temps ?
 

La
situation des défenseurs des droits humains et des journalistes semble indiquer
que le pire n’est pas encore derrière nous. Les informations et nouvelles les
plus récentes viennent malheureusement confirmer chaque jour, le
diagnostic donné dans le rapport de Human Rights Watch
.
D’où l’intitulé de cette réflexion -interpellation « On va
vous écraser » : La chasse aux défenseurs des droits humains au
Congo ?
 pour
fustiger et dénoncer un certain comportement dans le chef de certains animateurs
et acteurs directs et/ou indirects des institutions et services de l’Etat qui agissent en marge des règles de l’Etat de droit, pierre angulaire de
la démocratie.

II. LES
DEFENSEURS DES DROITS HUMAINS : UTILES MAIS EN DANGER

Les défenseurs des
droits humains, ou militants des droits humains, sont des personnes qui,
agissent de multiples façons et à différents titres pour protéger et promouvoir
les droits humains.

 Ils s’efforcent de réduire le
fossé entre, d’un côté, la justice et l’égalité promises dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme et, de l’autre, la réalité des violations des
droits humains telle qu’elle est vécue aujourd’hui.

C’est en effet le 9
décembre 1998 que les États membres de l’ONU ont reconnu comme tels le droit de
défendre les droits humains et, par extension, le devoir qui leur incombe de
protéger les défenseurs de ces droits et de rendre possible leur action.
Ainsi,
l’expression défenseur des droits humains est de plus en plus utilisée.[2] Tout individu
peut être un défenseur des droits humains, quel que soit le métier qu’il exerce:
les défenseurs des droits humains se définissent avant tout par leur action, et
non par leur activité professionnelle.[3]

À l’heure où le
monde se prépare à célébrer le 11e anniversaire de la Déclaration des
Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme , le 9 décembre 2009, la
situation des défenseurs des droits humains en RDC n’est pas rose. En
effet, bien que le droit international
protège désormais les défenseurs des droits humains, l’action qu’ils mènent leur
vaut toute une série de problèmes. Ils sont menacés de mort et torturés;
persécutés et poursuivis en justice; réduits au silence par une législation
restrictive; victimes de disparition ou de meurtre.

Les
militants qui permettent des avancées dans les droits humains sont souvent les
plus exposés au danger, à la moquerie et à la résistance. Ils s’attirent les
foudres des puissants lorsqu’ils remettent en cause la distribution des
ressources économiques et demandent que ceux dont les actions accroissent la
pauvreté et les inégalités soient davantage soumis à l’obligation de rendre des
comptes.

C’est pourquoi ils ont besoin de nous tous.

Des méthodes
usitées pour « écraser » les défenseurs des droits humains

· Des arrestations –détentions arbitraires et « simulacres » de
procès

L’on
peut dans ce chapitre d’arrestations – détentions et simulacres de procès citer
les cas de Golden Misabiko au Katanga et de Robert Ilunga Numbi à Kinshasa. En
effet, au Katanga, dans la capitale du cuivre –Lubumbashi-, le 24 juillet 2009,
Golden Misabiko, président de l’ASADHO/Katanga avait été arrêté par l’Agence
Nationale de Renseignement (ANR/Katanga), à la suite de la publication par son
organisation d’un rapport sur l’exploitation artisanale de la mine uranifère de
Shinkolobwe dans la province du Katanga, en violation du décret présidentiel nº
04/17 du 27 janvier 2004.[4]
Le
25
juillet 2009, il sera transféré du cachot de l'ANR vers le Parquet du TGI de
Lubumbashi. L
e 20
août 2009, le Tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo ordonnera la libération
de Golden Misabiko sous caution, suite à la demande de mise en liberté
provisoire introduite le 19 août par ses avocats, invoquant l'état de santé
précaire de Golden Misabiko et contre l'avis du Parquet. À ce jour, l’on attend
le verdict car, il est poursuivi pour « propagation de faux bruits de
nature à alarmer les populations et exciter celles-ci à se soulever contre les
pouvoirs établis ».

Dans la capitale
Kinshasa, Robert Ilunga Numbi, le président de l’ ONG
«Les Amis Nelson Mandela
»
 fut arrêté  le 31 août 2009 et détenu pendant neuf jours par
l’Agence Nationale de Renseignement (ANR). Il fut transféré respectivement au
Parquet Général de la République, en date du 08 septembre 2009, et au Parquet
Général de Kinshasa/Gombe le 09 septembre 2009. Ce dernier l’a mis sous mandat
d’arrêt provisoire, pour « propagation de faux bruits et diffamation à la suite
de la publication par son ONG d’un rapport dénonçant les conditions de travail
déplorables des travailleurs de la société SGI à Kasangulu dans la province du
Bas-Congo ». Depuis le 11 septembre 2009, il est détenu au Centre Pénitentiaire
et de Rééducation de Kinshasa (CPRK).

· Des SMS et
Emails de menaces de mort et d’intimidations

À Bukavu, Kizito
Mushizi, Directeur de la Radio Maendeleo lance une alerte en date du 10 septembre 2009 que trois journalistes féminines – Kadi Adzuba et
Delphine Namuto de la Radio Okapi et Joly Kamuntu de la Radio Maendeleo –
viennent de recevoir une menace de mort anonyme par SMS libellée ainsi
(traduction): «Vous
avez pris les mauvaises habitudes de vous immiscer dans ce qui ne vous regarde
pas pour montrer que vous êtes intouchables, maintenant certains d'entre vous
vont mourir pour que vous la boucliez. Nous venons d'avoir l'autorisation de
commencer par Kadi; puis Kamuntu puis Namuto: une balle dans la
tête
».[5] 

À
Lubumbashi
, des
animateurs d’ONG font l’objet des menaces de mort très précises consécutives à
leur engagement en faveur de la libération de Golden MISABIKO président en
exercice de l’Association Africaine de Défense des Droits de
l’Homme(ASADHO/Katanga) et l’abandon de toute poursuite contre les défenseurs
des droits de l’homme dans l’exercice de leur mission.[6]

En
effet, c’est en date du 16 septembre 2009 vers 21 heures que Messieurs Grégoire
MULAMBA, Secrétaire Exécutif du CDH, Timothée MBUYA, Vice Président de
l’ASADHO/Katanga et Emmanuel UMPULA, Directeur exécutif de l’ACIDH ont reçu
chacun les mêmes messages en provenance de même numéro téléphonique (00243
993244757) et dont les contenus sont les suivants :

 «
Ton Chef, on l’a déjà déclassé et il reste toi et trois autres ».

 «
Vous pensez être plus malin. Saches que ce ne pas fini. On verra quand vous
serez tous mort comme certains journalistes si vous ferrez encore des marches
».

 « On connaît où tu habites à Kampemba. Tu es le deuxième sur notre
liste »

 « Nous allons nous occuper de toi même si tu as des petits appuis
».

 «
Votre chef de file est déjà condamné et vous êtes le suivant ».

 
Cet
épisode me rappelle un email que j’ai reçu, il y a peu en rapport avec le
travail du « Contrôle Citoyen »[7] en ces
termes : « Monsieur, vous pouvez vous permettre certains excès,
croyant que l'UNESCO vous sera un jour d'un grand secours à la Arthur Zahidi
Ngoma; rappellez vous toutefois le dicton de chez nous a Lubumbashi: « bahati ya
muiko yako si yako »!

  

III. LES « ECRASER » SERAIT VIOLER LES OBLIGATIONS DE LA RDC AU
REGARD DU DROIT INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS HUMAINS

Comme
l’on peut le constater à travers ces quelques cas, il est clair que de plus en
plus, l’on fait recours à la justice pour légitimer des actes ignobles et
dégradants à l’endroit des défenseurs des droits humains. Ainsi, c’est
l’infraction « fourre-tout » de « propagation de faux bruits et de diffamation »
qui est l’arme fatale usitée pour réduire les défenseurs des droits de l’homme
au silence, et anéantir toute critique contre la gestion du gouvernement ou
contre le comportement de certains « intouchables ».
[8]

Il
sied ici de rappeler que la RDC est Etat partie à plusieurs instruments
internationaux et régionaux des droits humains.  Le harcèlement dont les
défenseurs des droits de l’homme font l’objet de la part des services de
sécurité ainsi que de la justice à cause de leur travail pourtant garanti par la
Déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 09 décembre 1998 ainsi
que les crimes commis par les agents et forces de sécurité congolaises, à savoir
les exécutions sommaires, les arrestations arbitraires, les détentions sans
jugement, et les actes de torture et les traitements inhumains, constituent des
violations des obligations de la RDC au regard du droit international relatif
aux droits humains, à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (ICCPR), que la RDC a ratifiée en 1976 ; la Charte Africaine des
droits de l’homme et des peuples, que la RDC a ratifiée en 1987 ; et la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, que la RDC a ratifiée en 1996. Sur le plan interne, ces actions à
l’encontre les défenseurs des droits humains violent aussi les droits
fondamentaux établis par la Constitution, qui est entrée en vigueur le 18
février 2006.

 

IV. QUE CONCLURE ? APPLIQUER LA
« TOLERANCE ZERO » EN CAS DE VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS !

 

De
plus en plus, l’on entend parler de la politique de la « Tolérance Zéro » en RDC
et la population attend avec impatience voir ses effets. En effet, la tolérance
zéro est une
doctrine
visant à punir sévèrement les délinquants à la moindre infraction à la
loi. La
tolérance est ainsi réduite à zéro, il n'y a aucune circonstance
atténuante.

Cette théorie se
base sur deux postulats : Si le responsable d'une infraction n'est pas condamné
immédiatement, il est incité à récidiver ; Si les responsables d'infractions ne
sont pas condamnés pour chaque infraction avec toute la sévérité que la loi
autorise, ils vont progressivement dériver du petit délit au crime.

En acceptant cela,
la seule façon d'empêcher la récidive et l'escalade des infractions est d'agir
immédiatement à chacune d'entre elles. En condamnant immédiatement les
responsables, on persuade ces derniers que toute action contre la société
entraîne une réaction immédiate et le sentiment d'impunité disparaît.
Plusieurs pays appliquent cette méthode depuis longtemps, et la RDC
vient de la proclamer. Espérons que cette politique ne se limiterait pas en un
slogan creux ou en un vœu pieux. Il est donc utile que le gouvernement congolais
et ses démembrements appliquent la « tolérance zéro » dans tous le secteurs y
compris celui des droits humains, en les respectant et en protégeant les
défenseurs des droits humains. Sinon, l’on n’hésiterait pas à qualifier cela d’u
n mauvais signal pour la tolérance zéro. Tel semble être le cas
avec les affaires relevées supra qui témoignent d’une volonté
manifeste d’écraser les défenseurs des droits humains et les journalistes.
Bien plus, devant la gravité
de la violation des droits humains en RDC, plusieurs ONG de défense des droits
de l’homme publient de rapports accablants mettant à nu la responsabilité du
gouvernement, et par lesquels ces faits répréhensibles sont dénoncés. Pendant
que l’on s’attend à la prise de mesures adéquates pour faire cesser ce régime de
négation de la dignité humaine et dans la poursuite de l’action gouvernementale
« tolérance zéro », le gouvernement par ses « apparatus » – au gouvernement
central et/ou provincial- remettent tout en cause par la tenue de propos combien
déconcertants et dénigrant à l’endroit des ONG et des défenseurs des droits
humains.
Un mauvais signal pour la tolérance zéro et une volonté manifeste
d’écraser les défenseurs des droits humains.

À
tous, nous rappelons que toute personne a la responsabilité de protéger les
droits humains. Comme l’affirme la Déclaration sur les défenseurs des droits de
l’homme: 

«Quiconque risque, de par sa profession ou son occupation, de porter
atteinte à la dignité de la personne humaine, aux droits de l'homme et aux
libertés fondamentales d'autrui doit respecter ces droits et libertés et se
conformer aux normes nationales ou internationales pertinentes de conduite ou
d'éthique professionnelle.»

Ceux qui ont pour métier de défendre les droits
humains ont certes de grandes compétences et une solide expérience, mais la
défense des droits fondamentaux est accessible à tout un chacun. Nous avons tous
le potentiel nécessaire pour devenir des défenseurs des droits humains.
Mettons la main à la pâte pour que la tolérance zéro rime avec le respect
des droits humains en RDC !

 

 



[1] Lire le
dossier de 96 pages, "'We Will Crush You': The Restriction of Political Space in
the Democratic Republic of Congo" (« 'On va vous écraser' : La restriction de
l'espace politique en République démocratique du Congo »), ici :
http://tinyurl.com/64c6kn

 

[2] Depuis que l’Assemblée générale des Nations
unies a adopté la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la
responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et
protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement
reconnus
(Déclaration sur les
défenseurs des droits de l’homme).

[3] Certains sont avocats spécialisés dans les droits humains, journalistes,
syndicalistes ou experts en matière de développement. Mais un fonctionnaire
local, un policier ou une personnalité qui s’engagent publiquement en faveur du
respect des droits humains sont aussi des défenseurs des droits humains.

Les
défenseurs des droits humains agissent seuls ou en collaboration avec d’autres,
à titre professionnel ou personnel. Pour beaucoup, la défense des droits humains
s’inscrit dans le cadre d’un engagement existant; mais d’autres deviennent
militants à l’occasion d’une action spécifique.



[4] Les charges retenues contre Golden Misabiko
sont liées à un rapport publié le 12 juillet par l'ASADHO/Katanga au sujet de la
mine d'uranium de Shinkolobwe. Selon ce rapport, des responsables civils et
militaires se sont rendus complices de l'exploitation illégale de la mine de
Shinkolobwe après que le gouvernement a fermé celle-ci en janvier 2004 pour des
raisons ayant trait à la sûreté de l'État et à la sécurité publique. Il indique
également que les autorités de la RDC n'ont pas fait le nécessaire afin de
sécuriser la mine. Par ailleurs, il critique le manque de transparence à propos
d'un accord passé le 26 mars entre le gouvernement et l'entreprise française
AREVA, spécialisée dans l'énergie nucléaire, qui accorde à celle-ci le droit de
prospecter et d'extraire de l'uranium en RDC.

 

[5] Cette menace arrive deux semaines après l’assassinat de
Bruno
Koko Chirambiza, présentateur du journal en Swahili à Radio
Star (privée). Bruno, 24 ans, a été poignardé peu après minuit le
23 août. Cet homicide intervient après ceux de Didace Namujimbo
(novembre 2008), de Serge Maheshe (juin 2007) et Pascal Kabungulu (juillet
2005). L’assassinat de Bruno et les menaces contre
Kadi, Delphine et Joly s’inscrivent dans une détérioration rapide de
l’insécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains. Lire,
l’éditorial d’Echos Grands Lacs, EURAC, « Journalistes et Défenseurs des Droits
Humains: la chasse est ouverte », N° 57 – Septembre 2009

[6] Action urgente: Menaces
de mort contre 4 ONG de Lubumbashi, RD Congo,
Lubumbashi, le 17 Septembre 2009

 

[7] Le Contrôle Citoyen de la RDC, www.controlecitoyen.com

[8] Lire dans ce sens, le communiqué  de Presse de l’ASADHO,
N°031/2009 du 14/09/2009




Dr. Joseph
Yav
———————-
– Avocat – Attorney at Law
– Human Rights
Lawyer and Consultant
– Transitional Justice Advocate
– Professor
(University of Lubumbashi:DRC)

Fax1: + 1 501 638 4935
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Tel:  + 243 817 613 662
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