05.09.09 Le Potentiel: Cinq questions à Makina Malongi (*)
1.Vous
avez publié louvrage « Valeurs culturelles authentiques et
développement matériel – Le nom comme prétexte dun combat, quel est
lobjectif qui a motivé cette réflexion ?
Quand nous parlons de « reconstruction nationale, tout le monde voit
dans ce thème les infrastructures routières, ferroviaires, portuaires
et aéroportuaires, les champs, les hôpitaux, les écoles, les usines,
mais rien dautre. De même, dans la gouvernance, le commun des mortels
voit la finance, largent, ladministration des affaires, le commerce,
léconomie, mais rien dautre. Nexiste-t-il pas de valeurs supérieures
aux valeurs matérielles ? Les unes excluent-elles les autres ? Cet
ouvrage montre quau-dessus des infrastructures matérielles,
économiques, il y a la superstructure, tout le système didées
politiques philosophiques ou idéologiques, juridiques, éducatives
(scolaires et sanitaires), culturelles, religieuses, etc, qui se repose
sur le matériel. Léconomie dort dans le lit de la politique. Les
thèmes de la «remise en question», de la «décolonisation mentale», de
«lafricanisation de lEglise», de la «personnalité africaine», de la «
renaissance africaine », de la « libération culturelle », de l«
indépendance culturelle » qui nous sont si familiers, expriment un
combat philosophique global, dont le nom, ici, est lillustration la
plus concrète.
2. En quoi garder nos noms et rejeter les noms demprunt nous sortirait du sous-développement ?
Cette question est le piège dans lequel sont pris beaucoup de gens
instruits. Encore une fois, le sous-développement nest pas un problème
seulement économique ou technique, il est un problème global, matériel,
intellectuel, mental, spirituel. La reconstruction nationale et la
gouvernance intègrent tous ces aspects du développement de lindividu
et de la société. Si le nom de personne a peu dimportance, pourquoi
ladministration coloniale nous a-t-elle imposé un nom européen à la
place du nom africain, congolais ? Pourquoi lEglise tourne-t-elle le
dos au message évangélique de la Pentecôte des nations livré à
Jérusalem, aux premières heures du christianisme, pour imposer des noms
qui ne sont pas utiles au salut ? Est-ce pour sortir du
sous-développement ? Nest-ce pas, au contraire, pour nous maintenir
dans les rapports de sujétion? Tout comme Dieu dans le jardin dEden
invite lhomme à donner un nom à chaque animal de la terre, afin quil
ait autorité sur lui, lEuropéen et lArabe veulent dominer lAfricain
en mettant sur celui-ci leurs noms comme le sceau de lesclavage. Nous
devons finir avec la culture des « peaux noires, masques blancs ».
Retrouvons-nous nous-mêmes, pensons les choses par nous-mêmes,
débarrassons-nous des schèmes mentaux et des habitudes qui nont
duniversel que la prétention des autres. Il ny a pas de
reconstruction nationale et de bonne gouvernance dans la dépendance
culturelle et politique.
3. La philosophie de lauthenticité prônée par Mobutu a
porté des fruits quon connaît, voulez-vous la remettre en question
aujourdhui?
Je ne sais pas à quels fruits de lauthenticité vous pensez. Oui,
Mobutu sest fait le champion de lunité et de la fierté nationales, de
la revalorisation de la culture nationale. Malheureusement, en
exploitant à outrance laspect folklorique de la culture et en
construisant un monolithisme politique inconnu dans la tradition, il a
versé dans le gaspillage inconsidéré des ressources financières et
économiques du pays et la confiscation des biens des étrangers sous le
prétexte de la nationalisation. Ce qui a culminé non dans lhumanisme
communautaire, mais dans la crise socio-économique qui perdure jusquà
ce jour.
Le patrimoine culturel est vaste, très vaste : la danse, la
musique et les autres arts ne fleurissent en qualité quavec une
politique de qualité et une économie saine et forte. La philosophie de
lauthenticité doit subir en permanence une relecture politique et
contextuelle dans tous les secteurs de la vie (politique, économique,
sociale, artistique, religieuse, etc.). Un exemple : les réformes
politico-administratives entreprises dans le pays depuis 1960
consistent tantôt à augmenter, tantôt à réduire le nombre de provinces
issues de la colonie. Nous navons encore rien pensé par nous-mêmes
dans ce domaine en vue notamment dune part, détablir de nouveaux
rapports entre la population et lélite dirigeante et, dautre part, de
diminuer le temps de réponse à donner aux problèmes qui se posent dans
le pays, à sa base.
4. Le sens de votre combat prendrait tout son poids si vous
écriviez en votre langue maternelle, ou en Kikongo, plutôt quen
français…
Vous avez tout à fait raison. Votre remarque va dans le sens du
livre. Nous devons donner à nos langues une écriture authentique,
défrancisée, éviter décrire par exemple, Cibanda, Tchibanda pour
Tshibanda, Kalonji, Kalondji pour Kalonzhi, Kingungi, pour Kingunzhi,
Soa pour Sowa, etc. La vie des langues congolaises dépend du programme
de lenseignement des langues à lécole, de leur utilisation par et
dans les médias. Il nexiste aucun journal congolais écrit en langues
nationales, et les radios et télévisions présentent le «grand journal
parlé en langue française et la page des nouvelles en «langues ».
Quest-ce que cela signifie ?
5. La Chine est à lhonneur en RDC, croyez-vous quil est
possible de sinspirer de son exemple pour relancer notre créativité,
dans quelle mesure ?
Ce nest pas seulement la Chine quil faut regarder, il y a encore
lInde, le Brésil, lIran, le Pakistan, lAfrique du Sud, le Canada, le
Ghana, le Maroc, la Tunisie, lEgypte, tous ces pays dont les
dirigeants ont su organiser le progrès et le développement doivent nous
inspirer. Quest-ce que je veux dire ? Un dirigeant politique doit être
porteur dun projet social, économique, politique et scientifique pour
son pays et pour le peuple auquel il appartient, il doit aimer le pays
et ses habitants, et accepter les sacrifices pour la grandeur et la
puissance de lEtat et du peuple. La vision authenticiste peut aider le
dirigeant à faire des choix difficiles, dans le seul intérêt de
raffermir lindépendance de son pays, son progrès et son développement.
Démonter et découvrir. Imiter, dépasser et inventer. Cest en cela que
nous pouvons regarder la Chine et les autres pays.
PROPOS RECUEILLIS PAR PY-NENE MAYUMA
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Potentiel