19.09.09 La Tribune.fr -:"L'aide publique donnée à l'Afrique constitue une rente"

Dans votre livre, vous défendez l'idée que l'aide à l'Afrique est en partie responsable des problèmes de développement.
Pourtant, le plan Marshall a été très efficace pour relever l'Europe de la Seconde guerre mondiale…..

Le
plan Marshall était différent de l'aide accordée depuis près de cinq
décennies à l'Afrique. Ce plan de 100 milliards de dollars était très
ciblé et portait sur une période de cinq ans. En Afrique, il n'est pas
question de sortir de l'aide qui est perçue comme une ressource
permanente par les Etats récipiendaires. Cela permet à de nombreux
gouvernements africains d'abdiquer leurs responsabilités puisqu'ils
savent que d'autres financeront l'éducation, la santé ou les
infrastructures nécessaires au décollage économique de leur pays.

Pourquoi l'aide ne marche pas ? 
Au
cours des cinquante dernières années, les pays riches ont déversé 1.000
milliards de dollars d'aide à l'Afrique. Pour quel résultat ? La
croissance est moins forte et la pauvreté n'a cessé de grimper.
Aujourd'hui, plus des deux tiers des Africains vivent avec moins d'un
dollar par jour. L'aide des grands bailleurs de fonds, qu'il s'agisse
de la Banque mondiale, des agences de développement ou encore de l'aide
bilatérale, nourrit la corruption, alimente l'inflation, mine les
services publics. Aux Etats-Unis, un slogan affirme qu'il ne peut pas y
avoir d'impôts sans représentation. En Afrique, c'est l'inverse. Les
populations ne sont pas représentées car elles ne payent pas d'impôt.
Nicolas Sarkozy se soucie de savoir ce que les Français veulent car il
sait que l'action de gouvernement dépend de sa capacité à lever
l'impôt. Les pays africains dépendant de l'aide n'ont pas à s'inquiéter
de ce que souhaite véritablement la population puisque leurs ressources
dépendent d'impôts levés à l'étranger.

Selon vous, la démocratie n'est pas indispensable au décollage économique, un dictateur éclairé serait parfois préférable… 
Les
parcours de la Chine, de Singapour ou encore du Chili illustrent le
fait que la démocratie n'est pas un préalable au développement
économique. Pas question pour moi de faire l'apologie de la dictature
ou des régimes autoritaires. Mais la démocratie est un régime politique
qui ne peut que se développer qu'avec l'émergence d'une classe moyenne
en position de demander des comptes au pouvoir. Les pays occidentaux
ont d'ailleurs pris acte de l'échec de la démocratie dans de nombreux
pays africains. Au Kenya ou au Zimbabwe, la communauté internationale
s'est efforcée de rapprocher la majorité et l'opposition pour qu'ils
exercent le pouvoir ensemble. Il n'y a plus aujourd'hui d'opposition au
Zimbabwe.

Que faire ? 
L'aide
des pays riches n'a jamais permis de sortir un pays de la pauvreté.
Elle est un obstacle au développement car elle constitue une rente au
même titre que le pétrole ou d'autres matières premières. C'est une
incitation à ne rien faire pour améliorer l'environnement économique.
Regardez le rapport annuel de la Banque Mondiale, "Doing Busines".
Année après année, il montre que c'est en Afrique que l'environnement
des affaires est le plus compliqué. Aussi longtemps que ces pays
recevront de l'aide, ils n'ont aucune incitation à mettre en œuvre les
réformes nécessaires.

Ne peut-on
pas expliquer les difficultés du continent par la période coloniale ? 

Combien
de temps faudra-t-il attendre pour ne plus recourir à cette explication
? Cent ans ? Cela n'a rien à voir. La Chine, l'Inde, l'Indonésie ont
été colonisés. Cela ne les empêchent pas de se développer rapidement
aujourd'hui.

Si l'aide est un échec, pourquoi les pays riches continuent de déverser autant d'argent en Afrique ?
Il
faut souligner le poids des valeurs religieuses imprégnant le champ
politique. Il y a comme un impératif moral pour les pays riches à aider
les pays pauvres. Or, c'est une erreur de penser que le seul moyen
d'aider l'Afrique est de l'assister financièrement. Les économies
africaines tireraient un bien meilleur avantage d'une ouverture du
marché européen à ses produits, notamment agricoles. Mais pour cela, il
faudrait revoir la politique agricole commune (Pac) ce qui aurait pour
conséquence de mettre les agriculteurs dans la rue et un grand nombre
d'entre eux au chômage.

Que proposez-vous ? 
Nous
disposons de trois siècles d'expérience en matière de développement
économique. Nous savons désormais ce qui marche et ce qui ne marche
pas. La question qui se pose aujourd'hui est comment pousser les
gouvernements africains à mettre en place les bonnes politiques. Il
faut donc les préparer à la fin de l'aide. Les pays riches pourraient
leur proposer un doublement de l'aide pendant dix ans avant d'y mettre
un terme. Cela serait plus efficace que la perspective d'une aide
permanente.

La Chine est de plus en plus présente en Afrique.. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? 

Elle
n'est pas en Afrique par charité mais pour y faire des affaires. Les
Chinois ne donnent pas leur argent sans retour. Ils y sont pour les
ressources naturelles qu'il s'agisse du pétrole, du cuivre ou des
terres arables. Mais les investissements chinois se diversifient très
rapidement vers d'autres secteurs comme la banque. Les Africains ont
besoin de travail. Est-ce que l'aide des pays riches a permis de créer
les emplois dont les jeunes en particulier ont besoin ? La réponse est
clairement non ! Les entreprises chinoises viennent parfois avec leurs
propres salariés, mais elles ont contribué à créer de nombreux emplois.
Une enquête réalisée par l'Institut Pew dans dix pays africains révèle
que la Chine dispose d'une très bonne image en Afrique. Au Sénégal et
au Kenya, par exemple, neuf personnes sur dix estiment qu'elle a une
influence positive sur leur économie.

 

"L'aide fatale", éditions JC Lattès, 280 pages, 20 euros.

Propos recueillis par Xavier Harel et Robert Jules

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