2009 Chonologie commentée de la guerre du Kivu (Janvier-Août 2009) par Alain Bischoff*

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La présente chronologie de la guerre du Kivu fait suite à celle déjà établie pour la période d’août à décembre 2008 et publiée le 31 décembre 2008 sur le site d’Afriqu’Échos Magazine (AEM).

Le renversement des alliances

Janvier

5 : Le général Bosco
Ntaganda , chef d’état-major du Conseil national pour la défense du
peuple (CNDP), recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour
crimes de guerre, annonce à la BBC que Laurent Nkunda, Président du
CNDP, est démis de ses fonctions.

8 : La confusion règne au
sein du CNDP : alors que Ntaganda confirme avoir « renversé » Nkunda,
le porte-parole du mouvement, Bertrand Bisimwa, affirme que « cette
destitution est une supercherie ». Cependant, la visite à Kinshasa (8
janvier) du chef d’état-major rwandais James Kabarebe concrétise le
rapprochement entre Kigali et Kinshasa et fait suite à l’accord signé
le 5 décembre 2009 entre la République démocratique du Congo (RDC) et
le Rwanda qui prévoit un plan conjoint pour désarmer les Forces
démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), jusque là supplétifs
occasionnels des forces armées congolaises ; les détails de ce plan
n’ont pas été rendus publics mais il apparaît qu’il doit permettre à
l’armée rwandaise d’intervenir au Nord-Kivu aux côtés des Forces armées
de la République démocratique du Congo (FARDC) pour traquer les FDLR et
qu’en contrepartie Joseph Kabila obtiendrait la mise à l’écart de
Laurent Nkunda ; ainsi s’expliquerait le putsch mené par Ntaganda
contre Nkunda devenu trop encombrant et sacrifié sur l’autel des
intérêts aujourd’hui convergents de Kigali et de Kinshasa.

16 :

* Depuis l’hôtel Ihussi de Goma, la délégation du CNDP
emmenée par Ntaganda déclare la fin des hostilités entre le CNDP et les
FARDC en présence, notamment, du ministre congolais de l’Intérieur et
de James Kabarebe pour le Rwanda.

* Le même jour à Paris, à l’occasion de ses vœux au
corps diplomatique, le président français Nicolas Sarkozy propose un
« plan français de fin de guerre » prévoyant notamment une exploitation
commune par le Rwanda et la RDC des richesses minières du Kivu (voir
Alain Bischoff, « Le plan de paix français pour le Kivu : la
présomption de N. Sarkozy » LePotentiel, 19/01/2009 à peine démarqué de celui présenté par un consultant américain, Herman J. Cohen, dans le New York Times du 16 décembre 2008
(« Can Africa Trade Its Way to Peace » prévoyant l’instauration d’un
« marché commun » entre six pays de l’Afrique centrale et de l’est,
dont la RDC et le Rwanda, qui garantirait aux pays membres « l’accès
aux ressources minières et forestières du Kivu » et qui « permettrait à
la RDC d’utiliser les ports de l’Océan indien qui sont le débouché
naturel des produits du Congo oriental plutôt que ceux de l’Océan
atlantique, à plus de 1600 km de là » (voir Alain Bischoff, « Les
dangereuses élucubrations de Monsieur Herman J. Cohen », AEM, 17/01/2009 ; l’initiative française qui, semble-t-il entérine une « balkanisation » de la RDC, provoque un tollé à Kinshasa.

17 : Les Maï-Maï annoncent l’arrêt des hostilités avec le CNDP.

19 :*Le commandant de la
8ème région militaire des FARDC au Nord-Kivu annonce l’ouverture d’un
« centre de brassage » à Mushake (Nord-Kivu) pour accueillir les
combattants du CNDP et les miliciens Maï-Maï du PARECO (Patriotes
résistants congolais) désireux d’intégrer l’armée nationale.

* Invité à s’expliquer au ministère des Affaires
étrangères à Kinshasa, l’ambassadeur de France en RDC déclare que les
propos (16 janvier) de Nicolas Sarkozy sur la paix au Kivu, ont été mal
interprétés.
20 : Un contingent rwandais estimé à environ 2000 hommes entre en RDC,
« sous le commandement de l’armée congolaise » selon la ministre rwandaise de l’Information, , dans le cadre de l’accord du 5 décembre qu’elle présente comme « 
le fruit d’efforts récents, intenses et sincères – diplomatiques,
militaires et autres – de la part de divers acteurs, pour ramener la
paix et la stabilité dans la région
 ». Pour l’Union européenne, Louis Michel déclare qu’il s’agit du « début de la solution aux problèmes de la région des Grands Lacs. » La MONUC, tenue à l’écart des opérations militaires conjointes contre les FDLR, exige la prise en compte de « la protection des civils et le respect du droit humanitaire ». Selon le porte-parole du gouvernement congolais, « les opérations pour désarmer les FDLR doivent durer de dix à quinze jours. »

21 : Le président de
l’Assemblée nationale de la RDC, Vital Kamerhe, déplore de n’avoir pas
été informé du déclenchement de l’opération et qualifie de « grave »
l’entrée de soldats rwandais dans l’Est du Congo en s’inquiétant de « l’état d’esprit des populations congolaises qui viennent à peine de sortir du traumatisme rwandais » provoqué par une succession de rebellions locales soutenues par Kigali depuis 1996.

22 : Laurent Nkunda est arrêté au Rwanda.

28 : La MONUC annonce qu’elle va donner « un appui logistique » aux FARDC.

31 : Joseph Kabila annonce que le processus d’extradition de Laurent Nkunda est en cours.
L’ « accord de Ihussi » consacre la fin « officielle » de la guerre du Kivu

Février

4 : La nouvelle direction du CNDP fait savoir que son combat se poursuivra « par des moyens purement politiques (…) dans le respect de la Constitution et des lois de la RDC ».

7 : Le gouvernement rwandais indique que Laurent Nkunda « retournera finalement au Congo » ; Rosemary Museminali, ministre rwandaise des Affaires étrangères précise que « les conditions et la date » de ce retour en RDC seront étudiées par « une équipe comprenant des représentants des deux parties ».

12 : Depuis Goma le
médiateur de l’ONU pour l’Est de la RDC , Olusegun Obasanjo déclare,
sans indiquer de date, que les négociations de Nairobi entre Kinshasa
et le CNDP vont reprendre et seront élargies aux autres groupes armés.
La MONUC estime que près de 800 ex-combattants des FDLR et leurs
familles ont quitté le Nord-Kivu pour rentrer au Rwanda.

15 : Le général congolais John Numbi annonce que les forces conjointes rwando-congolaises ont pris « le contrôle des cités de Nyabiondo et Kashebere » (à 50 km au nord-ouest de Goma) qui constituaient une « grande forteresse » des FDLR.

25 : Les 1500 premiers
soldats rwandais quittent le territoire de la RDC, ils seront suivis
par d’autres le 26 ; dans la soirée du 25, une cérémonie officielle à
Goma célèbre l’alliance nouvelle entre Rwandais et Congolais ; Charles
Mwando Nsimba, ministre de la Défense de la RDC estime que « le Rwanda et la RDC peuvent bâtir un avenir commun dans la paix et la souveraineté de chacun ». La ministre rwandaise des Affaires étrangère ajoute que l’ opération menée depuis le 20 janvier contre les FDLR ont «  offert un espoir de paix durable et de stabilité dans la région ».
Selon le général Numbi, l’opération « Umoja Wetu (« notre unité » en
swahili) aurait fait 153 morts parmi les FDLR et quelque 5000 FDLR dont
1300 combattants et leurs familles, ajoutant que « l’ennemi n’a pas été totalement détruit mais ses capacités opérationnelles ont été sensiblement réduites ».

Mars

23 : À Goma, toujours
depuis l’hôtel Ihussi, en présence du médiateur de l’ONU et du
représentant de la MONUC, le gouvernement congolais et Le CNDP signent
un accord de paix prévoyant la transformation du CNDP en parti
politique, la libération des membres de l’ex-rébellion détenus par les
autorités congolaises et la promulgation par Kinshasa d’une loi
d’amnistie des anciens rebelles.

La France fait son marché à Kinshasa

25 : Vital Kamerhe, pressé par J. Kabila, démissionne de ses fonctions de président de l’Assemblée nationale.

26 : * Suspecté de
vouloir se réconcilier avec le Rwanda sur le dos de la RDC en appelant
au démembrement du pays par la création d’une sorte de « marché
commun » rwando-congolais au Kivu, Nicolas Sarkozy est accueilli sans
enthousiasme à Kinshasa. Afin d’effacer l’effet désastreux de ses
propos du 16 janvier, le président français apporte clairement son
soutien à J. Kabila et qualifie de « décision courageuse »
la demande d’intervention militaire faite au Rwanda pour traquer les
FDLR. Pour achever de disperser le malentendu, Sarkozy assène que « la souveraineté [du Congo] ne peut plus être bafouée », et que « les richesses [du Congo] ne peuvent plus être exploitées dans la plus grande illégalité ». Le soutien français affiché par Sarkozy, qui se déclare «  ami fidèle »
du Congo est le bienvenu pour Kabila, très critiqué à Kinshasa pour
avoir permis aux Rwandais d’entrer à nouveau en RDC , malgré la
réussite, au moins formelle, de l’opération « Umoja Wetu ». Le
président congolais doit faire face à la colère d’une opinion très
anti-rwandaise, ainsi que de celle du président de l’Assemblée
nationale, Vital Kamerhe, furieux de ne pas avoir été prévenu de la
mise en œuvre du plan de l’accord rwando-congolais du 5 décembre.

* En échange de l’appui français à sa politique de
réconciliation dans les Grands Lacs, Joseph Kabila a laissé son
homologue français faire son marché en RDC : Areva prospectera les
mines d’uranium de RDC, Vinci a gagné l’appel d’offres pour la
rénovation de l’aéroport de N’Djili (au détriment des Chinois qui ne
conservent que la réhabilitation de la piste), enfin, des conditions
favorables pour l’implantation de France Télécom sont créées et des
avancées faites pour la venue en RDC des Ciments Lafarge, d’Alstom
(pour la réhabilitation de la centrale hydroélectrique d’Inga II), de
Suez et Veolia pour l’eau et l’électricité.

Les écluses de sang du Kivu sont toujours ouvertes

Face à une opinion publique de plus en plus nerveuse et
hostile les Rwandais sont rentrés chez eux plus vite que prévu.
Aussitôt les FDLR en ont profité pour regagner leurs fiefs du
Nord-Kivu, en se livrant à des représailles sanglantes contre les
civils congolais accusés e complicité avec les FARDC et l’armée
rwandaise. L’ONU estime à 30 000 les personnes qui ont du fuir le
retour des FDLR.

Avril

11 : L’ONG Oxfam dénonce
des « tragédies humaines [qui] se produisent dans des régions éloignées
loin des caméras ; Alan Doss, chef de la MONUC, estime qu’ « il
faut neutraliser les FDLR et les couper de leurs revenus, des mines et
des marchés qu’ils contrôlaient (…) Les FDLR sont rarement dans les
carrières, mais ils sont armés, brutaux et arrivent à contrôler, à
piller, à mettre des barrages. Ils tentent de se réinfiltrer
 ».

17 : 25O maisons sont brûlées par les FDLR à Luofu (Nord-Kivu).

Mai

Nuit du 9 au10 : attaque
de Busunguri (Territoire de Walikale, Nord-Kivu) par les FDLR, causant
la mort de 62 personnes, en blessant 25 autres.

14 : 90 morts lors d’une attaque par les FDLR d’un village au Sud-Kivu.

19 : Human Rights Watch (HRW) accuse le commandement des FARDC de couvrir ou d’être complice de crimes sexuels « endémiques » en RDC ; depuis janvier, les cas de viols au Nord et au Sud-Kivu « 
ont doublé ou triplé » selon le rapport d’HRW (rendu public le 16
juillet) intitulé « Les soldats violent, les commandants ferment les
yeux
 ».

Juin/Juillet

Nuit du 30 juin au 1er juillet : au cours d’un affrontement entre les FARDC et les FDLR, le village de Miriki est incendié, 130 maisons ont brûlé.

21 : Un rapport de 115 pages de Global Witness (« Face à un fusil que peut-on faire ? La guerre et la militarisation du secteur minier dans l’est du Congo
] » accuse des sociétés étrangères (belges, britanniques, russes,
chinoises, indiennes) d’acheter des minerais aux groupes armés qui
contrôlent de nombreuses zones minières de l’Est du Congo et ainsi de
favoriser la permanence des conflits dans les Grands Lacs.

25 : *Après la
désignation, en juin, par le Rwanda de son ambassadeur en RDC, le
ministre congolais des Affaires étrangères, Alexis Tambwe, annonce la
nomination d’un ambassadeur de la RDC à Kigali. L’échange de diplomates
est qualifié comme «  quelque chose d’ extrêmement capital pour la sécurité de l’Est ».

Août

6 : Rencontre à Goma des
présidents Kagamé et Kabila qui, selon le communiqué final lu par le
ministre congolais de la Coopération, Raymond Tshibanda, « ont passé en revue toutes les questions d’intérêt commun » et qu’ « afin
de marquer une toute nouvelle ère et de renforcer leurs relations
bilatérales [il a été] décidé de relancer les activités de la grande
commission mixte Rwanda-RDC qui est restée en veilleuse depuis plus de
21 ans
 ».

Cette rencontre intervient alors que la Secrétaire
d’État américaine, Hillary Clinton, a débuté le 5 août une tournée
africaine qui la conduira au Kenya, en Afrique du Sud, en Angola, en
RDC, au Nigeria, au Libéria et au Cap Vert.

Le retour des États-Unis en RDC ou comment expliquer la guerre du Kivu

|*Alain Bischoff

 [1]

 

Notes:

[1] * Alain Bischoff
(auteur de Congo-Kinshasa, la décennie 1997-2007, Paris, Éditions du Cygne, avril 2008, 239 p.)

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