Les limites de l'électricité verte, par Matthieu Patout
Le mythe de l'électricité bienfaisante et propre est ancien,
pratiquement autant que l'usage à grande échelle de l'électricité elle
même. Le premier réseau électrique
à entrer dans les habitations des particuliers a permit de chasser les
lampes à gaz des maisons, et les nuisances et noirceurs provoquées par
ces lampes. Les maisons étaient ainsi plus propre et plus sûr, grâce à
l'électricité.
Pourtant les générateurs produisant cette l'électricité brûlaient plusieurs tonnes de charbon
et rejetaient des dizaines de m³ d'eau particulièrement sale chaque
jour, à quelques rues de là. Une pollution bien réel, mais hors de la
vue immédiate. Une mise en place du principe de pollution délocalisée.
Aujourd'hui le charbon est devenu plus difficile et moins rentable à
exploiter, mais c'est l'énorme pollution provoquée par sa combustion
pour produire de l'énergie qui dérange les pouvoirs publics et une
majorité de citoyen-ne-s, après bien des années de laissez-faire,
provoquant un engouement sans précédent pour les énergies dites
"renouvelables".
Il ne faut pas pour autant enterrer les énergies fossiles, le
charbon en particulier dont les réserves sont énormes (estimée à 900
milliards de tonnes, dont 480 de charbons bitumineux). Il est encore
aujourd'hui la première source d'énergie pour les centrales électriques
en Chine (80 % de la production d'électricité passe par la combustion
de charbon), en Inde (70 %) ou au États-Unis (50 %)[1].
Il est également très utilisé en sidérurgie, et dans une moindre mesure en cimenterie.
Ainsi il semble très probable que l'exploitation du charbon puisse
croitre dans les décennies à venir, avec pour seul frein les impératifs
écologiques, qui n'émeuvent que peu les industriels… Les projections
de l'US Energy Information Administration
prévoient que le charbon servira à produire 1 000 milliards de
kilowattheures d'électricité supplémentaire d'ici à 2030, uniquement
dans les centrales états-uniennes.
Les énergies renouvelables
Au premier rang des énergies renouvelables on trouve les énergies éolienne et solaire, suivie par l'hydroélectricité et la biomasse.
La production d'énergie éolienne est par exemple passé de moins de 1
millions de Kilowatt en 1990 à près de 17 millions en 2005[2] et le paysage français se couvre lentement de parcs éoliens. Dans le même temps, les projets de centrales solaires photovoltaïques se multiplient, comme dans le Gers à Ordan Larroque et Saint-Clar, ou à plus large échelle avec le plan solaire méditerranéen.
Ces énergies offrent l'énorme avantage de ne pas polluer (ou très peu) une fois le système de production mit en place.
Pourtant, il semble malgré cette apparente propreté que le tableau
soit bien plus noir que prévu concernant la production et l'usage de
l'électricité verte.
Un exemple frappant est le bilan énergétique de la Prius, une voiture hybride
essence-électricité présentée comme une référence en matière de
développement durable. Cette voiture "écologique" a, selon une étude de
l'association Dust to Dust publiée en 2007, un bilan énergétique proche
ou supérieur à d'énorme 4×4 comme la Land Cruiser ou la Porche Cayenne
(voir ce PDF provenant de www.cnwmr.com ) !
Cette étude sur le bilan énergétique de la Prius est controversée,
particulièrement par les industrielles du secteur automobile. Mais
n'oublions pas, par exemple, qu'en 1994 les brillantes Académie des sciences et Académie de Médecine en France soutenait l'innocuité de l'amiante…
Alors quel crédit donner aux propos des industrielles protégeant leurs intérêts ?
Comment peut-on en arriver là ?
La multiplication des sources alternatives de productions
d'électricité provoque une pression jamais atteinte sur les ressources
minières, en particuliers le cuivre, le cobalt et le lithium,
trois métaux très utilisés dans la construction de système de
production d'électricité, mais aussi dans de très nombreux appareils
électroniques. Cette pression amène une multiplication des mines à
travers le monde, exploitées par de grands groupes occidentaux (comme
le suisse Xstrata ou le français Areva) sans aucun respect, ni de l'environnement, ni des populations locales.
Concernant le cuivre
Sachant qu'une éolienne de 1,4 MégaWatt contient 4,4 tonnes de
cuivres et que les cellules photovoltaïques contiennent environ 4
kilogrammes de cuivre par KiloWatt, 65 % de la production est destinée
à la production d'électricité ou à son acheminement. Le cuivre est
également employé massivement pour le câblage des réseaux téléphoniques
et Internet. Le réseau ADSL des États-Unis fait trois milliards de
kilomètres !
Certaines mines de cuivres à ciel ouvert sont particulièrement impressionnante, comme celle de Palabora en Afrique du Sud ou celle de Chuquicamata au Chili.
Elles sont aussi dangereuses.
Le trou béant de la mine de Palabora, qui fait environ 800 mètres de
profondeur, a vu sa paroi nord s'effondrer. Cette mine n'est plus
exploitée depuis 2002, sauf pour l'exploitation souterraine. Que faire
aujourd'hui de cette friche industrielle gigantesque et instable ?
Concernant le cobalt
On estime que 40 % de la production de Cobalt est destinée à
l'énergie électrique. L'exploitation du cobalt est à l'origine de grave
trouble en République Démocratique du Congo, dans la région du Katanga
(qui est également une source très importante de cuivre), suite à la
cession des concessions minières à de grands groupes internationaux,
puis à l'éviction des petits exploitants locaux. Le documentaire Katanga Business du réalisateur Belge Thierry Michel illustre cette nouvelle colonisation économique de la région.
En 2004, l'ONG Global Witness,
spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles,
a publié le rapport "Ruée & ruine : le commerce dévastateur des
ressources minières dans le sud du Katanga" (PDF).
Patrick Alley, le directeur de Global Witness déclare : « le pillage
des ressources naturelles de la RDC continue de mettre en péril les
opportunités de paix, de stabilité et de développement du pays. »
La corruption, les extorsions, les exportations illicites et surtout
les conditions de travail effroyables sont le commun de cette région.
« Des dizaines de creuseurs sont décédés ne serait-ce qu'en 2005,
essentiellement après avoir été bloqués à la suite de l'éboulement d'un
puits de mine », précise Patrick Alley. « Personne ne mène d'enquête
sur ces morts ni n'agit pour empêcher que de nouveaux accidents ne se
reproduisent. Le gouvernement semble ne manifester que de
l'indifférence face à la tragédie de ces creuseurs, et les sociétés de
négoce n'ont aucun scrupule à acheter des produits extraits dans de
telles conditions, en sachant pertinemment que les creuseurs risquent
leur vie au quotidien. »
Cette situation existe, et est maintenu par les exploitants
occidentaux et africains, pour nous permettre de consommer
l'électricité produite par nos éoliennes et panneaux solaires, de
consommer notre électricité "propre".
Concernant le lithium
Le lithium arrive en force sur le marché des métaux depuis quelques
années, en 5 ans son prix a été multiplié par 10, passant de 350 à
3000 € la tonne. Ce métal rare est primordial pour le domaine très
porteur des batteries en tout genre. Il permet en effet de réduire
considérablement la taille des batteries tout en augmentant leurs
capacités de stockage.
Les mines en exploitation sont rares et bientôt épuisées, mais il
existe une réserve énorme en Bolivie (50 % des réserves mondiales
connues), au lac salé de Salar de Uyuni, qui fait saliver les grands groupes miniers internationaux.
Vincent Bolloré c'est allié au groupe minier français Eramet
pour faire des proposition d'exploitation de ce gisement, soutenu par
la présidence française actuelle qui multiplie les courbettes à l'égard
d'Evo Morales, le président Bolivien.
L'uranium et le cas particulier de la France
La France tient un place à part dans le monde au sujet de
l'électricité, puisque que la part mondiale d'électricité nucléaire est
de 20 % du total de l'électricité produite, contre 76,9 % en France.
L'usage massif de l'électricité nucléaire dans ce pays a entrainé la
création d'un champion de la destruction environnemental, Areva, qui
exploite population et nature à la recherche d'uranium, puis pollue pour des centaines d'années (voir des milliers pour les déchets MAVL) des sites d'enfouissements de déchets.
L'uranium voit
ses réserves fondre, et on estime qu'elle représente de quoi faire
fonctionner le parc actuel de centrales nucléaires pendant 70 ans. Les
ravages causés par la course à l'uranium qu'engendre cette pénurie à
venir sont bien connus, en particulier ceux causés par Areva au Niger
(voir cette article de Anna Bednik dans le Monde Diplomatique ou cette page de blog.mondediplo.net).
La vallée de Quebrada de Humahuaca en Argentine, pourtant classée au Patrimoine Culturel et Naturel de l'Humanité en juillet 2003 par l' UNESCO,
est sous la menace des multinationales minières, qui déposent de
multiples demandes de prospection (une cinquantaine fin 2008) sur
l'ensemble de la Cordillère. Le gouvernement Argentin est favorable au
nucléaire, et tout comme pour le cuivre ou le cobalt, la hausse des
prix rend l'exploitation de l'uranium rentable dans des lieux jusque là
relativement épargnés, ce qui laisse présager du pire.
Vous trouverez de nombreuses informations sur la lutte contre l'exploitation de l'uranium dans la province Argentine de Jujuy sur dunplateaualautre.over-blog.com/.
Conclusion
Ainsi, il semble une fois de plus que la bonne conscience écologique
en occident passe par l'exploitation et la destruction des ressources
naturelles et des populations proches des gisements exploités par les
multinationales de ces "riches" pays occidentaux. Rien n'est envisagé à
haut niveau politique pour renverser cette situation. Quand à la remise
en cause de notre mode de vie destructeur, gaspilleur et insoutenable à
l'échelle planétaire sur le long terme, il se trouve systématiquement
effacé au profit de nouveaux miracles scientifiques permettant de le
préserver.
Cet aveuglement ne pourra pas durer bien longtemps…
Si vous aimez les documents statistiques, le Statistical Review of World Energy 2009, fournit par la société BP est une… mine pour se rendre compte de la pression sur les ressources minières.
Je vous invite également à lire le formidable article d'Alain Gras, intitulé "L'électricité verte ?", paru dans le numéro 29 (Juillet-Septembre 2009) de la revue L'Écologiste.
Au sujet de l'exploitation de l'uranium en Argentine, l'article "Argentine: alerte à l'uranium, la Quebrada de Humahuaca, un site naturel menacé" de Roger Moreau, paru de la revue du réseau Sortir du nucléaire (n°40 – novembre 2008), et particulièrement instructif.