01.10.09 Le Potentiel: Cinq questions à Akere Muna (* )

1. La corruption en Afrique est-elle une fatalité?

Non, la corruption repose sur un système et c’est ce dernier qui est
en cause. Au niveau économique d’abord, les transactions se font
essentiellement en espèces. Or, toute économie qui repose sur la
circulation d’argent liquide facilite la corruption. Si on généralisait
par exemple la carte de crédit pour les fonctionnaires en déplacement,
les choses seraient plus claires. On verrait les montants dépensés, les
jours de mission… C’est mieux que de se déplacer avec des valises de
billets ! Sur le plan institutionnel, ensuite, les dirigeants
politiques ont tendance à privilégier ceux qui leur permettent de
rester en place au lieu de construire des écoles, des hôpitaux… Si le
pouvoir émanait réellement du peuple, s’il était légitime et non pas
seulement légal, cela changerait forcément les choses. Quand la
démocratie commence à fonctionner, la corruption est en recul: regardez
le Ghana, le Botswana… Autre idée importante, dans bon nombre de
pays, les gens corrompus doivent souvent, un jour, en répondre devant
la justice. Chez nous, ils sont protégés car ils financent le système.

2. Difficile dans ces conditions de changer le système…

Une lutte efficace contre la corruption doit s’appuyer sur une
coalition entre le secteur privé, la société civile et, dans une
moindre mesure, l’Etat. Car compter sur les dirigeants politiques,
c’est comme demander au poisson de voter les budgets pour l’hameçon !

3. Et si la corruption était un facteur de croissance économique? C’est une thèse défendue à propos de la Chine.

Non, car ce sont les pauvres qui souffrent de la corruption. En
Afrique, les plus démunis dépendent de la santé, de l’éducation…
C’est même une question de survie. Or celui qui ne paie pas la douane
ou ses impôts ne finance pas les routes, les écoles ou les hôpitaux.
Plus grave – contrairement, par exemple, à l’Indonésie, où les généraux
corrompus ont investi dans leur pays -en Afrique, l’argent s’évapore et
part à l’étranger.

4. Dans les pays du Nord, qui ont donc une responsabilité…

Je suis toujours offusqué lorsqu’on met en accusation un Africain
sans parler des banques qui accueillent l’argent. Si quelqu’un dépose
des millions de dollars, on sait très bien que ce n’est pas son salaire
! La banque se trouve alors en situation de recel. En droit, un voleur
et un receleur sont condamnés au même titre. On devrait donc exercer la
même pression sur les établissements financiers du Nord que sur les
pays supposément corrompus. Par ailleurs, pourquoi l’argent suspect
n’est pas placé sur des comptes sous séquestre lorsqu’il y aune
enquête? Les dossiers d’instruction se baladent dans les tribunaux, les
banques conservent cet argent et touchent les intérêts! Ce fut le cas
durant la procédure de restitution des fonds de la famille Abacha au
Nigeria. Et pour l’affaire des «biens mal acquis en France, qui sont
par exemple les agents immobiliers qui ont servi d’intermédiaires?

5. Dans ces conditions peut-on croire aux pressions internationales?

Je suis contre les pressions lorsqu’il s’agit de conditionner voire
de suspendre l’aide, car ce sont les populations qui en pâtissent. Cela
étant dit, il faut bien sûr exercer des pressions sur nos gouvernants
pour qu’ils mettent en place des systèmes plus transparents. Mais à
condition que ce travail soit aussi fait au Nord. Le trafic d’armes,
par exemple: qui fabrique, qui vend? Comment se fait-il que ce soit
dans les pays riches en matières premières qu’il y ale plus de
corruption? Sur ces questions, les Africains sont souvent sur le banc
des accusés, car il est plus facile de juger les faibles.

TIREES DE JEUNE AFRIQUE N°2542, DU 27 SEPTEMBRE AU 3 OCTOBRE 2009

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